C’est certainement l’un des moteurs français les plus connus, peut-être aussi l’un des plus décriés. Le V6 PRV arrive en pleine crise pétrolière, avec un objectif de relancer le haut de gamme à la française…
Le contexte
Nous sommes à la toute fin des années 1960, nos constructeurs français n’ont pas perdu leurs velléités de produire des voitures haut de gamme à forte cylindrée. On est encore en pleine période des Trente Glorieuses et l’avenir semble radieux. Par contre, le haut de gamme en France, on a perdu cette compétence depuis la Seconde Guerre Mondiale, la faute sans doute à un Plan Pons qui a reconstruit l’industrie automobile nationale comme une industrie de masse, oubliant les heures glorieuses du passé. Dans les années 1950, c’est donc l’hécatombe chez les constructeurs français haut de gamme : Delage, Delahaye, Hotchkiss, Talbot… Panhard subsiste, mais c’est davantage pour ses utilitaires, et aussi pour produire une voiture populaire à carrosserie aluminium… De toute façon, sans tarder, Panhard aura besoin de l’appui de Citroën…
Pour le haut de gamme, Facel Vega tenta bien de défendre les valeurs de l’automobile française, mais avec des moteurs d’origine américaine faute de trouver mieux en France. Un choix tout juste toléré par le gouvernement français qui, à la première occasion, imposa le français Pont-à-Mousson pour motoriser la petite Facel Vega, un choix qui couta certainement au constructeur sa survie… Quant aux généralistes, pas de haut de gamme, au mieux des voitures « bourgeoises » : les Peugeot 203-403, la Renault Frégate, ou encore les Simca Vedette. La Citroën DS aussi, un peu à part avec ses nombreuses innovations. Mais côté motorisations, c’est pauvre : que des quatre cylindres en ligne. Ou presque, Simca propose encore le V8 d’origine Ford.
Pour autant, aucun des constructeurs français ne souhaite abandonner le haut de gamme, à l’exception de Simca qui ne remplace pas la Vedette. Chez Renault, la R16 se distingue par son hayon mais n’est clairement pas une berline statutaire sauf peut-être dans sa version TX. Chez Peugeot, la 504 initie une montée en gamme encore timide, et chez Citroën, on étudie le moteur à piston rotatif et on achète l’italien Maserati pour accéder à ses V6 et V8. Très vite, Peugeot et Renault se rapprochent, l’idée est de rationaliser le développement de certaines pièces coûteuses et notamment les moteurs.
La Française de Mécanique
En 1969, Renault et Peugeot fondent la Française de Mécanique qui va produire des moteurs à Douvrin. Pour l’instant, il n’est pas encore question de produire un gros moteur, mais un petit quatre cylindres qui équipera la prochaine génération de petites voitures : le moteur X. En mutualisant les coûts sur l’une des pièces les plus chères des petites voitures, Renault et Peugeot espèrent en tirer un avantage concurrentiel par rapports aux rivales étrangères. Et pour ne pas entrer en concurrence frontale, un pacte secret attribue le marché des voitures quatre portes à Peugeot (la future 104), Renault se réservant celui des trois portes avec hayon (la future Renaut 5). Si la Renault 5 n’adopte pas le « Douvrin », c’est la Renault 14 qui récupère le X en 1976. Dans le détail, l’usine de Douvrin de la Française de Mécanique démarre la fabrication des premiers vilebrequins en 1971 et le premier moteur X est assemblé le 15 octobre 1971.
L’arrivée de Volvo : lancement des V8-V6
Aux début des années 1970, sur les bases de la Française de Mécanique encore balbutiant, Peugeot et Renault décident d’élargir leur collaboration pour développer un moteur capable d’équiper le futur haut de gamme des constructeurs. Les deux français trouvent Volvo comme partenaire, le constructeur suédois est lui aussi en quête d’un moteur noble notamment pour écouler davantage ses produits aux Etats-Unis, pays où les gros moteurs sont rois. Lui aussi, trop petit, n’aurait pas pu lancer l’étude d’un gros moteur seul sans trop mettre à mal ses finances.
Le 28 juin 1971, la coopération entre les trois constructeurs prend la forme d’une entreprise, la Société Franco-suédoise de Moteurs PRV, qui se base à Douvrin aux côtés des établissements de la Française de Mécanique, comme un prolongement… Au programme, deux motorisations. Après la famille des moteurs X, le PRV prend le nom de code Z et il est prévu d’en créer un V6 (type ZM) et un V8 (type ZO) autour d’une même architecture, là encore pour limiter les couts. D’ailleurs, on va rationaliser au maximum pour créer les PRV, pour reprendre l’outillage et des pièces déjà existant, on part du moteur XN et de l’alésage de 88mm. Avec une course fixée à 73mm, on obtient des cylindres de 444cm3 soit, pour le V6, une cylindrée de 2.664cm3 (ce qui permet de rester sous les 2.8 litres et éviter une fiscalité plus lourde) et un V8 de 3.552cm3.
Le cahier des charges validé, l’étude des deux moteurs démarre avec deux échéances : 1974 pour le V6, 1976 pour le V8. On veut donner naissance à un moteur moderne, c’est pourquoi le bloc et les culasses sont réalisés en alliage d’aluminium. Surtout, V6 et V8 doivent être « interchangeable », et dans les faits, cela se traduit par une conception commune aux deux moteurs : le ZM (V6) est calqué sur le ZO (V8). On peut même dire que le V6 est un V8 amputé de deux cylindres. Pour faire cela, le V6 ZM conserve donc l’architecture d’un V8 et son ouverture à 90°.
A l’automne 1973, la crise pétrolière frappe le monde automobile, il est la conséquence de facteurs géopolitiques et économiques. En quelques semaines, le baril de pétrole est multiplié par quatre, et rétrospectivement, cet évènement acte la fin des Trente Glorieuses. En réaction, les pouvoirs publics lancent des politiques d’économies d’énergie, on voit fleurir les limitations de vitesses. Voilà de quoi faire douter le trio composé de Peugeot-Renault et Volvo, a l’heure où l’étude du V6 commun est quasiment terminée. Compte-tenu de son avancement, autant aller jusqu’au bout des choses. Quant au V8, l’heure n’est plus aux moteurs gourmands, l’étude est donc gelée.
Les multiples facettes du V6 PRV
C’est en octobre 1974 que le V6 PRV est enfin présenté, malgré le choc pétrolier, la Société Franco-suédoise de Moteurs PRV arrive à tenir les délais. On le retrouve alors sous le capot de deux voitures totalement différentes, la Peugeot 504 Coupé et Cabriolet, et la berline Volvo 264. Le V6 PRV est alors alimenté par trois carburateurs double corps, il propose 125Ch sur la Volvo et 136Ch sur la Peugeot. Des puissances qu’aucun quatre cylindres des deux constructeurs n’atteignait, mais déjà les critiques pleuvent sur le V6 PRV : il est bruyant, il donne l’impression de tourner comme une patate (le fameux angle de 90°…) et …il consomme !
L’année suivante, le V6 PRV arrive chez Renault pour motoriser la R30, grâce à un travail sur l’échappement, la puissance affichée est de 131Ch. C’est dans cette même version que le V6 PRV est montée dans la nouvelle Peugeot 604, toujours en 1975. Avec ces deux nouvelles voitures, Renault et Peugeot reviennent sur le marché du haut de gamme, chacun avec un produit différent. Peugeot très conservateur avec une berline statutaire et Renault, fidèle à ses préceptes, conserve le hayon.
De son côté, Volvo propose un V6 PRV avec catalyseur et allumage Bosch K-Jetronic dès l’année 1976, il s’agit de proposer un moteur capable de répondre aux normes antipollution drastiques des Etats-Unis. L’adoption de l’injection permet de faire diminuer la consommation d’essence, on trouve logiquement cette version en Europe (mais sans le catalyseur), monté dès 1977 sur la Peugeot 604 et l’année suivante sur la Renault 30. Etonnamment, le V6 PRV à carburateur n’a pas dit son dernier mot, on le retrouve sous le capot de la Talbot Tagora lancée en 1980, mais avec des carburateurs triple-corps pour une puissance totale de 165Ch.
Entre temps, on va retrouver le V6 PRV sur une voiture de sport, c’est l’Alpine A310 V6 qui reçoit le moteur en 1976, ce qui lui permet de proposer des performances toutes autres par rapport à l’ère des quatre cylindres. C’est la première fois que le V6 PRV est monté à l’arrière d’une voiture. Aussi, on va trouver le PRV en compétition, adopté par WM pour sa P76, le moteur court aux 24 heures du Mans et rallie l’arrivée.
En 1980 arrive une nouvelle version du V6 PRV, avec un alésage porté à 91mm, il cube désormais 2.846cm3. C’est la Volvo 260 qui inaugure cette mouture du PRV, la puissance demeure à 130Ch, c’est donc le couple qui est favorisé. Cette version du PRV se retrouve également sous le capot de la DeLorean DMC12, une voiture de sport construite en Irlande pour le marché américain, passé à la postérité à partir de 1984 et la série de films « Retour vers le futur ». Le V6 PRV de 2.846cm3 donne un second souffle au moteur, Peugeot l’utilise pour concevoir la version GTI de sa berline 604, on le retrouve employé sur la nouvelle Alpine V6 GT puis sur la Lancia Thema.
Et le Turbo vient au PRV…
De son côté, Renault s’est fait une spécialité dans le turbo, le constructeur au losange va donc préparer une version suralimentée du PRV pour sa nouvelle berline statutaire, la R25, qui fut lancée en 1983. Le V6 PRV est profondément revu pour l’occasion, sa cylindrée est diminuée à 2.458cm3, l’injection et l’allumage sont confiés à un système Renix. Quitte à modifier le PRV, autant aller régler les problèmes d’allumage (et de sonorité par la même occasion) en adoptant enfin un vilebrequin aux manetons décalés. Avec 182Ch, le V6 PRV est enfin au niveau. la Renault 25 V6 Turbo l’inaugure, puis on le retrouve sous le capot de l’Alpine GTA V6 Turbo quelques semaines plus tard.
Le PRV 2,7 litres quitte la scène à cette époque avec les dernières Talbot Tagora, le 2,8 litres va recevoir une injection Renix et un allumage rectifié pour être monté dans les R25 Phase 2 puis sous le capot du Renault Espace II. Peugeot proposa sa version avec une injection Bosch pour la Peugeot 505 V6, il propose une puissance de 170Ch.
En 1986, le V6 PRV convainc un nouveau constructeur, Venturi, dont l’ambition est de faire naître une marque sportive française. C’est la version Turbo utilisée par Renault et Alpine qui est choisie, dont la puissance est portée à 210Ch après une préparation maison. Mais la version Atmo se prête davantage à quelques folies, on la retrouve sur les Venturi 260 où la puissance affichée était de 260Ch.
En 1989, une nouvelle évolution du PRV est disponible sous les nouveaux haut de gamme du groupe PSA : les Citroën XM et Peugeot 605. L’alésage poussé à 93mm, le V6 cube désormais 2.975cm3 et propose 170Ch. On trouvera cette version du PRV à partir de 1992 sous les capots des Renault Safrane, puis des Renault Laguna et Espace III. Le 2.975cm3 est également disponible en versions quatre soupapes pour 200Ch, une version inédite qui connait quelques soucis de fiabilité et reste cantonnés chez PSA.
En 1991, Volvo présente la 960, elle inaugure la nouvelle génération de six cylindres maison qui remplace le PRV, que l’on retrouve encore au catalogue pour certains pays à l’export. Ce sera la dernière berline suédoise à adopter ce moteur. En 1993, le PRV connait une dernière évolution pour atteindre 2.963cm3 , on va retrouver ce bloc sous la Safrane et sert de base à la version Bi-Turbo et ses 268Ch.
Les derniers V6 PRV sont montés sur le Renault Espace III en 1998. Il a été produit 970.315 exemplaires de ce moteur franco-suédois, une belle réussite. Sur le plan sportif, le moteur s’est bien rattrapé chez Alpine mais surtout chez Venturi, ou la version la plus aboutie développa 408Ch, c’était sur une la Venturi GT. C’est également un PRV qui détient le record de vitesse aux 24 heures du Mans, flashé à 407km/h dans une WM P88 lors de l’édition 1988. Et puis il n’y a pas que l’automobile stricto-sensus, c’est le V6 PRV qu’on loge sous les engins militaires Panhard VCR et ERC 90. Et puis il y eu une tentative de motoriser l’avion Robin 3000 avec le PRV…