Lancée dans les années 1970, la Renault 5 connait un important succès, aidée par quelques versions sportives préparées par Alpine et un engagement en rallye. Mais chez Renault, on commence alors à imaginer une voiture encore plus redoutable afin de jouer les premières places au championnat du monde des rallyes : la Renault 5 Turbo ! Revisitons ce modèle avec un rare exemplaire de la première série datant de 1980…
Le projet de la Renault 5 Turbo est initiée par deux personnes travaillant au département Renault Sport, Jean Terramorsi et Henry Lherm, lesquels ont l’idée d’une voiture vitrine pour dynamiser les ventes de la R5. Cette dernière est imaginée début 1976, les deux hommes établissent les grandes lignes du projet : « une R5 très spéciale, qui pourrait briller en compétition et équipée, pourquoi pas, d’un turbo ». Les deux comparses précisent leur projet, avec un moteur en position centrale, des grosses jantes, et une carrosserie spectaculaire. Pour aller plus loin, ils vont convaincre le PDG de la Régie, Bernard Hanon, qui accepte le projet.
Hélas, Jean Terramorsi décède peu de temps après, le projet se continue sous le nom de code « Projet 822 » au sein de la division Renault Sport, alors dirigée par Gérard Larousse. Renault Sport vise alors une homologation pour le Groupe 4 en rallye, ce qui rend nécessaire la production de 400 voitures civiles; mais aussi un poids qui ne peut excéder 950kg pour la voiture de série, 850 pour la version compétition, ainsi qu’un moteur inférieur à 2 litres de cylindrée.
Cependant, si la Régie avait donné son aval à ce projet, Renault Sport ne bénéficie pas pour autant d’un budget suffisant pour mener un tel projet. Mais profitant d’une équipe d’ingénieurs passionnés et de renom (tels que Gérard Larousse, Bernard Dudot), le projet 822 est mené avec les moyens du bord, parfois en demandant à l’équipe de travailler sur la voiture sans compter leurs heures supplémentaires.
Le défi est accepté par tout le monde du côté de Dieppe, et l’on commence déjà à affiner le cahier des charges du projet 822. Renault Sport vise à concevoir une voiture puissante, bénéficiant d’une tenue de route parmi les meilleures et une maniabilité hors pair. Aussi, le projet est inversé, si à l’origine on concevait une voiture de compétition qui serait ensuite déclinée en version civile, l’équipe préfère concevoir la voiture de route pour en extrapoler une version compétition. Ceci permet à la direction de Renault de valider la suite du projet. Aussi, Gérard Larousse impose que la voiture civile devra être commercialisée à moins de 100.000Francs afin de rester accessible pour nombre de passionnés.
Avec tous les voyants au vert, le développement du projet 822 débute. Le moteur est repris sur la R5 Alpine faute de moyens, et préparé pour recevoir un turbocompresseur avec une puissance finale estimée entre 150 et 160Cv. Le travail débute pour fiabiliser ce bloc afin de le préparer à développer cette puissance. Dans le même temps, les premiers croquis de la future R5 Turbo sont réalisés fin 1976 par Marc Deschamps (alors sous l’autorité de Robert Opron), puis un prototype est construit par Bertone signé de la main de Marcello Gandini. Cette proposition convainc tout le monde à la Régie, et l’on missionne désormais Heuliez de réaliser un second prototype, lequel devra prendre en compte les contraintes de la mise en production. Ce prototype arrive en 1977 et fut retouché par Yves Lega, styliste de la maison Alpine.
Le châssis fait également l’objet de profondes modifications afin de le renforcer, notamment pour permettre d’implanter le moteur en position centrale arrière. Pour gagner quelques kilos sur la balance, certaines pièces de la carrosserie comme les ailes et le capot sont réalisés en polyester, tandis que le toit, les portes et le hayon sont en aluminium, des matériaux encore coûteux et difficiles à travailler comparés à l’acier, mais permettant un certain gain de poids.
Finalement, la Renault 5 Alpine est développée très rapidement, ce qui permet la présentation du premier prototype au salon de Paris se tenant en octobre 1978. Si la voiture n’a pas encore de moteur, cette maquette présente la carrosserie de la voiture dans sa version quasi définitive , et la R5 Turbo crée l’événement. La voiture est maintenant attendue par les passionnés, Renault Sport peaufine son développement au cours de l’année 1979.
Afin de parfaire le développement de la voiture, le châssis va reprendre nombre de pièces dans la banque d’organes Renault : les suspensions proviennent de l’A310 Groupe 4, la boite à cinq rapport est reprises à la Renault 30, les freins à disques ventilés de la R17 (avant) et A310 V6 (arrière). Quant au moteur, le quatre cylindres en ligne de 1.397cm3 issu de la R5 Alpine développe désormais 160Cv à l’aide d’un turbocompresseur Garret T3 et d’une injection mécanique Bosch. Les essais sont convainquant : 200km/h en vitesse de pointe, le 1.000 mètres départ arrêté couvert en 28 secondes… la commercialisation de la voiture peut intervenir.
La production de la Renault 5 Turbo débute en Mai 1980, le premier objectif est de produire les 200 exemplaires nécessaires à l’homologation de la voiture. La processus est complexe, car des caisses de Renault 5 sont construites par Renault puis envoyées chez Heuliez à Cerizay pour y recevoir des passages de roues arrières élargies, un allongement de la caisse, une jupe arrière spécifique et surtout les éléments en aluminium et polyester. Une fois modifiées, les caisses partent pour l’usine de Dieppe où elles reçoivent leur mécanique, et surtout leur habitacle. L’ensemble de ces exemplaires sont écoulés à partir de Juillet 1980 sous le millésime 1981.
Avant de nous arrêter sur l’habitacle, rappelons que deux teintes sont alors disponibles : le rouge grenade ou le bleu olympe. Peu d’options sont disponibles, seuls le cuir à l’intérieur, les vitres teintés et le pare-brise chauffant sont disponibles contre une petite soulte, en plus des 115.000 Francs de base pour s’offrir la R5 Turbo. le projet 822 n’a pas tenu le prix de vente exigé, mais ce n’est pas grave pense-t-on à la Régie, car la R5 Turbo est avant tout une voiture vitrine qui saura capter sa clientèle.
Ce qui fait aussi l’excentricité de la Renault 5 Turbo, et notamment des premières versions, c’est son intérieur signé Bertone. L’habitacle est très particulier avec des formes et des couleurs qui étonnent, pour sur, nous ne sommes pas dans la R5 de série. Face au conducteur se dresse un volant à deux branches perpendiculaires, et derrière lui une planche de bord tout aussi excentrique avec des cadrans ronds un peu partout. On est en plein dans les années psychédéliques..
Le reste de l’habitacle reçoit un tel traitement, les sièges baquets ont un dessin très particulier et un tissu rouge orangé très fun, avec quelques rayures bleu pour donner un peu de volume à l’ensemble. Dans le même esprit, la moquette est bleu électrique, inutile de vous dire qu’il vaut mieux s’abstenir de rentrer dans cet habitacle avec les pieds sales.
Et derrière les deux fauteuils occupants, le moteur prend place, recouvert d’une longue plage arrière qui permet de donner l’illusion d’un espace dégagé, le tout est recouvert de la même moquette que le sol. L’intérieur fait donc autant sensation que l’extérieur de la voiture, voir plus, et nous prouve que l’on est face à une voiture totalement débridée. Quelques options étaient disponibles comme un autoradio, mais l’exemplaire que nous vous présentons aujourd’hui n’en est pas pourvu. Et ce n’est peut être pas plus mal pour profiter pleinement du bruit du moteur et de son turbo !
Notons aussi que la couleurs de l’habitacle était en accord celle celle de la carrosserie, car si le client choisissait une peinture bleue, l’intérieur était bleu avec une moquette rouge… Bref, l’inverse de notre modèle…
Mais la Renault Turbo ne restera pas longtemps au catalogue de Renault, deux années seulement. En effet, la R5 Turbo était trop chère à produire, la Régie décide donc de proposer la Renault 5 Turbo 2 à partir de 1982, avec de nombreux changements, à commencer par l’intérieur qui troque celui dessiné par Bertone pour l’habitacle de la R5 Alpine Turbo. Aussi, les pièces qui étaient jusqu’alors en aluminium sont désormais en acier, ce qui représente un surpoids de 30kg… mais moins chère à produire, la R5 Turbo 2 est proposée à 102.000Francs…
Au final, seuls 1.690 exemplaires de la R5 Turbo ont été produits, ce qui en fait une voiture rare et donc recherchée, même très recherchée car ce modèle a marqué le championnat du monde des rallyes pour devenir une voiture mythique. Avec l’intérieur excentrique de Bertone, le fait que la Turbo soit la version initiale du modèle, les arguments ne manquent pas pour voir la cote de cette voiture exploser, malheureusement pour les passionnés du modèle pour qui, acheter une R5 Turbo est devenu impossible. La cote du modèle se situe entre 55.000 et 70.000€, mais certains exemplaires crèvent le plafonds, comme celui de cet article vendu 103.000€ au cours d’une vente aux enchères à Rétromobile 2015.
Pourtant, si cet exemplaire était très beau, il n’était pas exempt de défauts d’après les experts du modèle, avec entre autre une mécanique loin d’être aussi belle pour une voiture présentée comme « entièrement restaurée », et un historique apparemment douteux. Mais bon, c’est aussi ça le monde de l’automobile ancienne, la spéculation…