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Jeep-Hotchkiss M201 « CEA » – 1963

                Conçue au cours de la seconde guerre mondiale, la Jeep est devenue un véhicule mythique et l’un des plus utilisés dans les armées après ce conflit. Aussi, la Jeep a servi de référence durant de nombreuses années pour créer des véhicules équivalents, c’est dire l’efficacité de ce concept. En France, si la Jeep fut copiée, Hotchkiss en obtient la licence par Willis et la produit pour le compte de l’armée française, mais certains exemplaires se retrouvent dans la vie civile, comme l’exemplaire de notre article, avec une peinture en référence au Commissariat à l‘Energie Atomique…

Jeep-Hotchkiss M201 CEA (2a)

               Le sol de la Haute-Vienne, mon département natal, est plutôt riche : quelques mines d’or y ont été exploitées depuis l’antiquité; la découverte du Kaolin a permis de créer l’une des fiertés locales, la célèbre « porcelaine de Limoges ». Puis enfin, le CEA fondé en 1945 découvre dans le nord de la Haute-Vienne l’un des plus important gisement d’uranium alors connu dans le monde, marquant le départ d’une riche – mais critiquée – aventure. Si je vous parle des richesses du sous-sol de ce département, c’est parce que la voiture que je vous présente aujourd’hui a un lien tout particulier avec celui-ci, mais pour cela, revenons à la fin de la Seconde Guerre Mondiale…

               Les 06 et 09 Août 1945, l’armée américaine procède à deux bombardements atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagazaki, deux bombes provoquent des dégâts et pertes humaines comme jamais vu auparavant, chacune délivrant une puissance de plusieurs milliers de tonnes de dynamite. En France, le président du Gouvernement Provisoire de la République Française, le Général de Gaulle, apprend la nouvelle et demande au cours du mois de septembre 1945 au directeur du CNRS et au ministre Raoul Dautry de mettre en place un organisme de recherche dédié à l’énergie atomique.

             Après quelques semaines de réflexion, le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) est fondé le 18 octobre 1945, son but est de rassembler toutes les recherches scientifiques et techniques en vue d’utiliser en France l’énergie nucléaire à des fins médicales, industrielles et militaires. Rapidement, l’Etat donne des moyens important au CEA qui devient opérationnel dès l’été 1946, de l’uranium issu des colonies commence à être raffiné, puis la première pile atomique « Zoé » est réalisée en 1948. Dès l‘année suivante, le CEA produit sa première tonne d’uranium métal et ses premiers milligrammes de plutonium, la France réalisait la première opération vers la conception d’une bombe atomique.

               Mais au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les deux grandes puissances que sont les Etats-Unis et l’URSS entrent en compétition et des tensions montent entre les protagonistes, la guerre froide et ses incertitudes apparaissent. La France souhaite rester autonome, notamment sur sa filière atomique dont elle ne souhaite rendre de compte à personne. C’est ainsi que le CEA lance une large prospection en France métropolitaine pour trouver des gisements d’uranium, en se basant notamment sur des recherches effectuées par Pierre et Marie Curie. Les prospecteurs du CEA vadrouillent en Haute-Vienne et découvrent un riche filon d’uranium dans les Monts d’Ambazac.

               Les autorités locales mettent alors tout en œuvre pour lancer l’exploitation d’une mine, du jour au lendemain, une zone de campagne profonde se retrouve avec une ressource qui représente l’énergie de l’avenir. Tout cela suscite un intérêt incroyable, d’autant que de nouveaux filons sont découverts en Haute-Vienne. Le Limousin devient ainsi l’une des régions les plus productives et comprendra plus de cinquante installations minières uranifères. L’ensemble de ces mines Haute-Viennoises sont intégrées à la « Division de la Crouzille » qui comprend également une usine de traitement des Minerais dans la ville de Bessines-sur-Gartempe.

                  Le CEA fut donc un acteur important dans le nord de la Haute-Vienne, l’activité minière faisait travailler plusieurs milliers de personnes. Pour faire simple, la plupart des familles du département connaissent quelqu’un qui a travaillé pour l’uranium, et personnellement, mon grand-père adoptif y était mineur. Le CEA délègua l’exploitation de ces mines à la COGEMA à partir de 1976, entreprise qui fusionnera en 2001 pour fonder AREVA. Entre temps, les mines de la Haute-Vienne avaient cessées leur activité…

Jeep-Hotchkiss M201 CEA (2)

               Pendant l’exploitation des mines de la Division de la Crouzille, le CEA utilisa de nombreux véhicules, les plus anciens ont le souvenir du Berliet T100, alors le plus gros camion du monde, qui a officié quelques années sur la mine de Bessines-sur-Gartempe. Le CEA utilisa de nombreux autres véhicules moins atypiques, dont notamment des Jeep, et l’exemplaire que nous avons pour cet article est un modèle fabriqué par le constructeur français Hotchkiss. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce modèle.

                Sans avoir à retracer la longue histoire de la genèse de la Jeep, ce petit 4×4 naît de la volonté de l’armée américaine de disposer d’un véhicule léger de reconnaissance pour remplacer ses Ford T et autres motos en tout genre, un appel d’offre est lancé en Juillet 1940. Contre toute attente, c’est le petit constructeur Bantam qui remporte le marché face à Ford et Willys, mais ce dernier n’a pas la capacité de produire ce véhicule à des cadences élevées, c’est donc Willys qui récupère la Jeep et l’améliore. Fin 1941, les Etats-Unis entrent en guerre, Willys n’arrive plus à tenir la cadence imposée par l’US Army, c’est ainsi que Ford se voit à son tour confier des contrats de production de la Jeep. De 1941 à la fin du conflit mondial, 637.770 Jeep ont été fabriquées et ont été utilisées sur l’ensemble des théâtres d’opérations de la seconde guerre mondiale.

                Sa large diffusion et son efficacité font de la Jeep le véhicule tout terrain de référence une fois la paix retrouvée, à tel point qu’elle inspira de nombreux autres véhicules. Par exemple, Land Rover s’inspira de la Jeep pour réaliser son premier véhicule ! En France, Delahaye s’en inspire également pour concevoir le VLR, Peugeot pour la 203R. Si la première arrive à intégrer les rangs de l’armée française, sa complexité fait rapidement changer l’armée française qui reviendra à la Jeep originale, produite sous licence par Hotchkiss.

                Hotchkiss s’était rapproché de Willys en 1946 pour former la SOFIA (Société Financière Industrielle Automobile) qui avait la charge de restaurer les Jeep américaines restées en France. Puis en 1952, Hotchkiss obtient la licence de la Jeep ainsi que celles pour les pièces détachées, la voiture intègre l’armée française dès l’année 1955, la production perdura jusqu’en 1966 avec 27.628 unités en tout. Si une grande partie se retrouve dans les rangs de l’armée, quelques exemplaires ont une carrière civile chez les Pompiers, la Protection Civile ou encore dans quelques administrations publiques, comme le CEA…

                Bon, l’exemplaire que je vous présente sur cet article, si il s’agit d’une Jeep-Hotchkiss M201 datant de 1963, il ne s’agit pas d’une véritable Jeep ayant appartenue au CEA. Et c’est peut être plus sage ainsi car le matériel utilisé dans les mines d’uranium pourrait être aujourd’hui considéré comme un déchet nucléaire… Cette Hotchkiss M201 était donc un véhicule de l’armée française, il s’agit même d’une version 24 Volts réservée aux régiments de transmission. Par sûr que le CEA se soit embêté avec cette version quand une simple 12 Volts pouvait faire le travail…

                 Cette Hotchkiss M201, si elle a été repeinte aux couleurs du CEA, c’est parce qu’elle fut un temps une voiture du musée Ureka à Bessines-sur-Gartempe, un musée ouvert à l’initiative d’Areva qui dispose encore d’une activité dans cette zone, dont le but était de retracer l’histoire de l’exploitation de l’uranium en Limousin. Ouvert en 2013, ce musée n’a jamais vraiment trouvé son public, il faut dire que la thématique est assez difficile, surtout en ces heures où l’énergie nucléaire est décriée, d’autant que l’impact environnemental des anciennes exploitations des mines d’uranium est encore présent en Haute-Vienne. Par conséquent, avec quelques difficultés de fonctionnement, le musée Ureka a été contraint de réduire la voilure, l’ouverture au public a été réduite, et la collection amputée des véhicules automobiles…

              Alors avant de voir cette Jeep partir vers de nouveaux horizons, j’ai pu réaliser quelques photos et un court essai sur un terrain, histoire de faire cet article sur cette Jeep qui, du point de vue de la décoration, est sans aucun doute unique en son genre. D’ailleurs, la décoration mentionne « La Crouzille 49 » et « Henriette » sur la baie de pare-brise, Henriette est le tout premier puits réalisé en Haute-Vienne à la suite de la découverte du premier gisement uranifère dans le département en 1949, puits duquel fut extrait les premiers kilos de pechblende français (le minerai d’uranium). Et c’est à partir de ce puits, exploité jusqu’en 1957, que fut réalisé les piles atomiques qui succèderont à la pile Zoé, un gisement qui donna 148 tonnes d’uranium métal !

                 Bref, avec cette Jeep, c’est l’histoire de ces pionniers de l’uranium français que l’on raconte, ceux qui ont réalisé les premières prospections dans les monts d’Ambazac, les premiers carottages… La Jeep était alors le véhicule idéal pour crapahuter sur les chemins difficiles de ces collines et atteindre des lieux susceptibles de détenir le précieux « minerai ». Hélas, on peut regretter le choix d’une Jeep-Hotchkiss pour cet épisode au cours duquel ce modèle n’existait pas encore… Mais l’esprit est là !

                  Quant à l’essai de cette Jeep, il fut très court et réalisé sur un petit terrain privé, qui était plutôt gras ce jour là. Sans avoir pu véritablement rouler avec cette Jeep, j’ai toutefois appris les rudiments de sa conduite, la Jeep, c’est un peu comme un tracteur, les vitesses s’enclenchent toutes seules d’un léger mouvement du levier de vitesse, puis il faut accélérer un grand coup pour lancer la voiture. Sur ce terrain, je n’irai pas au-delà de la seconde, mais je remarque que la Jeep se débrouille très bien dans un milieu difficile, elle traverse les ornières sans difficultés, se fraye un chemin entre les ronces, ne s’embourbe pas sur les parties les plus grasses et se fiche des parties gorgées d’eau… Bref, on aurait bien voulu partir en terrain plus difficile, hélas, la Jeep n’était pas fiabilisée le jour de cette rencontre pour aller si loin.

Les +
_ Voiture mythique
_ Décoration atypique
_ Fiabilité

Les –
_ Utilité
_ Cote élevée
_ Rares sont les exemplaires en bon état

Jeep-Hotchkiss M201 CEA (3)

L’avis d’Alex

                 Vous l’avez compris, au-delà de vous présenter une voiture, c’est aussi une histoire que je vous ai raconté, celle de l’exploitation de l’uranium dans mon département. Et c’est l’une des singularités des voitures anciennes que d’avoir une histoire. Chaque voiture a une histoire propre, une origine particulière, a été la propriété d’une personne connue, a fait l’objet d’une restauration… Certes, sur notre Jeep, le critère de rattachement à l’exploitation de l’uranium est factice, mais on soulignera l’effort d’un musée d’avoir tenté d’enrichir sa collection aux véhicules automobile alors que la thématique était assez éloignée. Dommage que cela n’ait pas marché.

Remerciements à l'équipe du Relais de l'Auto Ancienne pour le prêt de la voiture le temps que quelques prises de vues qui ont permis de réaliser cet article.