La première guerre mondiale fait apparaître un nouveau mode de conflit, deux armées de force égale s’affrontent et ne veulent pas en démordre, naît alors une guerre de tranchées ou le moindre mètre est conquit au prix d’innombrables victimes… La guerre se réinvente, et de nombreuses armes nouvelles naissent, parmi lesquelles le char de combat. En France, le premier d’entre eux est le Schneider CA1.
Avec une guerre qui s’enlise dès la fin de l’année 1914, l’armée française est à la recherche de solution pour avancer dans le « no mans land » de manière efficace afin d’atteindre les tranchées allemandes et les faire reculer. La tâche est difficile car le terrain est souvent pilonné par l’artillerie, recouvert de barbelés et jonchés d’obstacles en bois pour limiter la progression du camp adverse; le tout sous le feu des armes. L’une des solutions mise en avant serait l’utilisation d’un véhicule blindé. Mais encore faudrait-il qu’il soit capable d’avancer sur un tel terrain.
L’idée du char de combat n’est pas nouvelle car une telle arme avait été réfléchie auparavant. Mais pour la première fois de l’histoire, tous les éléments techniques sont réunis pour le concevoir : tout d’abord le moteur à explosion qui a été perfectionné depuis sa création à la fin des années 1880, il permet désormais de mouvoir tout type de véhicules et le poids n’est plus un si grand obstacle. Par conséquent, le blindage se développe, et l’armement existe en masse grâce à l’effort de guerre pour équiper un tel véhicule.
L’un des principaux acteurs du char français est le colonel Jean-Baptiste Estienne qui défend sa vision du « cuirassé terrestre » et obtient les appuis de sa hiérarchie et de quelques industriels pour développer cette nouvelle arme. Pour la petite histoire, cette idée du cuirassé terrestre n’a pas été une mince affaire entre le Grand Quartier Général, plutôt conservateur, fit traîner les choses, et la réticence de quelques industriels, : Louis Renault refusera d’y apporter sa contribution, jugeant le projet sans avenir.
Le travail théorique du char de combat débute au cours de l’année 1915 et y associe la société Schneider via sa filiale SOMUA. Ensemble, l’armée française développe une base, le « Tracteur A » qui s’inspire fortement des tracteurs chenillés américains de la marque Caterpillar dont l’armée française est équipée pour les besoins de l’artillerie. Schneider de son côté prépare la carrosserie, celle-ci est réalisée par l’ingénieur Eugène Brillié qui arrive à imposer sa vision à l’armée française : longueur de caisse courte avec une queue permettant de franchir les tranchées.
Côté motorisation, Schneider dote ce char d’un moteur quatre cylindres de sa conception, lequel développe 60Ch à 1.200 Tr/min. La transmission est assurée par une boite manuelle comportant trois vitesses ainsi qu’une marche arrière. Le tout permet de faire rouler le Schneider AC1 entre 5 et 6 km/h sur route, mais cette vitesse de pointe tombe entre 2 et 3 km/h sur le champ de bataille. Avec son réservoir de 200 litres, le Schneider AC1 dispose d’une autonomie de 80km (30 en tout-terrain), mais comme cela ne veut rien dire sur un champ de bataille, son autonomie est calculée en heure, il peut tenir entre 6 et 8 heures.
Finalement, le char Schneider CA1 est présenté le 16 Juin 1915, le président de la République de l’époque, Raymond Poincaré, fait même le déplacement. Les essais impressionnent les militaires, 10 exemplaires sont alors commandés. A cette époque, on n’envisage pas encore de mettre le char Schneider sur le front mais continuer à faire des essais pour améliorer cette nouvelle arme. Mais on peut aussi y voir une réticence des généraux d’amener cette arme sur le conflit : on meurt Homme au combat, se cacher derrière un blindage aurait un côté lâche parait-il…
Mais le bien fondé du char d’assaut est tel que l’armée en commande 400 exemplaires, en même temps, elle commande également 400 exemplaires du concurrent Saint-Chamond. Les premiers Schneider CA1 sont livrés au cours du mois de Septembre 1916, le compartiment de combat permet à six hommes de prendre place : un conducteur et cinq servants. L’armement est composé d’un canon de 75mm de marque Blochaus Schneider monté à l’avant droit du véhicule, et de deux mitrailleuses Hotchkiss placées de chaque côté du char. Le blindage quant à lui est étudié pour que l’avant du char cisaille les barbelés puis les envoie sous le char pour les écraser afin de permettre aux hommes à pied de suivre lors d’un assaut.
Mais le Schneider va souffrir d’un problème de naissance, son canon de 75mm manque de puissance et reste précis jusqu’à une centaine de mètres, au delà, tirer de manière précise devient difficile. Surtout, le canon placé à la droite du véhicule est une grave erreur qui réduit son angle de tir. Pour compenser, toutefois, le Schneider AC1 peut pivoter sur lui-même.
Mais l’on est pas encore à l’engagement des chars sur le terrain, le Schneider AC1 qui est le premier char à équiper l’armée française, fut également le premier char français amené sur le front, et s’engage face à l’ennemi le 16 Avril 1917 seulement lors de la bataille du Chemin des Dames à Berry-au-Bac. L’issue cette bataille est une semi-victoire pour la France (pour ne pas dire une défaite stratégique), qui obtient quelques gains sensibles mais insuffisants au regard des lourdes pertes : 167.000 victimes françaises (+ 163.000 allemands). Le premier jour de cette bataille, 82 char Schneider sont engagés. La moitié ne survivra pas à cette journée !
Lors de cette bataille qui dure jusqu’en Octobre 1917, le Schneider CA1 montre que son habitacle est trop étroit pour un équipage de six hommes : la maniement des armes, leur chargement n’est pas facilité, mais aussi la ventilation n’a pas assez été prise en compte, ni le champ de vision. Le tout fait du Schneider AC1 une arme pénible à utiliser, voire dangereuse : le blindage latéral est trop faible pour résister aux balles à noyau d’acier allemandes, et le réservoir d’essence placé à l’avant du char le rend très vulnérable. Tout n’est pas noir cependant, la mécanique utilisée sur le Schneider est très fiable, tout comme les chenilles et la transmission.
Après ce premier engagement du Schneider AC1, la production des exemplaires suivant tient compte des déconvenues : le blindage latéral est renforcé et porté désormais à 5,5 mm, quant au réservoir d’essence, il migre à l’arrière du char. Cette petite évolution permet à Schneider de conserver la commande de l’armée française et de produire les 400 exemplaires initialement commandés jusqu‘en Août 1918. Cependant, une fois ce chiffre atteint, l’armée se détourne de ce char et lui préfère le Renault FT-17, bien plus maniable.
Quant au service des Schneider AC1, il s’est poursuivit jusqu’à l’armistice du 11 Novembre 1918 pour escorter les FT-17. On le retrouvera ensuite dans l’armée française jusque dans les années 1920, mais une bonne partie fut cédée à l’Espagne alors en pleine guerre du Rif, dans laquelle nombre de ces Schneider AC1 disparaissent. Aujourd’hui, seul un unique survivant nous est parvenus, lequel est présent dans la collection du Musée des Blindés de Saumur.