François Castaing (1945-2023)

Né à Marseille le 18 mars 1945, François Castaing était un ingénieur de talent, une personnalité du monde automobile. Il fut le directeur technique de Renault Sport à l’heure des premiers moteurs turbo, jouant un rôle essentiel dans la victoire de Renault aux 24 Heures du Mans en 1978, ainsi que dans les premières victoires en Formule 1. Envoyé aux Etats-Unis chez AMC puis Chrysler, il gravite dans les hautes sphères du constructeur américain. Une carrière récompensée en 2010 par une inscription à l’Automobile Hall of Fame ». 

Formation

Après avoir commencé ses études à Aix-en-Provence, François Castaing a été admis en 1964 au concours d’entrée de l’École Nationale Supérieure des Arts et Métiers, l’une des cinq meilleures écoles d’ingénieurs de France qui forme des professionnels de premier ordre pour le pays. Passionné d’automobile, ses professeurs lui ont confié pour son travail de fin d’études un projet commandé par Amédée Gordini pour sa société, à l’époque encore indépendante de Renault. Le projet consistait à étudier une voiture à moteur V8 de 3 litres pour laisser un lendemain à Gordini à l’heure où la collaboration avec Renault se tend faute de résultats sportifs aux 24 Heures du Mans. Castaing a étudié le châssis et les suspensions Elva, selon les demandes d’Amédée Gordini, puis il a réalisé une maquette de soufflerie pour affiner le projet.

Le sport automobile comme premiers faits d’armes

           En juillet 1968, après son travail de fin d’études, François Castaing part frapper à la porte d’Amédée Gordini, boulevard Victor à Paris. Gordini l’embauche, l’une de ses premières missions fut de dessiner un carter de distribution puis de travailler sur les moteurs pour les 24 Heures du Mans qui se courent en septembre cette année. Lors de cette édition, François Castaing est l’un des rares de l’écurie Gordini à rester dans les stands au long des 24 heures. Avant de partir faire son service militaire, il adapte l’injection Kugelfisher au moteur Alpine. Puis les obligations militaires l’accapare une jusqu’au printemps 1970. 

                  A son retour, il revient chez Gordini, qui a entre temps été repris entre temps par Renault, les ateliers de Gordini déménagé dans une usine flambant neuve à Viry-Châtillon et l’entreprise désormais dénommée SA Renault-Gordini. Bureau d’étude au sein de la Régie, cette entité travaille sur le moteur de la Renault 12 Gordini, sur les multisoupapes PRV… En revanche, la SA Renault-Gordini a du mal à placer ses moteurs chez Alpine, qui préfère faire appel au motoriste Marc Mignotet pour préparer les voitures de rallyes.

Renault 12 Gordini, V6 PRV… Quelques projets au sein de la SA Renault Gordini au début des années 1970

              Aux débuts des années 1970, le pétrolier Elf est fortement impliqué en compétition, mais se trouve lâché par Matra puisque la maison-mère, Simca, était affiliée au pétrolier Shell. Elf avait un accord de préconisation avec Renault et pousse la Régie à se relancer en monoplace. Le pétrolier finance depuis 1970 un programme de Formule 2 pour soutenir les pilotes français, et teste différents châssis. Pour la saison 1972, Elf demande à l’Etat-major un châssis Alpine, mais Renault n’a pas de moteur deux litres assez performant pour cette catégorie. Elf fera donc construire des châssis par Alpine, motorisés par des moteurs Ford puis BMW : ce sont les monoplaces ELF 2. En parallèle, Claude Haardt, responsable des moteurs Renault, souhaite que le constructeur français puisse proposer un moteur deux litres compétitif. Les pontes de la Régie ne refusent pas, à la condition que Elf commande et finance le développement d’une telle motorisation. Et voilà comment François Castaing se retrouve à la tête du projet moteur deux litres compétition à partir d’avril 1972.

         Le cahier des charges du moteur est rapidement établi : six cylindres pour la performance, deux litres pour être conforme à l’image de Renault mais aussi pour répondre au règlement de la Formule 2 mais aussi des Sport-prototype deux litres où se battent BMW, Ford et Abarth. Et puis, un V6 Renault en compétition à l’heure où le V6 PRV se trame, voilà de quoi réaliser une opération de communication. Ce moteur va être préparé en un temps record, il tourne au banc dès novembre 1972 et est présenté officiellement le 15 janvier 1973. Nommé CH1 (en hommage à Claude Haardt décédé en novembre 1972), il participe à sa première en compétition à Magny-Court le 1er mai 1973 embarqué dans la barquette Alpine A440. La première victoire vient à la fin de la saison 1973, et la saison 1974 est marquée par l’hégémonie des Alpine A440 : sept victoires en sept courses, et donc le titre de champion européen des voitures de sport. Et le moteur CH1, généreusement dimensionné, pourrait se prêter à viser plus haut… 

              En 1975, alors que les premières greffes de Turbo sont réalisées à titre expérimental chez Renault-Gordini, puis en compétition avec les Alpine A441T et A442, François Castaing n’est jamais loin, mais il est accaparé par le deux litres atmo qui équipait les barquettes qui allait se confronter à la Formule 2. A la fin de l’année 1975, il y a du changement à la direction, c’est désormais Gérard Larrousse qui assure la direction sportive de la Régie, et par un jeu de chaises musicales, la direction de la Régie Renault était plus acquise au sport automobile. En 1976, l’entité Renault Sport est fondée pour chapeauter à la fois l’usine de Viry-Chatillon et les projets sportifs d’Alpine qui prennent place dans une nouvelle usine à Dieppe. François Castaing est alors promu directeur technique de Renault Sport. Quant aux projets de Renault Sport, ils sont annoncés publiquement en juillet 1976 : priorité aux 24 Heures du Mans, ensuite viendra la Formule 1 avec une écurie Renault. 

                   C’est sous l’égide de François Castaing que se dessine la future Formule 1 de Renault, un travail d’équipe qui nécessita d’écarter André de Cortanze, spécialiste des châssis, du projet F1. Renault Sport ne part pas d’une page blanche puisqu’une monoplace Alpine A500 avait été construite en 1975, un projet de Formule 2 sur le papier (Alpine avait alors l’interdiction formelle de la direction Renault pour développer une Formule 1) qui répondait en tout point à la règlementation de la F1 (à l’exception du réservoir). Elle servait de banc d’essais au moteur 1,5 litre turbocompressé. En juin 1976, une série de tests sur le circuit de Castellet permet d’apprivoiser le Turbo et son temps de réponse grâce à la A500. Quant à la Formule 1 Renault, l’assemblage du premier exemplaire débute en janvier 1977 pour être officiellement présentée le 10 mai 1977 : la Renault RS01 était née et l’aventure F1 commençait. 

             Le 16 juillet 1977, la Renault RS01 est engagée pour la première fois au Grand Prix de Grande Bretagne sur le circuit de Silverstone. Dans le paddock, on regarde les français de Renault avec scepticisme : un V6 de 1.500cm3 suralimenté face à des trois litres atmo, on ne donne pas cher de l’aventure de Renault dans la catégorie reine du sport automobile. Il est vrai que la RS 01 reçu rapidement le sobriquet de Théière Jaune en raison des casses moteurs à répétition, ce qui engendrait à chaque fois d’intenses panaches de fumée blanche. Quatre Grands Prix en 1977, quatorze en 1978 et déjà, les premiers points pour la Renault RS01. 1978 est également marqué par la victoire de l’Alpine A442 à moteur turbocompressé aux 24 Heures du Mans. 

             En 1979, c’est avec la RS10 que Renault participe pleinement au championnat du monde de Formule 1. Capitalisant de expérience acquise avec la RS01, la RS10 permet d’offrir la première victoire de Renault en Formule 1 au Grand prix de France, sur le circuit de Dijon-Presnois. Le turbo est viable en compétition, François Castaing et toute l’écurie Renault Sport a remporté son pari. Mais en coulisses, au fil des mois, le duo Larrousse/Castaing a pris du plomb dans l’aile. C’est certainement la raison qui mène au départ de Castaing de Renault Sport à la fin de l’année 1979. 

Chez AMC Renault : un Frenchie chez les américains

La renaissance de Jeep par Castaing

                  A la faveur d’un accord financier et industriel conclu le 12 octobre 1979 entre Renault et American Motors Corporation, François Castaing s’envole pour les Etats-Unis avec d’autres ingénieurs spécialement choisis par la Régie. Leur mission, apprendre aux américains à concevoir de meilleures automobiles ! Et la tâche est rude, pour Renault, il s’agit de remettre sur pied AMC en investissant de l’argent pour permettre à court terme le sauvetage d’AMC, à plus long terme  le renouvellement de la gamme Jeep. Il faut aussi préparer la production locale de Renault américanisées au sein des usines AMC, étendre le réseau commercial… 

             François Castaing est mis sur le programme de renouvellement de la gamme Jeep. il découvre un projet lancé en 1978 visant à remplacer le Cherokee SJ, dont il va participer à la réorientation du programme afin de lui donner une dimension plus internationale. Castaing va notamment s’atteler à développer une transmission utilisant un moteur plus petit qu’à l’accoutumée, le tout au bénéfice du poids et de la consommation. Le Cherokee XJ est aussi le premier véhicule Jeep à adopter la caisse monocoque, elle présente l’avantage de la rigidité de la caisse et encore un gain de poids. Le Cherokee XJ est dévoilé en 1984, il s’impose rapidement aux Etats-Unis, il fut également commercialisé en Europe à partir de 1985 au sein du réseau Renault. Avec la Cherokee XJ, Jeep prenait la voie du redressement… 

           Avec la Cherokee XJ, Castaing a également réussi à imposer de nouvelles procédures de conception et d’industrialisation, notamment en instaurant la conception assistée par ordinateur (CAO) qui permettait de réduire le délai de conception d’une automobile : de 50 mois, on passe à 39 mois pour présenter une nouvelle automobile. C’est ce qui va permettre d’introduire la théorie de la gestion du cycle de vie : à peine une voiture est sortie que les ingénieurs planchent déjà sur sa remplaçante. 

             Aussi, à partir de 1982, Castaing et son équipe se lancent sur le renouvellement de la CJ, la voiture mythique de Jeep. Il faut lui apporter de la nouveauté sans dénaturer le concept qui compte ses fidèles. Jugée trop rurale pour séduire le grand public, la nouvelle Jeep sera plus polyvalente. Et il faut composer avec un budget limité. Alors la Wrangler YJ conserve le châssis séparé et les ressorts à lame à l’arrière, mais un travail est effectué pour rendre la Jeep utilisable au quotidien. La voiture est modernisée avec subtilité. Il y aura un parti pris sur les optiques avant rectangulaires qui choqueront les puristes. Mais les faits parlent, si la Jeep était jusque-là une voiture démodée, la clientèle américaine se presse dans les concessions à partir de 1987, la marque regagne des parts de marché. Mieux, elle semble plus dans le coup que les 4×4 japonais ! 

           Dans la même veine, François Castaing reprend chez AMC le projet Jeepsy étudié par le BEREX (Bureau d’Etudes et de Recherches Exploratoires) à Dieppe. L’idée était de concevoir une Jeep d’entrée de gamme, abordable, qui viendrait compléter l’offre sous la Cherokee, tout en étant axée loisirs. Il semblerait que ce projet survive à la cession d’AMC à Chrysler et qu’il soit étudié conjointement par Renault et le constructeur américain jusque dans les années 1990. Il resta sans lendemain car Renault finit par se désengager et Chrysler ne veut pas se lancer seul dans une aventure jugée périlleuse. Dommage, le RAV4 de Toyota arriva en 1994 et proposait un concept similaire, avec le succès qu’on lui connait.  

Castaing, homme providentiel chez Chrysler

             En février 1987, Renault cédait American Motors Corporation à Chrysler. Pour Renault alors en période de redressement, il s’agissait de se désengager du marché américain qui avait consommé tant de ressources sans encore avoir rapporté de fruits. Quant à Chrysler, l’achat est motivé principalement par la marque Jeep, mais aussi pour l’outil de production qui avait été modernisé par Renault. Chrysler va surtout trouver François Castaing qui, refusant de faire ses bagages pour la France et déclinant une offre d’emploi chez Renault, s’impose rapidement comme un homme clé du nouveau groupe, notamment en apportant son expertise en matière de conception d’automobile : la CAO d’AMC est intégrée à l’ensemble du groupe Chrysler. A ce titre, Castaing devient directeur de l’ingénierie des véhicules du groupe Chrysler.

                     Aussi, Castaing va travailler sur la plateforme qui va permettre à Chrysler de se remettre à jour niveau berlines. Chrysler produisait jusqu’à la fin des années 1980 des petites voitures dérivées de la plateforme K, lancée au début de la décennie. En rachetant AMC, Chrysler devenait propriétaire de la Renault Premier, rapidement commercialisée sous la nouvelle marque Eagle. La Premier avait une base développée par Renault, l’équipe de Castaing la retravaille pour donner naissance à la plateforme LH. Elle en conserve comme caractéristiques le moteur monté longitudinalement avec une transmission à traction avant. Apparue en 1992, la plateforme LH permet la conception de plusieurs voitures jusqu’en 2004 : Chrysler Concord, Eagle Vision, Chrysler 300M… 

            Au sein de Chrysler, François Castaing fut un allié de poids dans le projet de la Dodge Viper. Initiée par Bob Lutz, Vice-président de Chrysler, qui voulait une voiture dans l’esprit de l’AC Cobra, le concept-car Viper SRT-10 de 1989 marque les esprits. Reste à démontrer qu’il est possible d’en créer une voiture civile, et que le projet tient la route sur le plan financier. Pour convaincre Lee Iacocca, il faudra bien des effort. François Castaing est intervenu en partisan de l’utilisation d’un big block. 

           Au début des années 1990, François Castaing est à nouveau appelé en Formule 1. Le constructeur italien Lamborghini, racheté par Chrysler en 1987, est présent en Formule 1 en tant que motoriste et propose son V12 à des écuries depuis 1989. Le moteur connaît des problèmes de fiabilité, Chrysler dépêche François Castaing en 1992 pour l’améliorer. Des négociations ont également lieu pour fournir le moteur Lamborghini à l’écurie McLaren pour la saison 1994, mais elles échouent en raison de désaccords sur le montant de la fourniture moteur et sur l’implication réelle de Chrysler dans ce projet. En réalité, seul François Castaing était favorable à une implication d’envergure… 

                François Castaing a continué à gravir les échelons au sein du groupe Chrysler pour finalement prendre le poste de directeur des opérations internationales en 1996. C’est à cette époque qu’il a demandé à un groupe d’ingénieurs de Chrysler de concevoir et de construire une automobile qui pourrait être vendue à un grand nombre de personnes ne pouvant pas s’offrir mieux qu’un vélo (en gros, une voiture qui ciblerait le marché chinois). Ce projet, nommé en interne « The China Car », débouche sur la CCV dont l’inspiration de la Citroën 2CV est très forte.

         Puis, en 1998, à la suite de la fusion entre Daimler et Chrysler, il est conseiller technique du Président directeur-général du groupe. Il prend sa retraite en 2000, mais fonde un cabinet de consultant en 2004.  François Castaing s’est éteint le 26 juillet 2023. 

Sources : 
Renault F1 : les années turbo. Jean-Louis Moncet, Bernard Dudot, Jean Sage. 
Car Design Archives 

1 réflexion sur « François Castaing (1945-2023) »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *