Pendant un quart de siècle, plusieurs marques européennes de camions utilisaient une cabine identique, surnommée cabine « club des quatre ». Développée au début des années 1970 par quatre constructeurs européen, cette cabine a sillonné l’Europe et les Etats-Unis pour devenir un cas d’école…
A la fin des années 1960, la SAVIEM qui était la filiale industrielle de la Régie Renault, est dans une posture délicate. Il y a certes le succès des camionnettes SG et l’autocar S45/S53, mais la SAVIEM n’arrive pas à s’imposer sur les camions lourds, un domaine qui semble réservé à son rival Berliet. Pour s’y faire une place, la SAVIEM avait initié au début de la décennie une alliance avec l’allemand MAN pour obtenir ses moteurs (et un camion pour les travaux publics) en échange de la cabine des SG, mais cette coopération bat de l’aile. Trop petit pour rivaliser avec Mercedes-Benz ou Fiat, la direction de la SAVIEM fait un tour d’Europe en 1969/70 pour trouver un allié. Un premier contact pris avec les anglais de Leyland tourne court, entre vétusté des installations industrielles et manque de volonté européenne de ses dirigeants.
Il fut suivi d’une visite chez le suédois Volvo, content de trouver un potentiel allié dans sa rivalité contre Scania, mais il n’est pas question de fusion. Même son de cloche chez l’allemand Magirus-Deutz dont l’équipe dirigeante accepte la main tendue par la SAVIEM pour contrer l’ogre Mercedes, mais avec la volonté de maintenir la marque. Enfin, le néerlandais DAF, partiellement détenu par les pouvoirs publics, écoute les propositions de la SAVIEM. Rapidement, les discussions entre la SAVIEM, DAF, Volvo et Magirus-Deutz se font à quatre, la SAVIEM tente d’initier un projet de regroupement pour former un « General Motors » européen du poids-lourds, capable de rivaliser avec Mercedes et Fiat.
Si cette alliance n’aboutit pas, les discussions mettent en avant un intérêt à collaborer ensemble. Les quatre constructeurs ont comme point commun leur petite taille, et tous procéder au renouvellement de leur entrée de gamme. Si chacun souhaite conserver son indépendance et son identité, il est décider de mettre en commun l’étude d’une cabine et d’un châssis commun, ce qui permet de répartir les coûts de conception entre les quatre acteurs. Le 07 décembre 1970, ce « club privé » d’organise par la fondation de la société « European Truck Development », dont le siège est à Eindhoven aux Pays-Bas. Chacun des quatre constructeurs (Saviem, Volvo, Daf, Magirus-Deutz) y apporte 500.000 dollars.
Si le siège est aux Pays-Bas, le bureau d’études prend ses quartiers en France, temporairement à Le Chesnay avant de s’établir durablement à Noisy le Roi. Une équipe composée centaine d’ingénieurs provenant des quatre constructeurs y est détaché et met en place une méthodologie de travail. Il y a d’abord le choix de l’anglais comme langue de travail, puis la répartition des tâches selon les compétences du constructeur. Volvo s’attela au châssis, la SAVIEM à la cabine, Magirus pour les trains roulant et DAF pour l’électricité et l’hydraulique. Cette coopération, guidée par la compétitivité et la survie des quatre acteurs, permet au projet de prendre corps en moins de quatre ans : en décembre 1974, les grands traits du projet communs sont validés, ce qui permet d’envisager la commercialisation de nouveaux poids-lourds dès 1975.
Concentrons nous sur la cabine, son cahier des charges fut rapidement définit, il fallait une cabine moderne tant dans son aspect que dans conception, il lui fallait notamment pouvoir être basculée. Il fut même un temps décidé de construire l’ensemble des cabines au sein d’une seule et même usine, avant que les quatre acteurs ne fassent marche arrière sur ce point. L’étude de la cabine est donc confiée à la SAVIEM, qui fait appel au centre de style Renault pour lui soumettre des propositions. Rapidement, le projet du styliste Robert Broyer se détache du lot, il fut par la suite retravaillé par les équipes de la SAVIEM et de European Truck Development pour aboutir à la cabine que l’ont surnomme « Club des Quatre ».
En 1975, les Saviem J, Daf 700-900-1100-1300-1500, les Volvo F4 et F6, ainsi que le Magirus-Deutz MK arrivent sur le marché. Entre chaque véhicule, quelques détails stylistiques diffèrent : la calandre et le logo, les clignotants et le garde boue. Tout le reste est similaire. Bien évidement, chaque constructeur conserve ses organes mécaniques propres. Carrosseries identiques, mais véritables concurrents !
En 1975, Iveco (groupe Fiat) prend possession du constructeur Magirus-Deutz et bénéficie, par conséquent, de la cabine « Club des quatre ». On retrouve ainsi des Magirus-Iveco, puis plus tardivement des Iveco disposant de cette cabine, commercialisés jusqu’en 1992 et l’arrivée de l’Eurocargo. En France aussi, la « cabine des quatre » fut commercialisée sous différentes marques avec la fusion entre Berliet et Saviem : l’éphémère gamme B de Berliet en profite de 1978 à 1980. Puis Renault Véhicules Industriels la reprend à son compte sous la dénomination Série J.
Chez Volvo comme chez Daf, la cabine « Club des quatre » connait une carrière sans grande histoire avant de céder sa place en 1986 chez Volvo, en 1987 chez Daf. Notons qu’en Suède, la réglementation plus stricte imposa à Volvo de renforcer sa cabine, la rendant moins compétitive. C’est sans doute chez Renault que cette cabine connait sa carrière la plus riche, elle traverse notamment l’Atlantique pour être commercialisée aux Etats-Unis par Mack (auprès de qui Renault avait pris une participation au capital) : les MS200 et MS300 l’utilisent tel quel, et le CS300 l’utilise avec un capot rallongé, le tout jusqu’en 2001.
Chez Renault, la « cabine des quatre » connait une version élargie qui permet le développement du Saviem série H – puis Renault gamme G à partir de 1980 – et diverses déclinaisons à capot long (CBH, CLM…) ou militaires (TRM2000, GBC180). Cette cabine connait aussi deux importants restylages, donnant naissance au Renault Gamme M (1989) puis au Renault Midliner en 1996.
Ayant eu une carrière longue d’un quart de siècle, la cabine « Club des Quatre » a permis à ses constructeurs de proposer un produit à la ligne moderne tout en partageant un investissement lourd, bien que Renault en tira parti le plus longtemps (peut-être aussi parce que la Saviem était à l’initiative du développement de cette cabine). Enfin, pour être complet, la cabine « club des quatre » fut utilisé par quelques artisans du monde du poids-lourds : Thomas, Terberg, Titan, Man-Meccanica …
Sources :
_ MOGUEN-TOURSEL Marine, "Stratégies d'entreprises et action publique dans l'Europe intégrée (1950-1980)", Ed. PIE Peter Lang 2007, p.224. ISBN : 978-90-5201-045-8.
_ LOUBET Jean-Louis, "Maurice Bosquet, 1914-1999", Revue Renault-Histoire n°12, juin 2000n p.15 et suivantes.
On parle également de la Cabine "Club des Quatre" :
- Losange magazine n°14, été 2021 "Saviem J 1974"
Bonjour.
Je souhaite faire l’achat d’une Tangara 4×4,pourriez vous me donner la côte actuelle
de cette voiture de 1988.
Cordialement .
bonsoir ,
pouvez vous m’aider pour un ami qui se sépare a regret de son Berliet de 1968 qui je pense est un protype que je pense rare …avez vous un mail classique ? pour vous faire suivre une ou deux photos merci a vous
Bonsoir,
Article des plus interessant, et peu (pas) abordé ailleurs, et la lecture des plus agréable, sur cette « cabine universelle », et qui avait attiré ma curiosité.
Sans compter les versions doubles (dont les portes avant / arrière semblent inversées), les versions couchette… une variété étonnante.
Sais-on quelle(s) était(ent) leur(s) site(s) de production ?
Merci.