Citroën DS : la genèse

           Le 06 Octobre 1955, les portes du salon de l’automobile de Paris s’ouvrent, le public va rapidement se masser autours du stand Citroën. Le constructeur au double chevrons vient de frapper un grand coup en présentant la DS19, jamais un constructeur n’avait présenté une voiture aussi révolutionnaire. Solutions techniques inédites, design futuriste, la DS19 ne ressemblait à nulle autre sur le marché automobile… Un mythe naissait ! La présentation d ‘une voiture permet de débuter sa carrière commerciale, elle met aussi terme à son développement, que nous allons essayer de retracer… 

Citroen DS 1955

                 En 1934, Citroën avait déjà frappé un grand coup avec la Traction, une voiture qui à défaut de véritables innovations avait été la première à proposer autant de solutions techniques modernes en son temps (lire aussi : Citroën Traction). Citroën conservait une longueur d’avance et confirmait ainsi son image de marque novatrice, aussi, on estime que la Traction avait 10 ans d’avance sur la concurrence, ce qui laisse le temps de préparer sa remplaçante. Mais la marque ne doit pas pour autant se reposer sur ses lauriers, et malgré  la faillite de 1934 (lire aussi : Décembre 1934, Citroën en liquidation judiciaire), Citroën repart de plus belle sous la direction de Michelin qui initia plusieurs projets pour la relancer : le TUB (lire aussi : Citroën TUB), la Traction 15, la TPV qui donnera la 2CV, et la VGD qui verra naître la DS.

                 Le projet VGD est lancé en 1938 par Pierre-Jules Boulanger, le Président de Citroën en poste depuis un an songe déjà à remplacer la Traction. Pour cela, il forme une équipe de choc avec à sa tête André Lefèbvre, un ingénieur ouvert aux solutions innovantes qui avait pu s’essayer sur la Traction. A ses côtés figurent Flaminio Bertoni pour le design, Walter Becchia pour le moteur, et Paul Magès pour la suspension…

projet VGD bertoni 1938

              Pour remplacer la Traction, on prévoit déjà deux déclinaisons de la VGD, un modèle 125 qui reprendra le moteur de la Traction 11 et un modèle 135 avec un moteur six cylindres inédit, le chiffre suivant VGD exprimant la vitesse maximale du modèle. Aussi, la VGD devra être plus légère que la Traction, plus confortable, et surtout plus aérodynamique. Et la structure de la VGD devra permettre des déclinaisons à moindre coût pour permettre de réaliser des breaks, des cabriolets, une découvrable…Et même une version utilitaire !

                      Les premières esquisses sont effectuées sur la base de la Traction, avant de ne garder que sa plate-forme. Bertoni essaya diverses pistes qui ne donneront rien de concret en dépit d’influences américaines ou d’éléments excentriques. Bertoni testa même divers dessins d’ailes particuliers, ainsi qu’un travail sur les pare-brise en V (une première chez Citroën) dont il avait envisagé sur un prototype de le faire remonter jusqu’au dessus de la tête des passagers avant. Cependant, aucun verrier n’était encore capable de produire une telle pièce présentant une courbure si marquée.

                Cependant, le projet VGD n’a pas le temps de mûrir, les équipes de Citroën étaient dévouées au projet TPV, puis la seconde guerre mondiale vient embraser l’Europe. Une fois la paix retrouvée, Citroën met tous ses efforts pour lancer la voiture populaire dont la France a besoin : la 2CV. Le projet VGD reste donc au second plan jusqu’en 1948, année de présentation de la 2CV. Cependant, cela n’empêche pas Bertoni de peaufiner ses recherches dans le design de la remplaçante de la Traction, l’artiste continue à effectuer de nombreux dessins et maquettes, avec l’impératif posé par Pierre-Jules Boulanger : l’aérodynamisme.

           Une fois la 2CV présentée, les bureaux d’études Citroën peuvent désormais se dévouer totalement au programme VGD. Pierre-Jules Boulanger aimerait que la remplaçante de la Traction arrive sur le marché entre 1951 et 1952. Les bureaux d’études Citroën ne partent pas d’une page blanche, puisque le projet VGD était déjà entamé et le projet TPV avait été difficile à mener à terme avec nombre de solutions testées qui peuvent être reprises.

          A cette époque, Citroën par l’intermédiaire de Paul Magès se spécialisait dans les suspensions, car rappelez vous, la TPV devait traverser un « champ labouré avec un panier d‘œuf sans en casser en seul« … Pour arriver à cette fin, Magès met au point une suspension à gaz en 1944, qui fut un échec. Mais en persévérant, Magès met au point une suspension pneumatique qui répondait parfaitement à ce critère. Hélas, trop chère à produire, Citroën dote la 2CV de batteurs à inertie. Le travail de Magès ressort des placards avec le projet VGD, et un service hydraulique naît alors chez Citroën

               Dans le même temps, Bertoni réalise la première maquette à l’échelle 1 de son travail sur la carrosserie, que les spécialistes appellent « hippopotame 1 ». Celui fut réalisé en plâtre au cours de l’année 1947 afin d’obtenir une validation de la part de Pierre-Jules Boulanger. La voiture est encore loin de la DS telle qu’on la connait, mais elle présente déjà les principales caractéristiques, comme la voie arrière plus étroite que la voie avant, et la ligne générale toute en courbe présente déjà des airs de DS. Le projet semble plaire, une seconde maquette est réalisée en 1949, cette fois sans malle arrière. Bertoni pense avoir trouvé la forme de la voiture qui sera présentée à l’horizon 1951.

             Si le projet avance à grande vitesse, le développement du moteur prend du retard , et si la suspension hydraulique est fonctionnelle à partir de 1947, elle n’est pas encore prête à être produite : le système encombre encore une bonne partie de la voiture, la plomberie devra être miniaturisée. Pour palier ce retard, Boulanger demande à ses équipes de se mettre sur la VGD qui remplacera la Traction 15 : la VGD140-Luxe. La VGD 125 viendra plus tard…

Citroën DS (projet VGD) 1951

                 Mais le 11 novembre 1950, Pierre-Jules Boulanger se tue au volant d’une Traction lors de l’un des multiples aller-retour qu’il effectuait entre Paris et Clermont-Ferrand. Robert Puiseux (PDG de Michelin) assure l’intérim, ce dernier est plus ouvert aux idées révolutionnaires de Lefèbvre et étonnamment, trouve le projet VGD trop timoré. Lefèvre lui répondit : « j’ai un cahier des charges fait par ce dernier [Pierre-Jules Boulanger] qui est très strict. Il faut que l’on puisse entrer avec un chapeau haut de forme dans la carrosserie. Il faut trois vitesses parce que disait Boulanger, ça les embête de changer de vitesse. Il ne faut pas trop d’aérodynamisme, il ne faut pas du 180 à l’heure, il faut une voiture qui ait de bonnes reprises, bien tranquille, dans l’esprit de notre bonne vieille traction. Voilà ce qu’il désirait pour nos clients« .

               Avec ce changement à la tête de Citroën, les hautes instances du constructeur voient arriver de nouvelles têtes. Désormais, l’ensemble de ces « personnalités » sont favorables à Lefebvre et lui laissent quasiment carte blanche sur le projet VGD. Cette reprise en main relance totalement le projet que l’on espère voir arriver au milieu des années 1950 dans les concessions de la marque. Tant pis pour le retard, la Traction peut encore tenir quelques années de plus… A cette époque, la ligne générale de la voiture se précise, comme nous le montrent les photos ci-dessous :

             Mais c’est surtout sur la technique que les choses évoluent, Lefebvre en demande toujours plus à l’hydraulique, ce système à l’aide d’une centrale à pression d’huile pourrait commander la direction, le freinage, l’embrayage… en plus de la suspension.  Aussi, la future voiture aura un centre de gravité très bas, des voies avant et arrière différentes afin d’améliorer la tenue de route, les 2/3 du poids réparti sur l’essieu avant pour favoriser la motricité.

                 La structure de la DS est ainsi faite de deux gros longerons reliés entre eux par un plancher plat. Les longerons reçoivent les essieux et le moteur, le tout est surmonté d’une structure très légère avec des tôles fines. Il ne reste plus qu’à habiller le tout avec une carrosserie boulonnée sur la caisse, carrosserie qui n’est pas un élément porteur de la voiture, ce qui permet d’étudier les matériaux composites afin de diminuer le poids de la voiture, mais seul le toit de la DS sera de cette matière.

               Quant au moteur, l’équipe des motoristes assemble divers prototypes de six cylindres à plat refroidit par eau ou par air entre 1952 et 1953. Mais le rendement de ces moteurs demeure faible et leur fiabilité n’est pas leur point fort à cause d’une mise au point laborieuse. De plus, les bureaux d’études remarquent trop tard que le moteur six cylindres ne peut pas être produit dans les usines Citroën, sauf à changer une bonne partie de l’outillage et réserver une chaîne de montage spécifiquement pour cette mécanique. Pas assez rentable au vu de la diffusion du modèle, le six cylindres est abandonné fin 1953. Il est alors trop tard pour lancer un nouveau moteur, on demande à Becchia de moderniser le quatre cylindres en ligne de la Traction… Le moteur reçoit ainsi une culasse hémisphérique en aluminium supportant des soupapes en V permettant de pousser la puissance jusqu’à 75Cv.

                       C’est aussi en 1953 que les grandes lignes de la future DS sont arrêtées, la voiture laisse une grande place aux vitrages avec des montants réduits au minimum et un pare-brise panoramique dont la courbure posera bien des soucis. Saint-Gobain ne s’estimait pas capable de produire une telle pièce, Citroën part donc en quête d’un concurrent, c’est finalement un artisan-verrier belge qui arrive à démontrer que la production d’une telle pièce est possible. De peur de voir le client Citroën partir, Saint-Gobain se retrousse les manches pour satisfaire Citroën.

maquette DS - bertoni

                   Mais le gros du travail de la DS reste l’hydraulique. Elle commande, outre la suspension réglable en hauteur, le freinage avec ses 180 Bars actionnés par un champignon en lieu et place de la pédale de frein. Aussi, l’hydraulique assiste la direction de la voiture laquelle est déjà précise avec les pivots de direction placés dans l’axe des roues. Enfin, l’hydraulique permet aussi d’assister l’embrayage afin de passer les quatre vitesses au volant.

                   L’ensemble de ces innovations demande de nombreux essais routiers pour valider ou non les solutions techniques et parfaire leur mise au point. En Avril 1952, l’AutoJournal, très bien informé, publie les premiers dessins du projet VGD, Citroën réplique en assignant le journal en justice. Souhaitant conserver le projet VGD le plus secret possible, des relations difficiles naissent entre les deux entités et se ternissent encore plus avec la publication des photos d’un mulet de la VGD le mois suivant. Le public était désormais informé de la future Citroën, des fuites internes alimenteront ce journal mais le public a du mal à croire les affirmations de ce canard tant elles paraissent futuristes.

DS bertoni dessin 1955 (janvoier)

                 Mais la plupart se vérifient petit à petit, la DS sera bel et bien une voiture futuriste. Avant de lancer la DS, Citroën teste la suspension hydropneumatique sur la Traction sur la version 15/6H « Oléo », mais uniquement sur l’essieu arrière. Commercialisée en 1954, cette version ne fut produite qu’à 3.077 exemplaires. Il faut dire que son prix excessif n’aidera pas sa diffusion, en dépit d’être la première voiture à disposer d’une telle suspension.

DS 1955

              Quant à la DS, la voiture est finalisée au cours du premier semestre 1955, Bertoni met un point final à la ligne de la DS sans être satisfait sur le dessin de la partie arrière. Les premiers prototypes DS sont réalisés à la main afin de préparer le salon de Paris 1955, la présentation de la DS19 provoque un véritable coup de tonnerre dans le monde automobile. Mais le succès est lancé, Citroën reçoit en quelques jours 12.000 commandes… Un mythe venait de naître…

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Sources :
– photographies : http://www.citroenet.org.uk/passenger-cars/michelin/ds/02.html
– ouvrages : Citroën DS (1955-1975) par Fabien SABATES.
Citroën DS – Le Guide – Fabien SABATES.
Citroën DS – Au panthéon de l’automobile – Olivier de SERRES

4 réflexions sur « Citroën DS : la genèse »

  1. Merci pour ces infos, mais elles n’y sont pas toutes, les problèmes moteurs, boites, électrique et hydraulique, qui a entaché se nouveau concept.
    De plus les freins avant sur la boite de vitesse était la bête noire des mécaniciens, peu efficace avec les tambours et sur très difficile à régler.
    La collaboration avec Panhard ce termina en 1965 avec le absorption de la totalité de Panhard et l’arrêt des développements des moteurs haut rendement que Panhard développait, se fut l’erreur de Citroën; le Bicylindre pour 425 cm3 Citroën développait 37 CV, Panhard proposait un bicylindre de 848 cm3 de + 50 CV, le V4 deux temps monté sur une DS exposé chez R&D Vélizy.
    D’ailleurs aujourd’hui bon nombre de citroêniste monte des moteurs BMW sur leur 2 ou 4 pattes.
    Le concept des 4 phares sur la DS.
    Le refus de la proposition de COTAL pour la boite de vitesse.
    Le refus da demande des Gendarmes du V6 sur la DS après la version superchager du 4 cylindres.
    Les refus successifs de plusieurs motoristes, mis à mal le département R&D qui fut confié à PSA.

  2. Bonjour, ça ne me dérange pas d’être pillé en douce comme vous le faites si bien… Mais ayez au moins l’honnêteté de citer vos sources et d’où viennent les photos. J’ai mis des décennies à les trouver, pas vous. vous avez simplement ouvert mon livre et vous l’avez scanné… Alors, un remerciement et la mention du livre ne serait pas de trop. Vu qu’il est épuisé, je n’en fais pas une affaire d’argent mais de simple retour de manivelle…
    Je suis FABIEN SABATÈS, propriétaire de la plupart des photos de cet article…

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