Avant les phénomènes de concentration dans l’industrie automobile, la France a connu plusieurs centaines de constructeurs, du simple assembleur local à l’entreprise d’ordre national. Le constructeur Tuar, installé dans le département des Deux-Sèvres fait partie des premiers…
Derrière chaque constructeur se cache le destin d’homme(s), pour l’entreprise Tuar, c’est celui d’Adrien Morin qu’il me faut vous conter. Notre homme est né à Brion-près-Thouet, un village dans le nord du département des Deux-Sèvres. Fils de.Notaire, sa destinée semble toute tracée, Adrien Morin se lance dans des études de Droit et obtient sa licence à Bordeaux. A l’occasion d’un stage à Angers, il découvre l’automobile, on est au début du XXème siècle et la chose est encore nouvelle, notamment en milieu rural. Adrien Morin se prend de passion pour l’automobile, au point d’interrompre ses études de droit et de s’attirer les foudres familiales. Mais la passion est plus forte, Morin monte à Paris, l’un des bassins de l’industrie automobile et intègre les établissements Decauville en qualité de simple ouvrier.
En région parisienne, Adrien Morin acquiert un savoir-faire au fil de ses expériences. Après Decauville, il passe un temps chez Cornilleau-Sainte-Beuve, un petit constructeur situé dans le 17ème arrondissement de la capitale, puis passa quelques mois chez Triou, un fabriquant d’amortisseurs, pour terminer chez Vinot et Deguingand. Avec ce bagage, Adrien Morin décide de lancer sa propre entreprise en 1906, un garage automobile sur la commune de Boulogne-Billancourt où il exerce ses talents de mécanicien, mais aussi de concessionnaire de la marque Cornilleau-Sainte-Beuve. Cette petite affaire lui permet de subsister, mais aussi de se pencher sur des automobiles de diverses marques, étudier leurs points faibles et leurs qualités. Au bout de quelques années, Adrien Morin se rêve en constructeur automobile, une ambition qui ne va pas le lâcher. Mais en région parisienne, le marché est saturé, se faire une place semble difficile, pour ne pas dire impossible. En revanche, en région, il y a des places à prendre, Morin n’est pas sans connaitre Barré, à Niort, ou encore Rolland-Pilain à Tours. Le fief familial des Morin est d’ailleurs à mi-chemin entre les deux villes.
En 1912, le projet de Morin se met en place. Adrien Morin convoite un terrain à Thouars (Deux-Sèvres), imagine la marque Tuar et met en vente son entreprise. Le fruit de cette cession permet d’acquérir le terrain et de financer la construction d’un garage flambant neuf inauguré début mars 1913. Le Garage Moderne de Thouars fait pour l’instant de la mécanique générale, il est aussi agent des marques Vinot et Deguingand et de Dion Bouton. Mais déjà, Adrien Morin continue de prospecter les fournisseurs de châssis, moteurs et autres pièces pour automobile. Morin a conscience que financièrement et techniquement, il n’a pas la possibilité de concevoir une voiture de toute pièce, ni même d’assurer une production en grande série. Il sera donc un assembleur, et Tuar aura une dimension régionale… au mieux.
En janvier 1914, la première Tuar est vendue, le client est un Notaire, confrère de son père. Il s’agit d’une Tuar type 1A, équipée d’un moteur quatre cylindres de 1.726cm3 pour 8HP, la voiture est vendue avec une carrosserie Torpédo deux places. Rapidement, la gamme Tuar est complété avec le Type 2B, une voiture de la gamme des 6HP avec son quatre cylindres de 1.244cm3, une catégorie inférieure mais certainement plus en adéquation avec la clientèle locale visée par le constructeur. Malheureusement, les bons débuts de Tuar sont arrêtés avec le déclanchement de la Première Guerre Mondiale, Adrien Morin est appelé comme tant d’autres dans les rangs de l’armée, affecté en qualité d’officier d’administration avant qu’on préféra le rendre à la vie civile, son atelier et ses connaissances lui permettant de participer à l’effort de guerre en produisant des armements. Une activité qui dura jusqu’en 1918.
La paix retrouvée, Adrien Morin n’a qu’une chose en tête : relancer son activité de constructeur d’automobiles. En 1919, c’est chose faite et la production des Types 1A et 2B d’avant-guerre reprennent. En cours d’année, Tuar présente un nouveau modèle, la Type B1 équipée d’un quatre cylindres de 1.244cm3 provenant de la firme Chapuis-Dornier, monté sur un châssis Malicet et Blin. Cette voiture est une 8HP et offre une vitesse de pointe de l’ordre des 70km/h. Quelques mois plus tard, la B2 rejoint la gamme avec un moteur de 1.821cm3, puis en 1920 le type B3 avec un 1.900cm3. Cette dernière s’offre une suspension inédite créée par Morin lui-même.
De cette première gamme, une seconde génération de Tuar est développée à la fin de l’année 1920, on parle désormais des Type C3 et C4. La première est une voiture équipée d’un 855cm3 et entre dans la catégorie des 6HP, cette voiture vise le marché des « petites » voitures alors mis en avant par le législateur, sans pour autant être un cyclecar. A l’opposé, la C4 est une 10HP, équipée d’un quatre cylindres de 1.496cm3, elle vise une clientèle en quête de performances. Pour accompagner sa commercialisation, Morin s’engage au Meeting de la Baule 1920 avec un exemplaire certainement préparé pour l’occasion. Un premier engagement qui en entrainera d’autres, notons une inscription à la Coupe Internationale des Voiturettes 1921 sur le Circuit du Mans avec une Type C4 spécialement préparée pour les 448km de l’épreuve. Face aux Talbot-Darracq de 55HP et autres Hilmann, la petite Tuar n’a que peu de chance, elle part dernière sur la grille de départ, et abandonne au cinquième tour.
Si Tuar n’est pas rentré dans les annales du sport automobile, les inscriptions en compétition permettent de faire connaitre le constructeur et obtenir des ventes complémentaires, l’allongement du carnet de commandes rend les locaux de Tuar trop exigus. Une nouvelle usine est construite à Thouars dans laquelle cinquante salariés exerceront leur art, mais de manière très artisanale. Malgré tout, le prix des Tuar reste compétitif par rapport aux produits des marques nationales, mais sans véritable réseau de distribution ni usine digne de ce nom, le constructeur est cantonné à sa région. En fait, Tuar ne compta que deux distributeurs, un négociant de Thouars et le garage Auto Hall de Casablanca.
Malgré un succès local avec quelques dizaines d’unités vendues chaque année, Tuar ne peut viser plus haut. L’industrie automobile a quant a elle changé en quelques années, Citroën a introduit la production à la chaîne couplée à une politique commerciale agressive, obligeant les grands constructeurs nationaux à répondre, Renault le premier. La part des petits constructeurs se réduit à peau de chagrin, et à défaut d’être sur un segment spécifique comme le luxe ou le sport, l’avenir est incertain pour nombre d’entre eux. Adrien Morin le sait, et en 1925, il prend la sage décision de tout arrêter avant de se faire rattraper par les soucis financiers. La D1 qui était sur les planches de dessins n’existera jamais. Quant à la production totale des automobiles Tuar, on va de 150 unités pour les estimations les plus sages, à 250 véhicules pour les plus optimistes…
Sources : -RIBEMON Jean-Luc, "La mémoire de l'Automobile". Berry/Poitou/Val de Loire. Ed. de la Nouvelle République, 1994, pages 76 et suivantes. -FAVRE Eric, "Tuar, régional d'abord". Gazoline. 14 janvier 2014.