Imaginez, vous être un fabriquant de cyclomoteurs italiens à la fin des années 1950, votre produit rencontrant le plus de succès est un scooter qui, depuis quelques années, se fait concurrencer par des petites voitures populaires, et vous avez écho d’un projet de voiture concurrençant les deux-roues en train d‘arriver sur le marché. D’ailleurs, les prémices d’un changement de comportement du consommateur émerge, celui-ci ne rêve plus d’une rutilante motocyclette mais d’une voiture. Que faire ? Rester dans le deux-roues et perdre des parts de marché, ou tenter l’aventure automobile ? Piaggio (Vespa) fut l’un des rares à choisir cette seconde option.
En Italie, dans les années 1950, le mode de déplacement en vogue est le scooter, petit véhicule à deux roues équipé d’un petit moteur et d’un variateur de vitesse mécanique. Grâce à tout cela, le scooter est le véhicule qui s’avère le plus pratique pour déambuler dans les petites rues des villes italiennes; et qui plus est, reste bon marché, bien plus que les voitures populaires d’alors avec la Fiat 500 Topolino en tête. Mais Fiat prévoit de renverser cela avec la présentation de la petite Fiat 500 en Juillet 1957, d’ailleurs le constructeur italien pense faire de cette voiture une véritable alternative aux deux-roues. Si les premiers mois de cette voiture restent hasardeux au niveau des ventes, Fiat corrige rapidement le tir pour proposer dès Octobre 1957 une voiture répondant plus aux attentes des italiens. Le succès vient donc, cannibalisant les ventes de scooters…
En face, Piaggio avait plus ou moins préparé la diminution des ventes de scooters, sans doute le constructeur avait-il eu écho du projet de Fiat. Mais aussi, Piaggio connaissait sa clientèle qui était majoritairement jeune et qui, avançant en âge, souhaitait désormais passer à l’automobile. Ainsi naissent les premières études aux fins de développer une petite voiture populaire, que l’on pourrait dater vers 1954/1955 pour les premières esquisses du projet, le premier prototype étant prêt courant 1956.
Mais durant ce développement, Fiat qui occupait une position dominante sur le marché italien, a écho du projet. Y voyant une menace pour la future Fiat 500, le constructeur turinois use de son pouvoir auprès des équipementiers italiens pour faire capoter le projet de Piaggio. Le deal était simple, les équipementiers qui traitent avec Piaggio verraient leur commandes de Fiat annulées, et quand on sait que la plupart des équipementiers italiens vivaient grâce à Fiat, le choix fut vite fait pour ces derniers. Et Fiat avait un dernier levier sur Vespa puisque c’est le constructeur turinois qui fournissait Vespa en acier.
Acculé sur son propre marché, Piaggio décide d’exporter son projet de petite voiture vers la France. Le choix de notre pays fut rapide, d’une part, les principaux constructeurs français ne pratiquaient pas le chantage aux commandes à l’instar de Fiat, de plus, le marché français était concurrentiel sur les voitures populaires, entre 2CV et 4CV… et d’autre part, la société des « Ateliers de Construction de Motocycles et d’Automobile » (Acronyme ACMA), fondée en 1950, assemblait des Vespa sous licence Piaggio. Pour la fabrication des carrosseries, c’est auprès de Facel qu’Acma-Vespa va faire sous-traiter cette opération, ne pouvant la réaliser au sein de cette usine.
Le choix de produire en France est lourd de conséquences pour Piaggio, puisque la voiture serait alors exclusivement commercialisée sur le marché français. En effet, à cette époque, l’Europe était encore un lointain projet et de lourdes taxes affectaient les importations de véhicules de chaque côté des Alpes. De plus, Piaggio avait définitivement renoncé à l’idée d’affronter Fiat en Italie…
Au final, la petite Vespa est prête courant 1957, sa présentation intervient le 26 Septembre 1957 dans le Bois de Boulogne. Petite voiture aux lignes harmonieuses, la Vespa 400 (tel est son nom) pouvait transporter deux personnes. Mue par un monocylindre de 393cm3 dont la puissance affiche seulement 12Ch, la voiture était capable de performances proches de la Renault Dauphine, aidée en cela par son faible poids (375kg). Notons également, sur le plan technique, que la Vespa 400 se dote alors d’une boite à trois rapports, et côté suspension, les roues arrières sont indépendantes tandis que les roues avant reçoivent un ingénieux système de ressorts incorporés aux amortisseurs.
S’en suit l’exposition de la Vespa 400 au grand public lors du salon de l’automobile de Paris, se tenant courant Octobre 1957. On y apprend que la gamme se divise en deux versions, « Normale » et « Luxe ». Six teintes étaient proposées (3 bleus, vert, ivoire et rouge), le moteur quant à lui était garanti 50.000km, mais le mélange huile-essence nécessaire à son fonctionnement devait se faire manuellement. Peu pratique à l’évident.
Son prix contenu en fait l’une des voitures les moins chères du marché, la Normale est affichée 345.000 Francs, la luxe à 365.000 Francs, ce qui en définitif était son principal atout. Cependant, la clientèle resta réservée face à ce modèle, ni voyant qu’une simple mobylette à conduite intérieure. Et pour ne pas aider, la Vespa 400 fut distribuée par les mêmes réseaux que celui des scooters. Bien loin de l’idée que les potentiels clients se faisaient de l’automobile …
Malgré tout, les commandes arrivent en nombre et laissent espérer un relatif succès pour cette voiture. En 1957, 1.103 exemplaires sont écoulés en quelques mois, et 1958 continue sur cette lancée. D’ailleurs, déjà, Acma-Vespa améliore la 400 en l’équipant de fauteuils rembourrés, les pare-chocs lisses cèdent leur place à des pare-chocs nervurés en inox, et en Juillet de la même année, apparait un mélangeur semi-automatique d’huile et d’essence ! L’équipement tant attendu est arrivé. Cette année, 12.130 unités sont vendues.
Si le millésime 1959 paraissait prometteur au vu de la courbe des ventes, la commercialisation des Vespa 400 commence à ralentir. Pour tenter d’inverser cette tendance, la Vespa est améliorée : les vitres sont désormais coulissantes, les pare-chocs à lame sont abandonnés contre des pare-chocs enveloppants, la turbine de refroidissement troque l’acier contre de l’aluminium, et des feux de direction sont installés sur les ailes avant. Le moteur évolue également, grace au taux de compression passant de 6,4 à 6,8 bar, le moteur développe désormais 14Cv. Un gain de 2Cv qui permet d’aller titiller les 90km/h. En dépit de ces efforts, c’est 8.717 unités qui sont vendues cette année.
Cette baisse des ventes peut aussi s’expliquer par la réaction des constructeurs français, notamment Citroën, puisque à cette époque, le délais d’attente pour une 2CV était encore de plusieurs mois. Mais si le client potentiel de la 2CV affichait un intérêt pour la Vespa 400, Citroën réduisait le délais d’attente à quelques semaines.
Pour 1960, Acma-Vespa améliore son offre commerciale, notamment sur la garantie : le moteur reste garanti 50.000km, le reste de la voiture est garanti pendant 2ans, un véritable gage de fiabilité en ce temps. De plus, la consommation de la Vespa 400 était alors critiquée, avec ses 8,15 litres au 100 kilomètres, elle consommait plus qu’une 2CV pour un espace intérieur bien plus réduit. En améliorant la carburation, la Vespa 400 passe désormais à 7,5 litres aux 100.
Mais c’est pour le salon de l’automobile d’Octobre 1960 que la Vespa 400 s’améliore : Le modèle Luxe est proposé à 3.550 Nouveaux Francs, et apparaît la version Grand Tourisme équipée de série d’une boite à quatre vitesses, de pneus à flancs blancs. L’ensemble de la gamme est enrichie avec l’adoption de fauteuils en tissu à deux tons, des vide-poches sont incorporés dans les portes, et des grands butoirs viennent enjoliver le pare-chocs avant.
7.177 exemplaires sont vendus cette année, ce qui marque une nouvelle baisse des ventes de la Vespa 400. Les chiffres sont mauvais, puisque la Vespa 400 avait été planifiée avec une production journalière de 200 exemplaires, mais jamais ces chiffres n’ont été atteints. La meilleure année, 1958, seules 50 unités sortaient de l’usine quotidiennement. La production est loin de celle espérée, et la rentabilité n’était pas au rendez-vous. Ainsi, les résultats de l’année 1960 scellent l’avenir de la petite Vespa, la fin est programmée pour 1961.
En 1961, c’est 1.849 unités qui sont vendues, avant que l’usine ne ferme ses portes. Le site de Fourchambault fut racheté en 1962 par Simca industrie afin de produire des camions Unic.