Si la production automobile française évoque souvent des voitures populaires, pas forcément séduisantes ni puissantes, il fut un temps où les constructeurs français voulaient rivaliser avec la production germanique. Chez Renault, la berline R25 fut un succès, sa remplaçante nommée Safrane était promise à un bel avenir. En novembre 1993, Renault entre parmi les constructeurs de berlines surpuissantes en présentant la Safrane Biturbo…
Le haut de gamme est un segment maudit chez la Régie Renault, seule la R25 lancée en 1984 parvient à réussir, malgré quelques défauts de jeunesse. Produite à 780.000 exemplaires, la R25 trouve comme héritière la Safrane, dévoilée lors du salon de Genève 1992, mais la nouvelle venue frappe par son style impersonnel, passe-partout, là où la Renault 25 marquait par un style affirmé. Renault avait mis les moyens dans la Safrane qui bénéficie d’une plateforme inédite, une suspension à quatre jambes McPherson et essieu multibras à l’arrière, la transmission intégrale est proposée sur la version V6 RXE. Mais l’offre de motorisation ne déchaine pas les foules, les moteurs anémiques font pâle figure comparé à la production germanique, un marché pourtant visé par Renault. Outre-Rhin, les efforts de Renault en matière de qualité commençaient à porter leurs fruits avec les R21, R19 et autres Clio, la Safrane arrivait au bon moment. Mais la berline au losange n’avait pas tout les arguments pour gagner. C’est d’autant plus regrettable qu’en Formule 1, le motoriste Renault enchaine les victoires…
L’idée d’une berline puissante et luxueuse fait rapidement son chemin, il permettrait à Renault de montrer son savoir faire et s’immiscer sur un créneau jeune mais déjà mature, sur lequel étaient présent BMW avec sa M5, Mercedes-Benz et sa 500E, on peut également citer Opel et sa radicale Omega Lotus qui n’avait comme seul objectif de marquer les esprits. Déjà, lors du lancement de la Safrane, on annonce une future version V6 Baccara, cette version se fait désirer et c’est en novembre 1993 que Renault la présente à la Presse, avec une commercialisation pour le début de l’année 1994. La Safrane Biturbo a comme ambition de tenir la dragée haute aux BMW 540i, Mercedes-Benz E420 et autres Audi 100 S4.
La Safrane Biturbo est une voiture exclusive, sa production fait donc l’objet de cadences réduites incompatibles avec un assemblage à la chaine. Pour développer cette voiture, Renault s’est entouré de deux préparateurs allemands qu’étaient Hartge et Irmscher. Hartge, connu dans l’univers des BMW, se charge de la préparation des moteurs tandis qu’Irmscher se voit confier l’assemblage des Safrane Biturbo. Le processus de production de la Biturbo est complexe : à l’usine de Sandouville, on prélève des Safrane V6 RXE Quadra qui partent en Allemagne dans les ateliers d’Irmscher. Là-bas, on démontait le moteur, le châssis était modifié, on installait les éléments de carrosserie, puis le moteur transformé reprenait place sous le capot.
Pour le moteur, chez Renault, on ne dispose pas de V8 ou de moteur plus important, alors on ressort le V6 PRV. Ce moteur, doté d’un turbocompresseur, pouvait donner naissance à des voitures sportives, l’expérience des Alpine et Venturi, voire de la R25 V6 Turbo l’avait prouvé. Le Turbo, c’est aussi la marque de fabrique de Renault Sport. Pour la base de travail, on prend le moteur de l’Alpine A610, le V6 PRV de 3.0 litres pour 250Ch sur lequel avait travaillé Hartge. Pour la Safrane, on étudie une double suralimentation avec deux petits turbos KKK et échangeurs thermiques air/air. La puissance est portée à 280Ch, mais Renault souhaite une voiture utilisable au quotidien capable d’offrir l’agrément de conduite d’une berline à grosse cylindrée, et non une voiture ultime. De toute façon, la transmission Quadra, bien que renforcée, ne peut recevoir l’excès de puissance, si bien qu’on bride le moteur à 268Ch. Cela reste suffisant pour rivaliser avec les allemandes, Renault annonce un 0 à 100km/h en 7,2 secondes, et une vitesse maximale bridée à 250km/h (comme une certaine M5…), bien que la vitesse maximale réelle se situerait autour des 245km/h.
Côté carrosserie, le préparateur Irmscher se charge de rendre plus agressive la Safrane dans la tendance du tuning allemand, discret mais élégant. La Safrane Biturbo se dote de larges jantes 17 pouces à cinq double branches. Le pare-chocs avant est plus imposant pour recevoir les deux échangeurs air/air et deux projecteurs ronds, on rajoute des bas de caisse élargis tandis que la face arrière reçoit une sortie d’échappement ovale spécifique, et un discret aileron se greffe sur la malle.
La Safrane Biturbo est une voiture exclusive, Renault décide de la proposer avec deux finitions, la RXE à 414.000 Francs, et la Biturbo Baccara à 452.000 Francs, très richement équipée avec, entre autres, sièges électriques chauffants et équipés de coussins gonflables, téléphone main-libres, chaîne Hifi CD avec commandes au volant… Des prix très élevés, quatre fois celui d’une petite berline bien équipée, qui met cette version de la Safrane en concurrence frontale avec les rivales allemandes équipées de V8… Forcément, à ce prix, les clients fortunés ont du mal à se tourner vers Renault, une marque d’avantage orientée pour les classes populaires qu’offrant une image de marque luxueuse.
Au final, la Renault Safrane Biturbo est un échec sur le plan commercial, seuls 806 exemplaires se sont vendus entre 1994 et 1996. Certes, la Biturbo est une voiture de niche, mais Renault s’attendait à des chiffres plus conséquents. Toutefois, la réussite de voiture de ce pedigree ne se regarde pas seulement sur les chiffres de vente, mais aussi sur le rôle de locomotive afin de rendre plus attractive un modèle par rapport à un autre. Et là-dessus, la Safrane Biturbo a sans doute réussi, puisque cette voiture, remarquée à son époque, est aujourd’hui l’apanage des collectionneurs compte-tenu de sa rareté…
Continuer l'aventure Safrane Biturbo sur le site du Boitier Rouge : La Safrane Biturbo, la plus rare des Renault.