De 1953 à 1963, la 4CV connait une aventure au Japon par une heureuse convergence d’intérêts. D’un côté, Renault en quête de devises américaines cherche à s’internationaliser et trouve un public favorable à sa 4CV au Japon. Là-bas, le ministère de l’industrie encourage les constructeurs nationaux à se lancer dans la production d’automobile en liant des partenariats avec des constructeurs étrangers. C’est ainsi que Hino et Renault convolent en union, pour le meilleur et pour le pire…
Le contexte
Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon est un pays à reconstruire. Outre le choc des deux bombardements atomiques, les grandes villes ont fait les frais de bombardements : Tokyo, Osaka et Nagoya sont en grande partie détruites. Les voies ferrées et le réseau routier sont inutilisables, et l’outil industriel réduit à néant. Il y a également les pertes humaines, et l’occupation américaine qui mine le moral des japonais. La reconstruction du Japon débute sous l’œil de l’occupant, un effort long puisque le pays souffre encore, au début des années 1950, des dégâts de la guerre. Le redressement du Pays passe par son industrialisation, le ministère du Commerce extérieur et de l’industrie (MITI) fondé en 1949 lance des politiques de planification et donne la priorité à quatre secteurs : le charbon, la sidérurgie, la construction navale et la production d’électricité. Le développement induit mène à reconstruire les infrastructures de transport, puis à envisager la production de biens de consommation, parmi lesquels l’automobile
Le domaine de l’industrie automobile intéresse le M.I.T.I. dès le début des années 1950, le Japon accusant un retard en matière de voitures particulières, le gouvernement encourage ses industriels du secteur à créer des partenariats avec les constructeurs étrangers, et principalement les constructeurs européens qui disposaient alors de voitures modernes, économiques et de petite taille, adaptées pour le Japon. L’idée est de créer des partenariats par lesquels les européens fournissent pièces détachées et assistance technique en vue d’un assemblage des automobiles au Japon, avec une intégration de pièces d’origine japonaises de plus en plus important au fil des ans. Pour attirer les constructeurs, le M.I.T.I. propose d’acheter les collections de pièces et les royalties en dollars américains. A cette époque, les industriels européens étaient fortement incités à rapporter des dollars dans leurs Etats d’origine, le M.I.T.I. trouve facilement des candidats à ses sollicitions : les anglais Austin et Hillman, ainsi que Renault…
Le M.I.T.I. établit ses premiers contacts avec le service exportation de la Régie Renault en 1951. La demande est étudiée par les français pour au moins deux raisons, la recherche de devises étrangères comme expliqué ci-dessus, mais surtout parce que Renault importe la 4CV au Japon, dans des proportions très modestes mais qui permettent toutefois de constater que la voiture connait localement un certain succès. Il faut dire la Renault 4CV présente des atouts pour le Japon : petite taille, des performances tout en restant sobre, mais surtout quatre places et quatre portes. Pour répondre à la demande sur un marché à l’autre bout du monde, l’idée d’installer une chaîne de montage au Japon n’est pas dénué de sens. Face à l’accueil enthousiaste du service exportation de Renault, le M.I.T.I. cède sa place au constructeur Hino Diesel pour mener les négociations.
Hino était un petit constructeur de camions sans aucune expérience en matière de véhicules légers. Créée en 1917, la Hino Diesel Industry Co., Inc., que nous nous contenterons ici d’appeler Hino, voire Hino Diesel, pour d’évidentes raisons de simplicité, s’est spécialisée dans la fabrication des véhicules lourds et a été un pionnier au Japon en matière de moteurs diesels, domaines dans lesquels elle est devenu le leader sur le marché Japonais en 1942. Deux ans plutôt, en 1940, elle avait dû, pour faire face à son expansion, déménager son site de production de Omori à Hino, ville située à une quarantaine de kilomètres de Tokyo, où seront produites les 4 CV. C’est en effet en 1952 que, à la demande de son gouvernement, l’entreprise engagera des pourparlers avec le constructeur français Renault qui aboutiront à la production au Japon de la petite 4 CV, officiellement pour sept ans, soit de 1953 à 1960...
Les négociations : l’heure des premiers doutes
Fin 1951, tout laisse à penser que la 4CV sera prochainement produite au Japon. Pour autant, l’Etat-Major de Renault reste à convaincre, une partie de l’équipe dirigeante n’est pas favorable au projet, à commencer par Fernand Picard, le père de la 4CV. Le président Pierre Lefaucheux doute, et les discussions durent plus d’un an. Au moins deux craintes majeures le font hésiter : la crainte de la copie et les ambitions de Hino qui annonce la couleur dès le départ. Concernant le risque de copie, le Japon n’interdit pas la technique du surmoulage (elle consiste à créer un moule à partir d’une pièce existante), fabriquer la 4CV au Japon, c’est inévitablement livrer des méthodes de production – voire de conception – aux japonais, déjà affabulés en occident de copieurs. Quant à Hino, le constructeur souhaite que Renault lui réserve des marchés à l’export sur la zone asiatique, mais aussi continuer à terme la production de la 4CV à l’expiration du contrat avec Renault.
A partir de l’été 1952, l’Etat-Major acquiert la certitude qu’un contrat au Japon serait favorable à la Régie. C’est là qu’entre en jeu le constructeur anglais, lui-aussi courtisé par le M.I.T.I et en pourparlers avec Hino, avant que le gouvernement japonais ne le réoriente vers Nissan. Les anglais tiennent au contrat avec Nissan et font d’énormes concessions, parmi lesquelles une aide technique en vue d’une production de 90% de la voiture à partir de pièces japonaises à échéance trois ans, et une redevance de 5% payée à Austin sur chaque pièce produite localement. Chez Austin, on fait volontiers ce genre de concessions pour au moins deux raisons : ils ne pensent pas les japonais capable de suivre techniquement, et avant-guerre, les japonais avaient copié Austin sans rien demander… ni payé. Pour Hino, les concessions d’Austin sont un moyen de pression sur Renault qui doit accepter à marche forcer de se calquer sur le contrat Austin. Au mieux, Austin et Renault feront front commun quelques semaines avant la signature des contrats pour interdire aux japonais la production des modèles européen après l’expiration des contrats.
Le contrat
Finalement, le 26 février 1953, le contrat entre Renault et Hino est signé, il prévoit une production minimale de 2.000 voitures la première année, 2.400 l’année suivante et 3.600 à partir de la troisième année et ce, jusqu’à la septième année. Concernant l’intégration des pièces japonaises, le contrat prévoit que les 100 premières voitures seront des 4CV totalement assemblées en France et expédiées démontées. A partir de la 101ème 4CV produite, Hino peut assembler des 4CV à partir de pièces provenant de France. A partir de la première année d’assemblage, Hino peut commencer à monter des pièces Made in Japan, dans un maximum de 25% de la voiture jusqu’à la 4.400ème 4CV, 50% à partir de la 4.401ème et jusqu’à la 8.000ème voiture, 75% jusqu’à la 12.000ème 4CV. Quant aux royalties dues à Renault, ils montent en charge pour atteindre les 5% de la valeur de la voiture à partir de la quatrième année.
Parmi les autres articles du contrat, Hino doit conserver secret les plans et instructions fournis par la Régie Renault, et toute modification apportée sur la 4CV devra être au préalable agrée par la Régie Renault. C’est également le cas des pièces Made in Japan qui devront être agrées par Renault avant leur montage. La distribution des 4CV japonaises sera assuré par Hino ou par le biais d’entreprises choisies par Hino et agrées par Renault. Enfin, Renault obtient gain de cause sur l’export des 4CV japonaises : Hino ne peut pas vendre des voitures ou des pièces hors du Japon.
La production de la 4CV par Hino
Dès la signature du contrat, Hino se met en ordre de marche pour assembler le plus rapidement possible les 4CV, la première sort des ateliers le 28 mars 1953, un petit mois après la signature. A cette époque, les 4CV sont acheminées en C.K.D par voie maritime par le port du Havre ou de Marseille pour arriver à Yokohama. Les kits sont ensuite acheminé à l’usine Hino par la route. Pour la 4CV, Hino a investi dans un bâtiment dès 1952, mais celui demeure rudimentaire, comme son outillage, pourtant complété par des machines-outils fabriquées par Renault et vendues à bon prix. Une petite centaine d’heures est alors nécessaire pour assembler une 4CV, la finition est soignée, si bien que les 4CV assemblées par Hino n’ont rien à envier aux 4CV françaises.
Les débuts de la 4CV au Japon sont très bons, la voiture est appréciée par les taxis au détriment de la Volkswagen (la fameuse Coccinelle) pourtant moins chère… mais disposant que de deux portes. Sur le marché de la petite voiture, la Renault 4CV va se trouver en concurrence avec la Volkswagen, toujours la même. Quant aux productions locales issues des voitures anglaises, elles s’avèrent finalement peu compétitive. Preuve du succès de la 4CV, jusque fin 1954, le délai d’attente peu monter jusqu’à six mois, et les modèles se revendent sur le marché de l’occasion plus chère que le prix neuf. Hino en profite pour augmenter les cadences de production.
Certes, cette augmentation est liée au petit succès rencontrée par la 4CV, elle est surtout motivée pour obtenir le plus rapidement possible les plans de Renault et accélérer l’intégration de pièces japonaises. D’ailleurs, si Renault pensait que l’échéance arriverait au mieux début 1955, Hino arrive à la six-millième 4CV produite avec un an d’avance. Renault traine les pieds à fournir les plans, Pierre Lefaucheux fera une visite au Japon d’une semaine à l’automne 1954, il tente de désamorcer les conflits latents entre Renault et Hino en proposant une vision d’avenir commune, plus large que la simple 4CV : Renault peut amener camions, tracteurs agricoles et machines-outils. En contrepartie, Renault pourrait se fournir auprès des équipementiers japonais pour les pièces de ses véhicules. L’avenir aurait pu être radieux, mais le 11 février 1955, Pierre Lefaucheux trouve la mort dans un accident de la route…
1955 ne se présente pas sous les meilleurs hospices, d’autant que les constructeurs japonais gagnent du terrain sur les voitures particulières, et le gouvernement nippon met en place des mesures protectionnistes. La 4CV, par son assemblage, s’en sort plutôt bien mais les stocks chez Hino commencent à grossir. Si la situation se résorbe petit à petit, et Hino faisant des investissements pour augmenter toujours plus les cadences de production, le torchon commencer à bruler avec Renault. En 1955, Hino demande à rajouter son logo sur le losange, demande acceptée par la Régie. Puis le M.I.T.I. bloquera les importations de machines-outils françaises au profit d’outillages américain acheté pour produire l’outillage de la 4CV. En juin 1956, Hino demande à Renault l’autorisation d’apporter des modifications substantielles à la 4CV, Renault refuse conformément au contrat, Hino passe outre…
A partir d’avril 1957, Hino est en mesure de produire des 4CV 100% japonaises, puis courant 1958, le M.I.T.I. annonce qu’il s’oppose au paiement des redevances en France. Renaut avait vu le coup arriver, et s’en accommode sans trop batailler, et accepte une indemnisation de 300.000 dollars sur deux ans. La production de la 4CV continuera jusqu’en 1963. En parallèle, Hino produira ses propres automobiles qui conservent le moteur à l’arrière…