Une Ferrari contre les Ferrari ! L’histoire de cette voiture est mouvementée, elle commence fin 1961 avec la fronde d’une partie des cadres de Ferrari qui partent fonder un constructeur rival : ATS. Cette aventure, financée par le comte Volpi, vaudra à ce dernier un refus de vente de la part d’Enzo Ferrari. C’est dans ce contexte qu’arrive la 250 GT Breadvan…
Fin 1961, une partie des ingénieurs de Ferrari, lassés de la place prise par l’épouse d’Enzo Ferrari dans la gestion de l’entreprise, et plus globalement du caractère borné d’Enzo Ferrari qui ne jure que par le V12 et les moteurs placés à l’avant, décident de quitter l’entreprise. Parmi les démissionnaires, il y a des ingénieurs de renom comme Romolo Tavoni, directeur sportif, Carlo Chiti, directeur Technique de la Scuderia Ferrari, ou encore Giotto Bizzarrini, ingénieur de talent… Une partie du groupe part fonder un nouveau constructeur avec l’ambition de rivaliser avec Ferrari : ATS (pour Automobili Turismo e Sport). Et pour financer l’affaire, ils font appel au Compte Volpi, propriétaire de la Scuderia Serenissima et l’un des principal client de Ferrari, qui prend 20% du constructeur ATS.
Lorsque Enzo Ferrari apprend le soutient financier apporté par Volpi à ATS, il annule tout simplement la commande de la Scuderia Serenissima pour deux Ferrari 250 GTO. Sauf que ces voitures, la Scuderia Serenissima comptait dessus pour sa saison 1962. Bref, la guerre est déclarée entre Ferrari et Volpi, et voilà ce dernier imaginer un plan pour contrecarrer la 250 GTO aux 24 Heures du Mans : créer une voiture au moins aussi bien. Ca tombe bien, dans l’aventure ATS, il y a l’ingénieur de talent Giotto Bizzarrini qui avait posé les bases techniques de la 250 GTO. Les deux hommes tentent de mettre sur pied un projet au sein de ATS mais sans que cela se concrétise : en gros, il faudrait partir d’une page blanche, les moyens à dispositions sont trop faibles, et le délai imparti trop court.
La Ferrari 250 GT SBW, base de la Breadvan…
La 250 GT SWB #2819 au Tour Auto 1961, avant de devenir la Breadvan. Cette voiture est sortie d’usine en 1961 en version Competizione, elle reçoit une carrosserie en aluminium et un moteur type 168 développant 289Ch. Engagée au Tour Auto 1961, elle termine sur la seconde marche du podium entre les mains de Lucien Bianchi et Olivier Gendebien.
Volpi décide de partir sur un autre projet mais avec la Scuderia Serenissima, avec les services de Giotto Bizzarrini. Ce dernier ayant participé à l’élaboration de la Ferrari 250 GT SWB, il propose d’élaborer une voiture à partir de ce modèle. Dans le garage de la Scuderia Serenissima, il y a déjà une 250 GT SWB #2819 que le Comte Volpi avait acheté en octobre 1961, engagée aux 1.000km de Paris puis aux 12 heures de Sebring. C’est donc elle qui sert de base à l’équipe de Bizzarrini pour la transformer en une voiture de course capable d’affronter les 250 GTO.
Dans le détail, le moteur de la 250 GT SWB est modifié avec un carter sec, et les trois carburateurs Weber 46 DCN sont remplacés par six Weber 38 DCN. Cela permet de porter la puissance de la voiture à 300Ch, à peu près équivalent à celle d’une 250 GTO. Le gros du travail consistera à modifier la position du moteur, l’équipe menée par Bizzarrini est acquise au moteur en position centrale, alors on le recule le plus possible pour le positionner derrière le train avant. Cela nécessite de refaire la transmission de la voiture. En revanche, on conserve la boite à quatre rapports de la 250 GT SWB quand la 250 GTO bénéficie d’une cinquième.
Pour habiller cette voiture, on fait appel à Piero Drogo qui, avant d’être carrossier, était pilote automobile. Il a quasiment carte blanche à l’exception de la partie avant qui est dessinée par Bizzarrini, Drogo fait appel aux recherches aérodynamiques de Wunnibald Kamm qui a travaillé sur les turbulences à haute vitesse, ce sera donc un toit plat et un capot qui descend vers le sol. C’est ainsi que nait une robe qui se reconnait entre mille, c’est un journaliste anglais qui, avant le départ de la course, lui attribuera le surnom de Breadvan (soit camionnette de boulangerie). Un sobriquet qui va rester à la postérité.
Si l’équipe ne disposait que de quelques jours pour préparer la 250 GT Breadvan, la voiture est prête dans les délais pour participer aux 24 Heures du Mans 1962. La voiture est acceptée par l’ACO mais concoure en catégorie Prototype, alors que les 250 GTO participent à la catégorie GT. Bref, la mission de la 250 GT Breadvan est de se classer avant les 250 GTO au général. Sur le papier, le match semble équilibré avec des puissances similaires, et si la 250 GTO dispose d’une cinquième vitesse, elle est aussi plus lourde de 65kg, la Breadvan semble plus agile avec son moteur centré et positionné plus bas.
Lors des jours de test pour les 24 heures du Mans, la voiture est confiée aux pilotes Colin Davis et Carlo Mario Abate qui arrivent à placer la voiture devant toutes les 250 GTO inscrites. Le départ des 24 Heures du Mans donné, la 250 GT Breadvan confirme sa domination sur les 250 GTO. On est loin de jouer la gagne, mais ce n’est pas le rôle de la voiture. Hélas, les espoirs sont de courte durée puisque à la quatrième heure de l’épreuve mancelle, la 250 GT Breadvan abandonne sur un bris de transmission, l’une des pièces modifiées lors de la préparation de la voiture. Et l’édition 1962 des 24 Heures du Mans verra triompher Ferrari avec la 330, les deux autres places du podium étant occupées par des 250 GTO. Quant à Volpi, il avait réussi à devenir propriétaire d’une 250 GTO via un prête-nom, à l’engager sur cette édition des 24 Heures du Mans, mais la voiture ne voit pas l’arrivée. Quand le sort s’acharne…
Après les 24 Heures du Mans, la voiture n’est pas mise au rebu et on la retrouve sur quelques épreuves. A Brands Hatch, elle termine à la quatrième place menée par Abate. Lors de la course de côte d’Ollon-Villars en Suisse, elle remporte la victoire dans sa catégorie. Puis aux 1.000km de Paris, la 250 GT Breadvan termine à la troisième place, son premier podium… et le dernier aussi. Car la Scuderia Serenissima va fermer ses portes en 1963, le comte Volpi récupère la voiture pour son usage personnel, la repeint en noir puis en gris. Elle va participer à sa dernière compétition en 1965 pour la Cippa Gallenga, qu’elle termine à la 9ème place avant que Volpi ne s’den sépare en mai 1965.
Rachetée par un américain, la voiture part aux Etats-Unis, les badges Scuderia Serenissima sont troqués contre des logos Ferrari, et la voiture retrouve sa teinte rouge. La voiture change de multiple fois de propriétaires, elle arrive en Grande Bretagne dans les années 1970 et est utilisée lors de courses historiques dont elle sort accidenté d’une épreuve en 1976. L’avant reconstruit, la voiture repart aux Etats-Unis dans les années 1980, puis elle fut restaurée dans les années 2000 où elle fut remise en configuration du Mans 1962. Depuis, elle participe à de nombreux évènements et courses historiques. La voiture fut sérieusement endommagée lors de l’édition du Mans Classic 2022.