Le 21 Décembre 1934, le Tribunal de Commerce de Paris a à se prononcer sur la situation de la Société André Citroën et doit entendre, pour terminer l’audience, André Citroën, lequel sera représenté par son fondé de pouvoirs M. Ribardière. A 12h40, le jugement est rendu : la société Citroën est mise en liquidation judiciaire. Les juges estiment donc que la société ne peut plus être sauvée et doit être démantelée pour combler son passif. Quelles sont les causes de cette faillite et pourquoi Citroën a été sauvée malgré cette décision de justice ?
L’origine de la faillite de la Société André Citroën
La chute de l’empire Citroën fin 1934 est la conséquence de plusieurs événements, à commencer par la crise de 1929 qui toucha la France au début des années 1930 et dont Citroën fut une victime collatérale.
La stratégie à contre cycle d’André Citroën
Malgré le krach boursier de 1929, qui touche la France dans les années 1930 et a eu comme effet de refermer le marché de l’automobile puis de le stabiliser à un rythme peu soutenu. André Citroën a sans doute sous-estimé l’ampleur de cette crise, et a continué d’investir massivement dans plusieurs projets, financés en grande partie par des emprunts bancaires à court terme. Parmi ces dépenses, figurent :
_ la reconstruction totale de l’usine du Quai de Javel, réalisée en 1933 pour 147 millions de Francs. Ce projet a été réalisé en grande partie pour laver l’affront que Renault lui avait fait en ouvrant l’usine ultra moderne de l’Ile Seguin en 1931.
_ le développement d’un modèle révolutionnaire : la Citroën Traction; pour laquelle de nombreux brevets sont achetés, et étant innovant, le véhicule doit subir des essais à la fois longs et coûteux.
L’échec de la Traction
Face aux ventes déprimés du secteur automobile, André Citroën pense bon de dynamiser ce marché en lançant une automobile innovante. Problème, la gamme de Citroën se limite alors à la Rosalie, qui n’arrive pas à assurer la pérennité de Citroën, et le projet de Citroën 7 (La Traction) et encore au stade des expérimentations.
La survie de Citroën étant menacée, et les premiers créanciers commençant à s’impatienter fin 1933, la projet de la Citroën 7 est mis en marche forcée : le premier prototype roule fin 1933, la boite automatique est abandonnée en Février 1934 et remplacée en quelques semaines par une boite manuelle. La Traction est finalement présentée le 24 Mars 1934 et commercialisée à partir de Mai.
Si les ventes connaissent alors un sursaut, les premiers déboires se font connaitre rapidement, la voiture manque cruellement de mise au point. La caisse se vrille, les cardans lâchent, jetant un doute du public sur cette voiture, qui rapidement feront décliner les ventes. Le miracle attendu ne se réalise donc pas.
Mais Citroën continue d’investir dans la Traction, pour le salon d’Octobre 1934, apparaissent les Traction 11 et les Traction 22 à moteur V8, mais cette dernière ne connaîtra pas de commercialisation.
Le pouvoir donné aux fournisseurs
Début 1934, les banques commencent à se montrer frileuses envers Citroën, la société accumule le passif et les conditions du marché automobile ne sont pas au beau fixe. L’Etat non plus ne souhaite venir au secours du double chevron au motif du libéralisme économique. Citroën se tourne donc vers ses fournisseurs, en leur demandant soit des reports de créances, soit au mieux, d’apporter de l’argent frais. Plusieurs répondront à l’appel, Mobil Oil, Budd, Chausson, et surtout Michelin, qui comptait déjà 60 millions de Francs de créances. Outre cette motivation, Michelin supporte Citroën pour d’autres raisons : Renault commence à développer ses propres pneumatiques, Dunlop grappille des parts de marché en France, et surtout, l’arrivé d’un constructeur étranger au capital de Citroën éjecterait Michelin des fournisseurs du double chevron.
Michelin devient ainsi de plus en plus influent chez Citroën, et propose en Avril 1934 un plan de restructuration : réduction des dépenses, suppression des stocks et réorganisation de la production sont au programme. Cependant, ce plan butte sur le pouvoir des banques Lazard et Paribas, créancières de Citroën, qui donneront leur accord à la condition de réorganiser la direction de Citroën, et d’éjecter André Citroën. Michelin doit s’y résoudre en lançant la procédure de liquidation fin Novembre 1934, lequel aboutira à la mise en liquidation judiciaire de l’Entreprise André Citroën le 21 Décembre 1934.
Les effets de la liquidation
Courant Décembre 1934, la procédure lancée jette un trouble parmi l’ensemble des personnes intéressées par l’avenir de Citroën, à commencer par les créanciers du constructeur, les petits porteurs d’actions, les ouvriers de Citroën, les garages en province … Pour tenter de calmer ces personnes, le gouvernement émet l’hypothèse de nationaliser Citroën et se rapproche de Michelin, ce qui provoque de vifs débats parlementaires.
Pour Michelin, il n’est de toute façon pas question que l’Etat reprenne Citroën, la liquidation permet à l’entreprise clermontoise de dénoncer l’accord Citroën-Michelin de 1934 le 10 Janvier 1935 et de récupérer à cette occasion 50,91% des voix au conseil d’administration. André Citroën est contraint de démissionner le 31 Janvier 1935 de son poste d’administrateur, mais Michelin demande toutefois à ce qu’il reste président du conseil d’administration. Mais avec la maladie, il va petit à petit s’écarter de son poste et de sa société dont il ne détient plus les rênes.
La remise à flot de Citroën
Après ce changement au sein du conseil d’administration, la priorité de Michelin change, l’objectif prioritaire et d’atteindre la rentabilité coûte que coûte. Pour cela, au vu du marché déprimé, Michelin n’y va pas par quatre chemins et arrête le financement de toutes les dépenses secondaires : la publicité est réduite à son plus simple appareil, décision est prise de cesser l’illumination de la Tour Eiffel, qui sera effective en 1937; le Magasin de l’Europe qui était le plus luxueux hall d’exposition automobile européen ferme ses portes. L’ensemble des succursales européennes sont réorganisées afin d’être plus rentables, tandis que celles déficitaires sont fermés sur le champ. Concernant les usines européennes de Citroën, sur les sept que compte le groupe, seules deux sont sauvegardées, l’une en Belgique, l’autre en Angleterre. Sont également revendues toutes les filiales jugées inutiles : les Taxis Citroën sont cédés à Peugeot, les Assurances Citroën sont cédées à un groupe anglais, et les compagnies de Bus Citroën sont reprises par des compagnies locales.
Le personnel lui aussi est touché, sur les six derniers mois précédent la mise en liquidation judiciaire de Citroën, le personnel avait déjà été réduit de 28%, passant de 25.000 à 18.000 salariés. Mais les licenciements se poursuivent jusqu’en Juin 1936, où Citroën ne compte plus que 11.500 personnes. Pour remplacer cette main d’oeuvre, Michelin acquiert des machines parmi les plus modernes et automatise de nombreux postes, ce qui permet de réduire par deux le temps de production d’une Traction entre 1934 et 1936.
Autre point noir corrigé, les stocks, ceux de Citroën étaient parmi les plus garnis des constructeurs européens. En décembre 1934, 7.000 véhicules neufs étaient en attente de client, ce qui représentait 108,6 millions de Francs. Pour éviter cela, Citroën va désormais adopter sa production par rapport au carnet de commandes. La réduction des stocks se fait également sur les pièces de rechange, mais aussi sur la qualité des pièces produites afin d’éviter des mises au rebut excessives.
L’ensemble de ces efforts combinés permettront une baisse des prix des véhicules Citroën en octobre 1935, permettant de stimuler la demande et de voir les ventes Citroën augmenter dès 1936. La passif se comble petit à petit, et Citroën est remis sur de nouveaux rails…