La sortie de grange, le rêve du passionné d’automobiles anciennes, moment rare où l’on réveille quelques trésors oubliés, lesquels présentent une patine plus ou moins avancée. Si ces moments sont rares et généralement permettent de sortir de l’oubli des voitures populaires, en cette fin d’année 2014, c’est la maison de ventes aux enchères Artcurial qui crée le « buzz » en dénichant un véritable trésor, une collection de voitures de prestige abandonnée en France depuis 40 ans : la Collection Roger Baillon. Mais qu’elle est donc l’origine de cette collection que l’on dit « abandonnée » et redécouverte par Artcurial ? Petite enquête …
L’origine de la collection ?
Cette collection redécouverte en cette fin d’année est le reste de la collection de Roger Baillon, puissant entrepreneur de la région niortaise. A l’adolescence, alors qu’il été destiné à reprendre l’exploitation agricole de ses parents, Roger Baillon se passionne pour la mécanique. Apprenti dans un garage Peugeot à Niort, il se spécialise dans l’aviation ensuite, avant de gérer une station service dans la région parisienne. Après la seconde guerre mondiale, sa station service ayant été bombardée, il revient dans sa région natale et fera fortune dans un premier temps avec une activité de carrosserie. Dès 1945, il récupère alors les camions abandonnés par l’armée allemande et rachète ceux des américains pour ne garder que le châssis et la mécanique, et les recarrosser en véhicules utilitaires. Ces derniers sont loués à des entreprises locales, à la recherche de tels véhicules après-guerre pour relancer leurs activités. L’entreprise est florissante, a tel point que Roger Baillon présente en 1947, lors du salon de l’automobile de Paris, l’Oiseau Bleu, une voiture de prestige qu’il a lui-même dessinée, qui n’aura hélas pas de carrière commerciale. En 1950, Roger Baillon se fait à nouveau remarquer dans son activité de carrosserie avec la Micheline, un camion à cabine avancée, l’un des premiers de l’industrie française du poids-lourds. Cette activité de carrosserie, pendant les années 1960, emploie jusqu’à 200 salariés, et est encore la principale activité de Roger Baillon.
De la production de camions à l’activité de transport, il n’y a qu’un pas que Roger Baillon décide de franchir rapidement, en créant la société des Transports R.Baillon. En effet, inventeur de génie, Roger Baillon a développé une semi-remorque citerne étanche permettant le transport de produits chimiques dangereux. Et dans la région Niortaise, dans le village de Melle, se trouve une usine de production de produits chimiques avec laquelle les Transports Baillon signent un contrat de transport portant sur la quasi totalité de la production. Petit à petit, sa société de transport s’agrandit pour devenir l’une des plus grandes flottes de la région Poitou-Charentes, et peut-être même au niveau national. Dès les années 1960, les camions Baillon arpentent les routes jusqu’au Portugal.
Passionné d’automobiles, Roger Baillon à l’ambition de constituer une collection automobile aux fins d’ouvrir un musée automobile avec son fils Jacques. Avec l’argent qu’il dégage de ses activités, Roger Baillon achète des voitures anciennes dès 1950, en sauve d’autres de la casse à une époque où les Bugatti, Delage et autres ne valaient rien, si ce n’est le poids de la ferraille. Roger Baillon devient ainsi l’un des premiers collectionneurs d’automobiles en France, quasiment en même temps qu’un certain Henri Malartre, et avant même les frères Schlumpf. Cette collection croit rapidement, les véhicules sauvés de la casse sont destinés semble-t-il à des restaurations. La collection comprend plus de 200 voitures à ses plus belles heures.
Pourquoi était-elle cachée ?
Pourquoi cette collection était cachée et demeurait totalement inconnue ? Depuis l’annonce de cette découverte, les passionnés y vont de bon train pour émettre chacun leur hypothèse, certaines plus plausibles que d’autres. Regardons donc plus en détail :
Reprenons l’histoire des Transports Baillon, et de la faillite de la société en 1978. Cette dernière aura eu durant tout son existence un principal client, les Usines de Melle, qui produisait des produits chimiques en tout genre. A côté de ce client, les Transport Baillon arrivent à dénicher d’autres contrats, qui n’auront toutefois pas le même volume que les Usines de Melle. La société des Transports Baillon est donc en position de dépendance économique, et d’un autre côté, la société se développe en achetant majoritairement des camions d’occasion. Sans doute est-ce là un début de preuve d’un manque de trésorerie de cette société ?
En 1967, les Usines de Melle exigent que les transports Baillon modernisent leur flotte de camions, afin de s’assurer que les marchandises seront convoyées en temps et en heure, mais aussi de façon plus sure qu’avec des camions de plus de 10 ans d’âge. Des Unic flambants neufs intègrent alors la flotte des Transport Baillon, rejoint au début des années 1970 par des Büssing d’occasion. Puis quelques Fiat et Berliet neufs compléteront la flotte au milieu des années 1970.
Si le contrat avec l’Usine de Melle est maintenu, les relations vont se détériorer dans la seconde partie des années 1970, puis le contrat ne sera pas renouvelé en 1977. Les transports Baillon perdent le gros de leur volume de transport, les conditions au sein de la société se détériorent, les dettes s’accumulent, les chauffeurs sont payés en retard, puis ne sont plus payés. Une grève de ses derniers entraînera la chute de l’empire Baillon, la faillite est prononcée le 18 Janvier 1978.
Le principal de l’actif des transports Baillon est alors repris par les Transports Onatra, mais cela ne permet pas de combler le passif accumulé par les Transports Baillon. Plus encore, courant 1978, Roger Baillon est mis sur le banc des accusés par l’administration fiscale pour répondre de fraude fiscale. En effet, des mouvements d’argents douteux sont repérés entre sa Société Anonyme crée en 1966 et la société des Transport Baillon. La condamnation tombe en fin d’année, avec à la clé une lourde amende pour Roger Baillon. Ce dernier envisage alors de vendre ses biens immobiliers plutôt que sa collection, mais celle-ci sera saisie avant.
Pour essayer de sauver sa collection, Roger Baillon conteste la saisie, puisque une partie de ses voitures n’avaient pas été déclarées comme faisant partie des biens de ce dernier. Ainsi, la première vente aux enchères se limitera à une petite soixantaine de voitures, cédées sous le marteau du commissaire-priseur DEZAMY les 23 et 24 juin 1979. 1.285.300 Francs sont ainsi récoltés.
En ce qui concerne les autres voitures, la justice suit sont cours, puis en 1985, le 20 Octobre, la seconde vente aux enchères se tient, portant cette fois sur 32 voitures, vendues encore une fois sous le marteau de Maître DEZAMY, avec un résultat de 2.557.600 Francs. Lors de cette vente, la presse locale se demandait alors quand le reste de la collection, qui comprenait encore 80 véhicules, dont une Bugatti, allait être vendue. La réponse, on la connait désormais, ce sera en Février 2015 pour le salon Rétromobile.
Au final, les voitures restantes dans la collection Baillon ont été conservées sur place, sans que personne n’y prête attention, petit à petit, seuls les instigateurs de cette collection et la famille proche resteront au courant de cette collection.
Preuve en est, le décès de Roger Baillon en 1996 n’éventera pas ce « secret », permettant aux voitures de rester dans la famille. Mais le décès de Jacques Baillon en Octobre 2013 lancera la succession de cet important patrimoine. Les héritiers feront donc appel à la maison Artcurial, qui vendra cette collection aux enchères lors de l’édition 2015 de Rétromobile, à Paris.
La collection était-elle « secrète » ?
Est-ce que la collection était si secrète que ça ? Finalement, pas tellement, la presse locale savait, lors de la deuxième vente aux enchères, qu’une partie de collection restait entre les mains de Roger Baillon, qu’elle comprenait environ 80 voitures dont quelques marques prestigieuses figuraient dans la liste. Le restant de cette collection était donc connu ainsi qu’une partie de sa composition.
Par ailleurs, quelques clubs de marques disparues avaient quelques traces de véhicules prestigieux immatriculés dans les Deux-Sèvres, notamment l’amicale Facel-Vega qui avait plusieurs éléments permettant de dire qu’une Excellence se trouvait dans le département.
Plus encore, vers 2010, quelques photos volées de cette collection prises par-dessus un mur avaient été publiées sur un important forum français de voitures anciennes, accompagnées d’un commentaire indiquant « qu’une collection abandonnée se trouvait dans les Deux-Sèvres », des photos qui avaient fait un grand bruit, avant de disparaître très rapidement… La collection n’était donc pas si inconnue que ça, mais restait cependant impossible à approcher. Seul un historien automobile a eu l’occasion de photographier quelques voitures de cette collection pour un ouvrage portant sur les Talbot, un livre publié en 2011.
Le Contenu de la collection
Artcurial annonce jusqu’à 95 voitures qui sont présentes dans la collection Baillon, et sont mises en avant certaines pièces exceptionnelles, à commencer par la Ferrari 250 California qui est la pièce maitresse de la collection par sa valeur, ou encore la Maserati A6G Gran Sport Frua dont seulement 3 exemplaires ont été produits. Mais sont encore présentes une Talbot-Lago T26 Saoutchik du Roi Faroud, une Facel Vega Excellence, et bien d’autres encore …
Cependant, des 95 véhicules présents, tous ne seront pas vendus par Artcurial, qui annonce que seules 60 voitures seront mises en vente lors du salon Rétromobile; et pour cause, au détour de quelques images, apparait des voitures moins atypiques : Renault Dauphine, Renault 12, Peugeot 604, 204 … Que deviendront ces véhicules ? Espérons qu’elles aussi auront la possibilité de revenir sur le marché de l’automobile de collection, et qu’elles ne seront pas sacrifiées pour ne laisser subsister que les pièces majeures de la collection…
Si la crainte est de voire les meilleures voitures « sauvées » et le reste envoyé à la ferraille, un contact avec Artcurial m’a indiqué que les voitures qui ne figuraient pas dans la liste de Rétromobile seraient conservés par les héritiers. Cependant, un second contact avec cette société m’indique que toutes les voitures, compte tenu de leur état, ne pourraient pas être transportés à Rétromobile. Drôle de réponse, quand on sait que la Talbot-Lago T26 Grand Sport Saoutchik, complètement détruite, figure dans la liste … Certains parleront de « pièce d’art » à son propos, justifiant sa présence lors de la vente aux enchères.
Où se trouvait cette collection ?
Peu d’éléments dans la presse où se situait cette collection, les premières dépêches parlaient du sud-ouest de la France, puis du département des Deux-Sèvres, et enfin, la région niortaise. Artcurial évoquait un petit village de campagne; quelques reportages montraient le château de la propriété.
Avec quelques renseignements mis bout à bout, le nom de Roger Baillon, quelques recherches me permettront de découvrir – trop tard – le lieux de cette collection, qui se situe dans le village d’Echiré, au Château Gaillard. Un rapide aperçu sur « Google Earth » confirme cette adresse avec l’immense surface en tôle ondulée à proximité du château.
Un joli coup de publicité ?
La découverte de cette collection est apparue dans les médias le 05 Décembre 2014, et la vente aux enchères aura lieu le … 06 Février 2015 ! L’annonce, faite deux mois avant la vente aux enchères semble être un beau coup de publicité pour Artcurial, l’effet d’annonce est réussie, par une médiatisation internationale orchestrée de cette (re)découverte. Les voitures sont donc désormais mises en avant comme jamais ! Les collectionneurs sont mis au parfum, mais surtout les investisseurs, habituels « clients » des ventes aux enchères. Qui rachètera les éléments de cette collection, et à quel prix ? Réponse début Février lors de Rétromobile …