Dans les voitures mythiques de l’industrie automobile française, il y a de nombreuses Citroën dont l’une des premières a obtenir ce titre fut la Traction. Il faut dire que la Traction révolutionne le marché automobile avec les nombreuses innovations qu’elle embarque, à commencer par les roues motrices à l’avant dont elle tire son nom.
Au début des années 1930, le marché automobile connait la crise suite au krach boursier de 1929, et chez Citroën, la situation devient délicate. Il faut dire qu’André Citroën use des fortunes dans sa communication, modernise l’usine du quai de Javel à coup de crédits de plusieurs millions de francs, et la gamme Citroën se réduit à la seule Rosalie dès 1932. Cette dernière est peu innovante et surtout, n’est guère populaire, un positionnement délicat en ces heures difficiles, les ventes sont peu élevées et ne suffisent pas à pérenniser la société. Par exemple, sur l’année 1932, les ventes chutent d’un tiers !
André Citroën le sait, pour donner un nouvel élan à sa marque, il faut frapper fort à grand coup d’innovation, comme Citroën l’a toujours fait jusque là (production à la chaîne, tout acier…). C’est ainsi que Citroën se met à plancher sur un nouveau projet dès mars 1932, un projet ambitieux nommé PV pour « Petite Voiture ». Le cahier des charges vise à concevoir une voiture économique de la classe des 7Cv équipée d’éléments révolutionnaires pour surclasser la concurrence : transmissions aux roues avant, caisse monocoque…
Pour mener à bien ce projet, André Citroën s’entoure d’une équipe d’ingénieurs de talents, avec à la tête André Lefebvre, débauché chez Renault début 1933 à qui André Citroën donna carte blanche. Homme de défis, il n’hésita pas une seule seconde pour relever le pari de la future Traction Citroën, entouré de l’artiste Flaminio Bertoni pour le style, Sendaud de Lavaud pour la transmission automatique, Grégoire pour l’étude des cardans, et tant d’autres encore…
Bref, le projet PV est un véritable rêve pour les ingénieurs, cependant, André Citroën impose une contrainte majeure : créer cette voiture au plus vite pour la commercialiser le plus tôt possible, car à défaut de nouveauté rapidement, Citroën devra mettre la clé sous la porte. Ainsi, le projet PA a fait l’objet de divers compromis, André Citroën aurait à l’origine aimé un moteur à plat, mais il y renonce dès le début du projet pour aller au plus vite. Pareil, la mise au point de la transmission automatique est trop délicate, si bien que les ingénieurs se retournent rapidement sur une boite manuelle à trois rapports.
Pour le reste, la Traction bénéficie de plusieurs innovations : la traction avant et son système de cardan qui fut difficile à mettre en œuvre, la caisse monocoque réalisée grâce à un procédé breveté par l’américain BUDD qui permet d‘abaisser le centre de gravité, un système de freinage hydraulique venant de chez Lockheed, une suspension par barre de torsion. Si la Citroën Traction n’invente rien, son point fort est d’embarquer autant de solutions techniques d’avant-garde, permettant à la voiture de distancer ses rivales et leur mettre plusieurs années d’avance technologique.
L’autre point fort de Citroën aura été de développer cette voiture en moins de deux ans, car la Citroën Traction est présentée pour la première fois le 18 avril 1934. En réalité, la voiture ne s’appelle pas Citroën Traction mais Citroën 7A, le sobriquet de Traction n’est qu’un surnom donné par le public à la voiture, avec lequel Citroën jouera. Cette nouvelle venue est résolument moderne avec sa carrosserie dans l’ère du Streamline Moderne, la voiture se distingue au premier coup d’œil du reste de la production automobile, restée aux « caisses carrées » pour la plupart. Aussi, l’outillage alors disponible ne permettait pas de créer des pavillons de toit, si bien que les premières Citroën Traction ont un toit en moleskine, il faudra attendre quelques mois pour que BUDD livre des presses capables de réaliser cette pièce.
Attendue comme la sauveuse de Citroën, la Traction fait sombrer la marque. Certes, la voiture se remarque, attire de nombreux clients, mais les premières Traction souffrent de défauts plus ou moins importants. Certaines caisses monocoques se vrillent à cause d’une rigidité douteuse, cardans qui se cassent en laissant s’échapper une roue avant… Les premiers clients essuient trop de plâtres, si bien que la Traction est rapidement cataloguée comme une voiture peu fiable. La raison est simple, à vouloir lancer rapidement la voiture, Citroën a bâclé la mise au point de la Traction. Et une fois la Traction en panne, elle était arrêtée pour de nombreuses semaines car le réseau Citroën n’avait pas été approvisionné en pièces de rechange et peu de garages avaient été formés à réparer la Traction.
Citroën est très réactif et fait évoluer la Traction très rapidement, la 7A produite depuis Avril 1934 cède sa place trois mois plus tard à la 7B après environ 6.000 exemplaires produits. La 7B dure à peine plus longtemps et cède sa place à la 7C dès octobre 1934 avec une production frôlant les 10.000 unités. Outre les améliorations, la gamme s’élargi rapidement avec la 7S produite entre juin et novembre 1934 dont environs 1.500 unités sont écoulées. Puis vient la 11A en Novembre 1934 à la caisse plus large et plus longue et la 11AL qui succède à la 7S. Dans le même temps, Citroën présentait la Traction 22 équipée d’un moteur V8, un projet bien avancé mais qui ne verra jamais le jour… Et puis il y eu les versions cabriolet et faux cabriolet (coupé) de la Traction qui apparaissent à cette époque.
Au final, malgré ces efforts, le miracle espéré ne se réalise pas même si la Traction fut vendu à 28.000 exemplaires sur l’année 1934. Mais les finances de Citroën, déjà bien attaquées par la restructuration du Quai de Javel et le projet PV, ne se relèvent pas du manque de fiabilité des premières Traction, et déjà, les créanciers du double chevrons lâchent la marque, Citroën est contraint à la faillite le 21 décembre 1934. L’histoire de Citroën, et de la Traction, auraient pu s’arrêter là. Mais Michelin vient en sauveur et engage un plan de restructuration de la marque.
Concernant la Traction, l’heure est à la fiabilisation du modèle, l’argent frais apporté par Michelin permet aux ingénieurs de travailler dans ce sens, mais aussi de présenter de nouvelles versions. Les cardans évoluent courant 1935, la même année, la malle arrière s‘ouvre depuis l‘extérieur, puis en 1936, la Traction s’équipe d’un nouveau train avant, d’une direction à crémaillère et de nouvelles jantes. La Traction s’enrichie des versions 11B et 11BL en février 1937, puis de la version 15-Six à moteur six cylindres en ligne dès 1938. La Traction reçoit quelques petites évolutions, comme les jantes Pilote qui apparaissent en 1938, ou encore quelques évolutions mécaniques durant l’année 1939 avec l’apparition de la 7 Eco.
Avec l’ère Michelin, la Traction est devenue une voiture fiable dès 1936, et si les ventes ont diminuées en 1935 avec 19.000 unités, c’est pour mieux repartir ensuite avec 30.000 unités en 1936, jusqu’à 55.000 exemplaires pour le millésime 1938, 50.000 en 1939. Mais avec la seconde guerre qui arrive courant 1940 en France, les ventes chutent sous les 10.000 unités en 1940, et quelques exemplaires sont produit au compte goutte entre 1941 et 1942 par les occupants pour leurs propres besoins. Si la Citroën Traction n’est plus produite au cours du second conflit, ses qualités en font une voiture recherchée à la fois par l’occupant que par les résistants.
Une fois la paix revenue en Europe, la production automobile redémarre doucement, chez Citroën, la reprise se fait avec la Traction qui est encore d’actualité. En 1946, la Traction reçoit un nouveau capot moteur dont les volets sont remplacés par des fentes, quant aux jantes, elles deviennent pleines. Seule la berline voit le jour après 1945, les versions coupés et cabriolets resteront sans suite après le conflit mondial.
Malgré ses 10 ans, la Citroën Traction connait encore une fois un important succès, et voit apparaître petit à petit des rivales sérieuses, à commencer par la Peugeot 203 en 1948 puis la Renault Frégate fin 1950. Sur le plan de la carrosserie, la Traction commence à porter le poids des années mais Citroën entreprend courant 1952 un rajeunissement de sa voiture. Les clignotants appariassent sur les ailes, le tableau de bord est peint en blanc dans sa partie supérieure, le tachymètre devient plus moderne. En fin d’année, la malle devient bombée, l’intérieur est revu et offre une meilleure luminosité avec l’utilisation de matériaux clairs.
Et la recette fonctionne, d’autant que la Citroën Traction offre un très bon rapport qualité prix. Pour Citroën, ce rajeunissement est vital car le projet qui doit remplacer à terme la Traction n’est pas encore prêt et mettra encore deux années pour déboucher sur la commercialisation de la DS. En attendant, la Traction teste en avant première la suspension hydropneumatique sur son train arrière avec la version 15/6 Hydro à partir de 1954 (lire aussi : Traction 15/6 H). La Traction lutte ainsi jusqu’en 1955, où la Citroën DS renvoi le reste des berlines au rang des antiquités.
Si l’arrivé de la DS condamne la Traction, cette dernière ne s’efface pas tout de suite, Citroën joue les prolongations pour la clientèle qui ne peut s’offrir une DS, mais en 1957, Citroën propose l’ID (une DS bas de gamme) qui scelle la carrière de la Traction, dont la production s’achève courant juillet 1957 par la production d’une familiale. 23 années après sa présentation, la Citroën Traction s’est vendue à 759.111 exemplaires et a révolutionné à sa façon l’industrie de l’automobile.