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Ford Transcontinental (1975-1982)

               Avec sa gueule de Berliet et sa cabine haute sur patte, le Ford Transcontinental est un véhicule qui questionne lorsqu’on le croise pour la première fois. Il s’agit de l’une des rares tentatives de Ford pour pénétrer le marché du poids-lourd européens, mais aussi important échec pour le constructeur américain…

              Ford est un constructeur connu et reconnu dans le domaine de l’automobile à la fin des années 1960, le constructeur américain est présent en Europe au travers de ses filiales Allemande et Britannique, fusionnées en 1967 au sein de Ford Europe. Sur le vieux continent, Ford propose une gamme de voitures aux solutions techniques classiques mais éprouvées, la fusion entraine la création d’une gamme commune, initiée dès 1965 avec le Transit. Si Ford Europe se débrouille bien sur le marché des voitures particulières, c’est moins le cas sur le marché des utilitaires. Certes, le Transit fonctionne bien, mais Ford n’est quasiment pas présent sur le marché du camion, il faut attendre le D-Series lancé en 1965 par Ford UK et diffusé en Europe continentale pour que Ford s’établisse sur les camions de moyen tonnage. 

                 Le succès du D-Series à la fin des années 1960 et la fusion des entités Européennes pousse Ford à devenir un constructeur généraliste, et notamment à aller conquérir le marché des « super lourds ». Sur le marché nord-américain, Ford propose des poids-lourds, l’idée initiale est de commercialiser un camion américain adapté à la règlementation européenne. Mais rapidement, cette idée prend du plomb dans l’aile tant les modifications à apporter son importantes (ce qui abouterait, de fait, à concevoir un nouveau camion), aussi, les camions américains sont dépassés technologiquement par rapport aux équivalents européens. Difficile dès lors de proposer un produit capable de conquérir les transporteurs… 

Le Ford W-Series, un temps pressenti pour chapeauter la gamme industrielle Européenne

                  Comme il n’est pas question non plus de lancer l’étude d’un tout nouveau camion, ce qui représenterait un investissement conséquent pour des retombés aléatoires, et comme Ford Europe tient à son camion super lourd, il est décidé d’assembler un camion en achetant les composants auprès d’équipementiers et d’autres constructeurs. Cette pratique, encore peu développée en Europe, a cours aux Etats-Unis, où la plupart des constructeurs développent un châssis et une cabine, laissant le choix au client de choisir ses équipements mécaniques. L’avantage de cette solution, elle permet d’éviter d’assumer les couts de développement de l’ensemble des composantes.

           Aux débuts des années 1970, Ford Europe pose les bases de son futur camion. Le châssis sera celui du camion américain Ford L-Series, une gamme lancée en 1970, le reste des composants proviendra d’équipementiers qui devront être choisis pour être capable d’assurer un service après-vente sans faille auprès des clients. Initialement, Ford Europe envisageait d’utiliser des moteur Mercedes-Benz, une transmission ZF et une cabine provenant de chez DAF, cette solution ne fut pas retenue. A la place, Ford opte pour le motoriste américain Cummins qui propose des six cylindres en ligne pour ce projet, les ponts proviendront de chez Rockweel et la boite de vitesses de chez Fuller. Quant à la cabine, c’est le français Berliet qui remporte le contrat avec sa KB2400 présentée en 1970 sur la gamme TR, elle est parmi ce qui se fait de mieux en Europe. 

La production démarre

                     Il reste alors à mettre en place ce mécano géant. Le marché prioritaire pour le futur camion de Ford est le Royaume-Uni, c’est donc là-bas que la mise au point se fait. Les cabines Berliet sont envoyées chez le constructeur Foden qui opère les transformations nécessaires pour recevoir le moteur Cummins. Etonnamment, le site de production retenu est l’usine Ford d’Amsterdam, aux Pays-Bas, qui recevra les cabines venues de Grande-Bretagne et les moteurs directement des Etats-Unis. Début 1975, tout est fin prêt, la présentation a lieu au mois de Mai, le premier camion lourd de Ford en Europe s’appelle Transcontinental, un nom qui présente l’avantage d’être compréhensible sur la quasi-totalité du continent et qui dévoile les ambitions du véhicule : œuvrer sur les lignes internationales, celles reliant l’Asie ou l’Afrique à l’Europe. Et il y a un soupçon d’arrogance à l’américaine. 

               Regardons le Transcontinental plus en détail, la première chose qui marque, c’est la hauteur de la cabine, le toit est mesuré à 3,16 mètres, soit la plus haute sur le marché européen. L’espace alloué au moteur ne prend que dix centimètres de la cabine (le compartiment moteur étant principalement au niveau du châssis), c’est donc l’espace alloué au chauffeur qui bénéficie de cette hauteur, le volume de la cabine et son plancher plat sont des atouts de taille par rapport à la concurrence. A l’intérieur, deux couchettes et jusqu’à trois fauteuils (en option), le confort y est royal, la cabine est suspendue par quatre ressorts hélicoïdaux et deux barres antiroulis. En revanche, il faut grimper pour accéder à la cabine, une véritable échelle composée de trois marches pour accéder à bord. 

                    Ford propose une liste des options longue comme le bras pour satisfaire ses clients. Rappelons que le Transcontinental vise les trajets en Transport Routier International, il faut donc choyer le conducteur qui partait en mission pour plus d’un mois de route: climatiseur, chauffage autonome, toit isolant, réchaud à gaz, lavabo avec réservoir de dix litres d’eau, réfrigérateur… Selon les lignées visées, le réservoir d’essence peut être porté à 600 litres et la suspension peut être renforcée.

                 Le moteur, comme indiqué précédemment, provient de chez Cummins, il s’agit d’un six cylindres en ligne Diesel de 14 litres de cylindrée, il s’offre en différentes versions offrant des puissances entre 240 et 335Ch. La transmission est confiée à une boite Fuller à neuf rapports, treize rapports en option. Les moteurs Cummins sont biens connus, Ford annonce un espacement entre les révisions de 20.000km. Pas la peine de chercher, il n’y a pas mieux ailleurs, ce qui permet au Transcontinental de faire plusieurs aller-retour au Moyen-Orient avant de passer par la case garage. Quant à la consommation, elle est en moyenne de 42 litres aux 100km sur la gamme Transcontinental, une partie de la concurrence est plus sobre mais Ford reste dans la norme. 

L’entretien se veut être un point fort du Transcontinental

                 Reste un problème de taille sur la fiche technique, le poids du camion : 7,3 tonnes. C’est lourd, très lourd même. Le problème, c’est qu’il existe des limites de poids des ensembles routiers. Plus le camion est léger, plus il peut transporter de marchandise, un principe bien connu par les camions d’Antoine Lohéac en France. En Europe, le poids total est limité à 38 tonnes, mais en Angleterre, le marché principalement visé par Ford, le poids des ensembles est limité à 32 tonnes. Cela, le constructeur américain le sait, mais armé de bons juristes, il sait aussi que le Royaume-Uni devra harmoniser sa règlementation compte-tenu de son intégration à la Communauté Economique Européenne en 1973. Mais dans les faits, la règlementation ne bougera pas avant 1983… C’est donc un pari loupé pour Ford et, sans dévoiler la suite, ce fut l’une des raisons de l’échec du Transcontinental. 

                     Aussi, le réseau européen de Ford voit d’un mauvais œil le fait de vendre des poids-lourds aux côtés de voitures particulières, s’agissant de deux clientèles différentes et sans lien entre elles. En outre, recevoir le Transcontinental nécessite de la part des concessionnaires un investissement conséquent en matériel. Le réseau de vente (et donc du service après-vente) du Transcontinental est réduit à peau de chagrin, limitant encore plus les possibilités d’écouler ce camion. Quant à l’accueil par les transporteurs, c’est tout ou rien. En France et en Italie, Ford est perçu comme un nouveau venu dans le monde du poids-lourds et fait face à une certaine méfiance, mais engrange quelques contrats. Au Royaume-Uni, son poids à vide limite ses débouchés mais il trouve preneur. C’est aussi le cas en Allemagne et dans les pays d’Europe du Nord où le Transcontinental s’écoule plutôt bien. Mais les prédictions de 560 Transcontinental par mois ne sont jamais atteintes… Il faut dire qu’en raison de la crise pétrolière de 1973, les ventes de véhicules industrielles se sont rétractées en Europe, et les constructeurs se sont lancés dans une guerre des prix  à laquelle Ford ne peut répliquer, le Transcontinental faisant partie des camions les plus chers du marché. 

1978, pour stimuler la demande, Ford offre un restylage au Transcontinental

                En 1978, comprenant que le Transcontinental a besoin d’un coup de pouce, Ford Europe décide de passer à la seconde version de son camion. En fait, un restylage qui voit sa calandre tôlée troquée contre une nouvelle calandre en plastique noir avec le logo ovale au centre. Les moteurs Cummins, jusque-là assemblés aux Etats-Unis, sont désormais fabriqués en Ecosse et équipés d’un turbo, la plage des puissances passe de 240 à 345Ch. Aussi, Ford entreprend d’alléger le poids du Transcontinental et gagne 300kg. La nouveauté devait stimuler la demande, elle ne fera pas changer le cours des choses. Quant à l’usine d’Amsterdam, elle perd la production des Taunus et Transit en 1978 pour ne conserver que celle du Transcontinental, l’avenir de cette unité de production semble tout droit dessiné, une fermeture confirmée en 1981. Entre temps, le personnel sentant la chose venir, le moral n’était pas au beau fixe, la qualité des assemblages en prend en coup. 

                Cette année-là, la production du Transcontinental arrive en Grande-Bretagne au sein des installations du constructeur Foden, un constructeur de véhicules industriels réputé outre Manche. Là-bas, la fabrication du Transcontinental gagne en qualité, mais les chiffres de ventes restent désespérément bas. Ford mange son pain noir mais dans les cartons, le constructeur américain prépare l’avenir avec le Cargo, un camion entièrement nouveau dessiné par Le Quément et présenté en juin 1983. Dès lors, les jours du Transcontinental sont comptés, le dernier sort d’usine en décembre 1983 après 8.735 exemplaires. En sept ans, c’est peu…