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Sortie de grange d’une Citroën Traction 7C de 1935

           La sortie de grange est pour beaucoup le rêve du passionné d’automobile, le côté recherche de trésors et la renaissance d’une voiture endormie sont de bonnes motivations, trouver une voiture avec sa patine est une noble récompense. Grâce à quelques amis, j’ai pu assister à de belles renaissances de voitures anciennes, et celle que je vous présente aujourd’hui est l’une des plus belles, car il s’agit d’une Citroën Traction 7C… de 1935 !

grange 1.1

            C’est par un matin d’été qu’une bande d’amis de longue date dans le monde de l’automobile ancienne part chercher une Citroën Traction type 7C datant du début de l‘année 1935, l‘une des premières Traction donc. Une semaine auparavant, l’un d’entre nous était parti en éclaireur découvrir cette voiture connue de ses seuls propriétaires et a appelé à l‘aide certaines de ses connaissances pour effectuer cette sortie de grange. Il n’en faut pas plus pour aiguiser ma curiosité et donner une réponse positive. Nous partons donc de Limoges, direction le sud de la Haute-Vienne pour atteindre un village d’un peu plus de milles âmes après une quarantaine de minutes de route. La première surprise, c’est de découvrir la grange qui renferme cette Traction en plein centre-ville de ce petit village, et non au fin fonds d’une ferme reculée de toute civilisation comme c’est souvent le cas pour les sorties de grange.

grange

               Nous sommes accueillis par des propriétaires très sympathiques qui nous ouvrent le portail, une dizaine de mètres nous séparent de la grange. Le cadre est magnifique, une maison du début des années 1900, un jardin entretenu avec goût, et une ancienne écurie qui renferme la star du jour. Dans un mélange d’excitation et d’impatience, le propriétaire sort de sa poche la clé de la porte, la glisse dans la serrure. Le premier volet s’ouvre, faisant entrer la lumière qui se reflète sur une calandre Citroën et deux optiques jaunes. Une fois le second volet ouvert, la Traction se dévoile : elle est noire, posée sur cales… Elle attendait patiemment depuis 1958 de trouver une âme capable de lui redonner vie, soit un arrêt de plus d’un demi-siècle !

Citroën Traction 7C - 1935 - grange sortie (6)

               Le cadre qui entoure cette Traction est tout aussi sympathique, des vieilles planches, des vieux outils, quelques reliques d’un autre temps entourent la voiture. Heureusement, l’intérieur de cette écurie est très sec, cette Traction a été conservée dans de très bonnes conditions et, au lieu de dépérir, s’est dotée d’une patine à faire rêver plus d’un amateur d’anciennes. Avant de démarrer la sortie de la voiture, un rapide tour s’impose pour prendre connaissance avec cette Traction 7C, la voiture présente un jus remarquable, aussi bien côté carrosserie que dans l’habitacle. On pourrait presque croire que son propriétaire l’aurait laissée ici hier. La fine couche de poussière, les quelques toiles d’araignées et les roues arrières dégonflées nous rappellent que la voiture dort depuis fort longtemps.

              Un rapide contrôle avant d’enlever les chandelles s’impose pour vérifier qu’aucune roue n’est bloquée : la chance est avec nous. Une fois les roues au sol, il n’y a plus qu’à extirper la voiture de sa prison à l’aide de sangles et d‘un petit 4×4. En quelques secondes, cette Traction pointe le bout de son nez dehors, le beau temps aidant sans doute, le reste de la voiture suit sans plus de difficultés. Moins de deux minutes auront été nécessaires pour cette première opération.

Citroën Traction 7C - 1935 - grange sortie (1)

               La Traction 7C sous le soleil haut-viennois se laisse admirer, la patine confirme ce que nous avions vus dans la grange : une voiture dans un état incroyable après avoir passé presque six décennies sans rouler. Quelques petits détails attirent mon attention, comme une inscription « Vitesse max : 70km. ». Cette Traction fut donc limitée par les capacités de ses pneumatiques, incroyable ! Sa propriétaire ouvre une porte de cette voiture qu’elle avait connu durant son enfance, ses premières paroles ont soulignées l’odeur de l’habitacle qui est resté le même que dans ses souvenirs. Car cette voiture est avant tout une « voiture de famille » et a une petite histoire que la propriétaire souhaite nous raconter une fois que la voiture sera chargée sur la remorque.

                 Encore nous faut-il remorquer la Traction jusque dans la rue, la petite dizaine de mètres qui nous en sépare fut l’objet d’une belle frayeur. Lors du remorquage, la Traction ripe vers le muret du portail, et sans une grande attention, l’aile avant gauche aurait pu souffrir d’un choc. Heureusement, la voiture est sauve, quelques manœuvres pour la remettre dans le droit chemin permettent d’hisser la 7C dans la rue. Garée dans le bourg que la Traction n’a pas vu depuis longtemps, le cadre est propice à quelques photos qui pourraient laisser croire que la voiture est simplement garée. Moins de cinq minutes plus tard, elle était chargée sur la remorque, prête à partir pour une nouvelle vie. Les propriétaires nous proposent d’entrer chez eux pour nous conter l’histoire de cette voiture, comme promis.

                  La propriétaire de cette Citroën Traction 7C dispose de tous les papiers de la voiture et nous raconte son histoire : cette 7C a été commandée neuve au début de l’année 1935 et livrée en Dordogne début février 1935, date de sa première immatriculation. Nous pouvons donc affirmer que cette voiture a été produite quand André Citroën se trouvait encore dans les hautes sphères de son entreprise puisqu’il quitta la direction le 31 janvier 1935, poussé par Michelin qui était venu en sauveur de la marque au double chevrons : la Traction que nous admirons aurait pu couler Citroën sans cet acteur ! Mais revenons à la 7C que nous venons de sortir de sa grange, la voiture change de main en 1938 pour tomber dans la famille qui la possède encore aujourd‘hui, son acquéreur la trouve dans un garage de la ville de Limoges. L’acquéreur, haut gradé de la gendarmerie à Limoges, demande des renseignements sur la voiture à ses collègues d’une brigade du sud de la Haute-Vienne qui en obtiennent un historique complet.

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                   Une lettre manuscrite indique que le premier propriétaire a rapidement revendu la voiture, déçu des avaries mécaniques. L’auteur rappelle que la Citroën Traction n’était pas une voiture fiable lors de son lancement, que Citroën avait tenté de faire des efforts sur le modèle sans parvenir à atteindre la voiture parfaite. Mais avec la 7C, il y avait déjà un léger mieux « sans toutefois atteindre le niveau de perfection des Traction contemporaines [la lettre date de 1938] ». Cette lettre mentionne également le prix d’achat du second propriétaire de la voiture (12.000 Francs) et propose à son ami de ne pas l’acheter au-delà de 13.000 Francs, car au-delà, ce « ne serait pas une bonne affaire ».

              La voiture reste aux mains de ce troisième propriétaire durant la seconde guerre mondiale et arrive à passer entre les mailles du filet allemand qui réquisitionnait à tour de bras ce modèle pour l’attribuer à ses armées. C’est à la toute fin du second conflit mondial, fin juin 1945, que le propriétaire reçoit de la part de la Préfecture de la Haute-Vienne une réquisition de sa Traction pour l’attribuer au Sous-préfet de Bellac. Début octobre 1945, une lettre émanant de ce sous-préfet enjoint le propriétaire de venir récupérer sa Traction, mais celui-ci souligne le mauvais état de la voiture, et hésite même à la restituer à son propriétaire compte-tenu du montant de la facture de réparations. Sur un ton cynique, le sous-préfet signale que les pneumatiques sont en très mauvais état et qu’il a dû en changer un, et propose au propriétaire de venir avec un pneu neuf et une batterie pour récupérer la Traction car le sous-préfet entend bien conserver les éléments qu’il a lui-même acheté… après avoir bien utilisé la voiture. Même pas un remerciement…

                  Une facture du « Central Garage » de Limoges en date de début novembre 1945 est assez salée, 8.500 francs de réparation ont été nécessaires pour remettre la voiture en état de rouler, après avoir été remorquée de Bellac à Limoges. Une somme très élevée, d’autant que nous sommes quelques mois après la libération du Limousin ! L’histoire ne dit pas qui de l’Etat ou du propriétaire s’est acquitté de la note, mais celle-ci est belle et bien au nom de son propriétaire. Après guerre, la voiture sert donc de voiture de famille, a toujours fait l’objet d’un entretien auprès de garages Citroën et change d’immatriculation en 1955 pour adopter le nouveau système d’immatriculation. Puis cette Traction a été remisée une dernière fois dans sa grange en 1958… L’histoire de cette voiture recommence donc aujourd’hui…

                 Une fois arrivé à notre destination finale, nous remettons de l’air dans les pneumatiques qui ne perdent pas d’air (j’aimerai bien voir un pneumatique d’aujourd’hui regonflé dans 60 ans…), cela permet de manœuvrer beaucoup plus facilement cette 7C, et la mettre en place pour l’inspecter. Avoir devant soit une des premières Citroën Traction est une occasion rare, cela permet d’analyser les éléments spécifiques aux premières séries. En réalité, bien qu’immatriculée moins d’un an après le lancement de la Traction, la 7C est déjà la troisième génération de la voiture après les 7A et 7B, preuve que Citroën essayait de corriger rapidement le tir.

Citroën Traction 7C - 1935 - moteur

                    Avec la 7C qui apparait courant décembre 1934, Citroën tente de proposer à sa clientèle une Traction exempte de reproches, cette nouvelle version est dans la droite lignée des 7A et 7B mais s’équipe d’un nouveau moteur de 1.628cm3 entrant dans la catégorie des 9CV. Surtout, la 7C dispose d’un toit entièrement tôlée et non plus en moleskine comme par le passé, cela permet de mettre un terme aux problèmes de rigidité des caisses de la Traction, bien que les premières 7C, comme la notre, ont un toit soudé et non réalisé d’une seule pièce : Citroën ne disposait pas d’une presse capable d’usiner le toit en un seul bloc.

Citroën Traction 7C - 1935 - interieur

                   Mais à part cela, notre Traction 7C reste fidèle au dessin de Bertoni, avec entre autre le capot à flasque typique aux avant-guerres, plus spécifiquement à ce modèle, la voiture n’est pas encore équipée d’une malle de coffre qui apparaît quelques mois plus tard, cette 7C dispose de deux trappe à essence sur sa face arrière, de deux trappes devant le pare-brise. Plus nous détaillons la voiture, plus nous trouvons des éléments spécifiques : amortisseurs Boge Repusseau d’origine, moteur d’essuie-glace à dépression, les bavettes sous les ailes avant, l’échappement qui passe au travers du jambonneau avant droit, la commande de starter automatique… Tout y est, et tout est conforme à l’origine du modèle. Bref, voilà ce qui fut une superbe sortie de grange.