En 1934, lorsque Citroën présente la Traction, le monde de l’automobile en France commence à s’inquiéter puisque la marque aux chevrons venait encore une fois de frapper très fort. Sa voiture était moderne, et même innovante, puisqu’elle adoptait à la fois la traction avant, la caisse monocoque, et une ligne très fluide qui semblait à cette époque aérodynamique. Si certains concurrents ne s’inquiètent pas de la nouvelle venue, à l’instar de Renault, d’autres redoutent la nouvelle arme de Citroën et vont tenter de modifier leur production afin de présenter quelque chose qui puisse tenir tête face à la Traction. Peugeot quant à lui préparait un projet de voiture lorsque la traction fut présentée, un véhicule à la ligne très moderne, dans le ton de l’époque, qui donnera naissance à la Peugeot 402, puis 302.
Dans la série des Peugeot -02, je voudrais la 302 ! Cette voiture est sans doute l’une de plus rares de cette série puisque la 302 a eu une carrière éphémère. Pour preuve, présentée en août 1936, elle termine sa carrière à peine deux ans plus tard en avril 1938 après tout juste 25.000 exemplaires ! Il faut dire que la 302 ne fut pas aidée par son positionnement, coincée entre la haut de gamme 402 et la plus populaire 201, puis 202 lors de sa dernière année de carrière. Mais la 302 disposait de qualités, c’est pour cela que sa caisse fut reprise à l’arrêt de sa production pour créer la 402 Légère, mais qui reprenait tous les dessous de la 402.
La Peugeot 302 est une voiture malheureusement oubliée, aussi bien par les passionnés que par la presse spécialisée, rares sont les magazines à faire un article sur cette sochalienne. Pourtant, la 302 est loin d’être l’un des véhicules les moins intéressants que la marque ait fabriqués, et l’un des moins faciles à dénicher avec ses 25.000 exemplaires produits. Mais la 302 semble encore faire les frais de son positionnement difficile dans la gamme d‘alors, et, surtout, de la paresse des bureaux d’études de Peugeot qui semblent ne pas s’être trop foulé pour concevoir cette nouvelle voiture, puisque étant une simple copie en réduction de la 402. L’histoire de la 302 est donc intimement liée à celle de sa grande sœur.
Les premières traces du projet de la Peugeot 402 remontent à 1933. Les équipes s’attèlent en période de crise à sortir un véhicule qui sorte de l’ordinaire afin de se démarquer de la concurrence, sur un marché qui était en chute libre au niveau des ventes. Pour cela, la marque sochalienne va puiser du côté des Etats-Unis son inspiration, où une mode très en vogue, le « streamline modern », guide les orientations en matière de design, et avait donné naissance à la célèbre Chrysler Airflow. Mais l’arrivée de la Traction en 1934 va donner un coup de fouet à ce projet, les ingénieurs doivent désormais tout faire pour présenter la voiture lors du salon de 1935 et faire écho au lancement de la Traction. Sa présentation se fait alors en grande pompe, avec plusieurs variantes : berlines, limousine, roadster, coach … Mais ce qui interpelle, c’est surtout la carrosserie très moderne, très fluide, qui semble provenir tout droit d’outre atlantique, un style que l’on ne tardera pas à surnommer « fuseaux-Sochaux », et qui trouve son originalité par ses phares dissimulés sous la calandre. Avec une telle ferveur, Peugeot voit affluer un nombre important de commandes, et ce encore des mois durant après le salon de 1935. Surpris par l’important succès de la 402, Peugeot va décliner cette ligne fuseau-Sochaux, et va commencer par la berline de milieu de gamme, qui deviendra la 302 en 1936.
Les premières 302 sont produites en août 1936, la présentation du modèle se fait officiellement lors du salon de Paris d’octobre 1936. Un an après la 402, la 302 fait un peu redite, car elle semble plus être une 402 en réduction qu’une nouvelle voiture, qui par conséquent, intéresse moins les visiteurs du salon, et encore moins la presse. Peugeot, qui attendait beaucoup de cette nouvelle venue, fut vite déçu par les chiffres des ventes qui n’étaient pas à la hauteur des espérances, et qui s’essoufflèrent rapidement, ce qui a contraint Peugeot à stopper prématurément la 302 et à procéder à un remaniement de sa gamme. Néanmoins, cette nouvelle création de Peugeot aura l’avantage de relancer un tant soit peu le milieu de gamme qui, avec la 301, devenait hors d‘âge lors de son remplacement en 1936. Ainsi, en avril 1938, exit la 302, la 402 légère lui succède, reprenant le châssis à empattement réduit de la 402, ainsi que son moteur, et se voit greffer la caisse de ce qui était la 302.
Sous son ramage aux allures modernes, la 302 cache des dessous sans doute trop classiques, à commencer par le fait que la caisse soit posée sur le châssis, sans doute la 302 aurait mérité un châssis monocoque pour parfaire l’esprit de modernité qu’elle dégageait. Ce classicisme à la Peugeot se retrouve sur divers équipements, le plus marquant est sans doute le système de freinage, qui utilise encore les câbles, une technique qui a certes l’avantage de la fiabilité, mais qui se trouve être moins efficace en pratique qu’un système de freinage hydraulique. Avec la 302, mais aussi avec la 402, Peugeot avait plus misé sur le physique que sur la technologie.
Côté moteur, il paraissait inconcevable aux concepteurs de la 302 de lui offrir le moteur de la 402, ce qui hélas aurait pu lui donner une puissance particulièrement intéressante vis-à-vis du poids de l’auto. Au lieu de cela, c’est un quatre cylindres en ligne de 1,7 litres qui lui sera greffé, issu de la 402 mais réduit pour l’occasion, lequel développe seulement 43Cv à 4.000 trs/min. Loin d’être insuffisante, cette mécanique sera un peu juste par moment. Mais la chose sera réparée lors du passage à la 402 légère….
La Peugeot 302 de cet article date de 1937, il s’agit donc de l’une des dernières produites étant donné que la majeure partie des ventes de la 302 se sont effectuées juste après son lancement. Cette voiture se trouve dans un très bel état, elle a, comme toutes les avant guerre que l‘on retrouve de nos jours, survécu au poids des âges et surtout à la seconde guerre mondiale qui a fait des ravages dans le parc automobile. Celle-ci est encore plus parfaite étant donné qu’elle a fait l’objet d’une restauration il y a une dizaine d’années, une restauration qui lui a redonné une seconde vie et une belle apparence, bien qu’on l’on peut regretter quelques infidélités à l’état d’origine, comme la moleskine du toit remplacée par une tôle peinte, qui est toutefois formée de façon à suivre le galbe du toit, ce qui ne laisse pas de doute quant aux compétences du carrossier. Par ailleurs, il est à noter que la carrosserie ne présente aucun défaut particulier ! La teinte bleu de cette 302 se distingue des teintes que l‘on a l‘habitude de rencontrer sur ce genre de voiture, et qui aurait sans doute pu être une des teintes proposées d’origine sur cette voiture, tant ce bleu souligne parfaitement les lignes de la voiture. En revanche, cette peinture laisse apparaitre par endroits un effet la peau d’orange, sans être trop prononcé, mais qu’il est difficile d’obtenir une couleur qui soit bien tendue comme à l’origine ! Autres petits défauts, les chromes qui sont par endroits oxydés, parfois cassés, mais gardons en vue que cette restauration commence à dater, et par conséquent, ne peut être parfaite après quelques années d’utilisation, ne serait-ce que pour aller faire quelques ballades et rassemblements de temps à autre.
Après l’extérieur, ouvrons la porte et passons dans l’habitacle. L’intérieur à un look très « voiture ancienne » avec ses fauteuils et panneaux de portes en tissu très épais, ressemblant même à du tweed, des poignées de porte très fines, chromées, tout comme les poignées pour ouvrir les vitres. Et pour se tenir, il n’y a pas d’accoudoirs, mais un anneau en fer par porte ! Le tableau de bord est quant à lui en métal et peint de la même couleur que la carrosserie, équipé d’un large compteur de vitesse derrière le volant, et de multiples boutons et tirettes situés au centre de ce tableau de bord. Pour compléter cette ambiance, les entourages de vitres en bois et vissés dont la teinte tirerait presque sur le rouge. Le pare brise en V, et qui par conséquent comporte deux vitres, donne l’impression de se trouver à bord d’un vieil avion ! Mais là encore, l’intérieur n’est pas de première jeunesse et comporte quelques défauts, notamment sur le ciel de toit qui présente quelques trous ici et là, avec une tentative de les masquer avec du sparadrap de la même teinte.
En place maintenant derrière le volant, je vais enfin pouvoir conduire ce qui est l’un de mes rêves automobiles, après avoir reçu un rapide cours à la place du passager. Pour mettre le contact, on appuie sur un bouton situé au centre du tableau de bord, et on tire sur un autre pour mettre en route le démarreur, qui fidèle à son poste, allumera le moteur. Frein à main retiré, première enclenchée, et voila la belle qui fait ses premiers tours de roue, d’un pas hésitant, puisque ce n’est pas tous les jours que l’on peut essayer une voiture qui nous fait rêver. Un coup de frein pour juger la réaction de la 302, les freins à câble sont forcément lents à se mettre en action (le temps que les câbles se tendent), mais une fois le mouvement transmis jusqu’aux roues, le freinage est plutôt correct pour une voiture des années 1930. Après ce petit tour de mise en confiance, il est grand temps de s’élancer sur la route pour faire un test de quelques kilomètres. Dès les premiers changements de rapports, il faut signaler que la boite, qui, comme sur beaucoup de d‘autos d’avant-guerre, n’a que trois vitesses, comporte une première qui ne sert qu’à « soulever » la voiture, car une fois les roues mises en mouvement, il est grand temps de passer la seconde. La seconde est à peine plus utile, puisque aux alentours de 35/40kmh, il faut passer la trois. Une boite très courte donc, dont les rapports se passent à ma grande surprise très aisément, heureusement que la troisième est la vitesse à tout faire, car une fois enclenchée, vous n’avez quasiment plus à rétrograder, sauf à l’approche d’une intersection…
Le quatre cylindres en ligne de 1.758cm3 qui équipe la 302 est quelque peu bruyant depuis l’habitacle, mais n’oublions pas que nous sommes là face à une voiture des années 1930, et qu’une simple tôle fait office de séparation entre le moteur et l’habitacle, doublée par quelques couches censées faire office d‘insonorisant. D’ailleurs, la chose qui marque dans l’habitacle, ce sont les odeurs d’essence et d’huile qui remontent, nous sommes bel et bien dans une ancienne. Mais revenons sur le moteur, celui-ci, du haut de ses 43Cv peine un peu à mouvoir la voiture, mais heureusement, au centre du tableau de bord se trouve un variateur qui permet d’augmenter l’ouverture du carburateur Solex, une fois celui-ci pleinement ouvert, on sent le moteur tirer, et la voiture peut espérer monter facilement jusqu’à 70/80km/h. Les 105km/h annoncé par les divers documents Peugeot de l’époque semblent néanmoins bien loin, et une chose est sûre en tout cas, je ne tenterai pas de les atteindre, d’une part parce que la route ne s’y prête pas, mais surtout parce que j’ai du mal à me faire à la direction « à l’ancienne », puisque la voiture a sans cesse besoin d’être corrigée lorsqu’elle rencontre des aspérités sur la route. De plus, la direction de la 302 est survireuse, en ce sens que les roues avant « partent » plus qu’on ne le sollicite sur le volant. Mais n’oublions pas que la 302 est une propulsion, et bien que cela y joue pour beaucoup, nous mettrons cette sensation de survirage sur le compte d’une habitude à prendre…
L’essai se continue sur différents types de routes, sur une départementale au revêtement moderne, la 302 tend à changer de cap à la moindre aspérité, comme j’ai pu l’évoquer au dessus, ce qui amène à une conduite très vigilante, il semble même impossible de lâcher le volant tant les changements de direction sont nombreux. Bien que ces derniers soient très légers, on se retrouve vite du côté de la bande médiane, ou du fossé, et nous ne sommes qu’à 70km/h. En revanche, sur une route plus petite, rafistolée de part et d’autres avec de nombreuses « mottes » de goudrons, et offrant divers nids de poule à d’autres endroits, en somme, une route telle qu’elle pouvait être dans les années 1930, la 302 affiche un comportement incroyable, elle tient son cap et semble en redemander, narguant ainsi notre habitude de conducteur moderne de ralentir en présence d’une telle route.
Au final, l’essai fut fort plaisant, mais c’est tout de même une sensation bizarre que nous donne la 302, puisque sous ses lignes modernes pour les années 1930, elle cache une conduite « à l’ancienne », tel qu’on pouvait la retrouver sur des voitures de la fin des années 1920. Il faut aussi rappeler que côté technique, la 302 dispose encore d’une caisse qui vient se loger sur un châssis, le châssis monocoque était encore au stade de nouveauté en ce temps, mais n’allait pas tarder à se démocratiser …
Les +
_ Ligne mythique
_ véhicule atypique et rare
_ sans doute la meilleure des Peugeot séries -02
Les –
_ disponibilité des pièces
_ technologie dépassée à son lancement
_ conduite particulière
L’avis d’Alex
Seule représentante du Streamline modern en Europe, la série des Peugeot -02 est en cela très intéressante, d’autant plus qu’elle comporte quelques éléments propres à l’instar des phares logés derrière la calandre. Dans cette série, la 302 représente sans doute l’un des meilleurs compromis, loin de la 202 qui peut être « trop » populaire; et assez éloigné de la très grande 402 peut être trop connue. La 302 semblait faire l’intermédiaire entre ces deux, mais elle n’est pas une voiture au gabarit réduit, car de par ses dimensions, elle est comparable à la Citroën Traction. Plus petite, plus légère, la 302 dispose d’une bonne agilité, et semble avoir un peu de répondant du moment que l’on ouvre le carburateur. Enfin, côté habilité, la 302 pet aisément accueillir 4 personnes sans que l’on ne soit trop serré. Voilà pour ce qui est des qualités de cette voiture, la plus rare des Peugeot de cette époque, et qui mériterait d’être plus exposée. Enfin, si vous souhaitez vous porter acquéreur d’un exemplaire, en plus de la difficulté à en trouver en bon état sur le marché, il vous en coutera plus de 10.000€, comptez aux alentours de 15.000€ pour un exemplaire dans un bel état.
Mes vifs remerciements à Ludo.A pour avoir organisé cet essai, préparé la voiture et pris de son temps pour le shooting photo et toutes les informations données sur ce modèle ! Sans oublier JF, qui relis sans cesse ces articles à la recherches des petites fautes.