Avant de tomber dans la catégorie des véhicules de collection, nos chères automobiles ont eu une première vie au cour de laquelle elles étaient voiture de tous les jours, transportant leur conducteur jusqu’à leur lieu de travail, parfois en faisant un crochet par l’école du quartier ainsi qu’à l’Euromarché en périphérie de ville. Mais pour cette semaine, ce n’est pas une voiture particulière que je vous fais découvrir, mais un ancien outil de travail : une Renault Estafette avec ses marquages d’époque ! Etes-vous prêts à déménager ? C’est parti…
Ah l’Estafette, enfin un utilitaire moderne chez Renault ! La Régie sort en 1959 une fourgonnette digne de concurrencer le fameux Type H de chez Citroën présenté une décennie plus tôt. Certes, l’Estafette vise avant tout à combler un manque dans la gamme utilitaire de Renault, entre la Juvaquatre de 300kg de charge utile et le Voltigeur de 1.000kg. Or, le marché du petit utilitaire allait devenir concurrentiel dans les années 1950, outre l’antique Peugeot D3/D4, Volkswagen pointait le bout de son museau avec le Combi ! La Régie Renault décide dès 1953 de se pencher sur un utilitaire de taille moyenne, tout en reprenant des éléments issus de la grande série. Les grandes lignes se dessinent rapidement : plancher plat, espace de chargement bas, porte latérale…
En même temps que ces premières esquisses, Renault développait la Dauphine, projet duquel fut repris le moteur; et la question que se posait nombre d’ingénieurs : moteur à l’avant ou à l’arrière ? Finalement, la première solution est retenue pour deux raisons, l’une afin de dégager totalement l’espace de chargement, l’autre, pour tester la traction et l’adopter ensuite sur les voitures particulières. En effet, si l’on a tendance à retenir la Renault 4 comme la première traction de chez Renault, ce titre doit en réalité être décerné à l’Estafette.
Cet utilitaire est présenté en Juin 1959 et se fait remarquer par sa carrosserie aux formes arrondies, bien loin du terne Citroën HY… Sans oublier le choix de couleurs vives laissé au client, de quoi se démarquer de la concurrence. En tout, cinq versions de l’Estafette sont disponibles sans oublier une version à faire carrosser. Cette première rencontre avec le public lui est très favorable, sa carrière était lancée et ne s’arrêta définitivement en 1980 après plus de 530.000 exemplaires, entre temps, le sobriquet « Estafette » était passé dans le langage courant…
Aussi, l’Estafette connait des évolutions au cours de sa carrière, nous ne les détaillerons pas précisément, mais notons entre autres le moteur de la Renault 8 qui prend la place du Ventoux de la Dauphine à compter de Mai 1962, lequel fut ensuite ,remplacé par celui de la Renault 12 en Juillet 1968 (millésime 1969)… Côté esthétique, citons 1973 avec l’apport d’une nouvelle calandre tôlée en lieu et place de la calandre grillagée. Et notre Estafette fait donc partie de ces dernières puisque produite en 1977…
Comme nous l’avons souligné, Renault proposait une gamme pléthorique d’Estafette avec pas moins de cinq variantes de carrosseries à ses débuts : fourgonnette de 500 ou 600kg de charge utile, l’alouette qui peut transporter jusqu’à 8 personnes, le pick-up, le fourgon surélevé… La gamme est ensuite complétée au fil des améliorations par le fourgon 800kg ou la version rallongée pour atteindre 1.000kg de charge utile. Voilà de quoi satisfaire la quasi-totalité des professionnels qui trouveront chaussure à leur pied… ou plutôt Estafette à leur activité. Cependant, pour certaines professions, l’Estafette peut paraître juste : imaginez, vous être un marchand de meubles et vous avez une armoire normande à livrer ! La simple Estafette Fourgonnette n’est pas satisfaisante car faire rentrer un tel meuble à l’intérieur relèvera de l’exploit, quant à la version pick-up, autant vous dire que le client serait vite déçu que la marchandise soit soumise aux intempéries.
C’est pourquoi Renault proposait dans sa gamme un châssis-cabine d’Estafette, c’est-à-dire les éléments essentiels de l’Estafette comme le moteur et le châssis qui était renforcé afin de recevoir toute sorte de carrosserie, carrosserie qui se limitait à la sortie de l’usine Renault à la seule cabine. Avec cette version, cela permettait de créer des magasins ambulants, ou encore des caisses grands-volumes. Plusieurs carrossiers se livraient à de telles transformations, mais le plus connu est sans doute Teilhol (qui deviendra constructeur automobile par la suite avec la Renault Rodéo…) qui proposait une caisse grand volume avec un toit translucide, permettant de bénéficier d’une très bonne luminosité dans cette caisse, l’idéal pour travailler !
Cette Estafette revue par Teilhol a connu un certain succès, sans doute Renault avait-il intégré cette version dans son catalogue, mais aussi, il faut dire que cette version Grand Volume était très bien étudiée pour un usage professionnel. Outre la luminosité, la caisse propose 9m3 de chargement, un plancher plat facile d’accès, de grandes portes à l’arrière qui permettent de dégager totalement le passage. Cette Estafette Teilhol a fait le bonheur des déménageurs mais aussi des livreurs de meubles pour reprendre l’exemple que j’ai pris au dessus. Et justement, l’Estafette que nous avons pour cet article fut l’outil de travail d’un magasin de meubles situé à Couzeix, en périphérie de Limoges…
Cette Estafette fut commandée en 1977 par la société des Meubles Marcou à la concession Renault de Limoges, puis réceptionnée la même année. Cette société qui existe encore aujourd’hui a utilisé cette Estafette jusqu’en 2015, ou du moins, elle faisait encore parti de la flotte de cette entreprise jusqu’à cette année. Bien évidement, si l’usage de cette camionnette fut sans aucun doute intensif lors de ses premières décennies, elle devient petit à petit un véhicule de collection et son usage est devenu plus rarissime. En tout cas, c’est bien un véhicule connu dans la région de Limoges, qui a arpenté nombre de kilomètres sur les petites routes haute-viennoise pour livrer du mobilier auprès de nombreux clients.
Cette Estafette porte encore les traces de cette utilisation, à commencer par la magnifique peinture réalisée à la main par un peintre en lettres basé lui aussi à Limoges. Douce époque ou les décorations des véhicules de société étaient réalisées à la main, avec de la peinture, et non comme aujourd’hui avec des autocollants, et époque où l’on semblait privilégier l’esthétique à la rentabilité… Ces décorations de cette Estafette « Meubles Marcou » n’ont pas pris une ride aujourd’hui, il faut dire que la société qui l’utilisait ne l’a jamais faite dormir dehors !
Autre preuve d’une utilisation professionnelle, dans la cabine de cette estafette, nous trouvons plusieurs références à un passé de « laborieux », avec une affiche relatant les horaires d’ouverture du magasin, des petites affiches portant l’en-tête de la société, des assises de canapé sous les fauteuils pour éviter qu’ils ne s’affaissent trop une fois les occupants assis… On trouve aussi sur l’une des portes ouvrant la caisse de chargement l’inscription « fermez la porte SVP ». Sans doute un salarié avait dû rouler avec les portes ouvertes, puisque celles-ci s’accrochent sur les côtés de la caisse afin d’éviter d’être gêné lors des opérations de chargement-déchargement.
En somme, voici le témoignage d’un outil de travail qui a toujours été bichonné par son entreprise et ses salariés, jamais cette Estafette n’été accrochée, elle a toujours fait l’objet d’un entretien minutieux… En témoigne son utilisation jusqu’à très récemment et l’état très sain de cette Estafette. Malheureusement, arrive un temps où, avec l’âge avancé de cette Estafette, celle-ci ne sert plus que très rarement et ne fait plus que du sur-place. Certes, la société à qui elle appartenait essayait de l’utiliser de temps à autre, mais un véhicule est d’abord fait pour rouler à défaut de rencontrer de petites pannes… Aussi, un tel véhicule prend de la place, et pour une PME, celle-ci est comptée. Finalement, et sans doute avec beaucoup de regret, les Meubles Marcou se sont séparés de cette Estafette à la fin de l’année 2015 pour laisser un véhicule plus moderne entrer dans leur flotte…
Cette histoire est sans doute émouvante pour les amateurs d’anciennes que nous sommes, mais nous devons parfois nous rendre à l’évidence : la place est la première contrainte, la seconde étant qu’un véhicule qui ne tourne pas est un véhicule qui s’abîme… On comprend facilement le fait que cette Estafette soit ainsi sortie du parc de son entreprise qui l’a toujours hébergée. Pour les fanatiques de véhicules publicitaires, rassurez-vous, cette Estafette est tombée entre de bonnes mains, puisqu’une association l’a reprise et souhaite conserver la décoration du véhicule !
Mais avant qu’elle ne parte pour sa nouvelle destination, il m’était impossible de ne pas faire un article de cette Estafette bien connue de ma région natale. Un rapide tour autours de cette camionnette permet de se rendre compte de l’état extraordinaire de conservation, la carrosserie est saine et exempte de rouille, et le polyester utilisé massivement par Teilhol n’est pas déformé, seul un petit accroc sur le longeron est à signaler. Pour le reste, il n’y a rien à redire sur la carrosserie, quelques coups sur les parois montrent des chocs avec le mobilier chargé à son bord !
Concernant l’habitacle, il n’y a pas grand-chose à dire, il est d’une grande simplicité : un poste de conduite avec un volant, un tachymètre et deux trois boutons, deux fauteuils… Mais avant de partir sur la route, passons dans la caisse. Celle-ci surprend par sa luminosité, Teilhol a réalisé un toit en fibre translucide qui permet de disposer d’une lumière tamisé mais fort utile pour travailler à son bord. Aussi, le plancher descend très bas par rapport au niveau du sol, un élément nécessaire pour soulever légèrement les meubles les plus lourds. Et sur chaque parois sont présentes des planches qui servent à la fois de guide, d’attache mais aussi de protection pour le mobilier chargé à son bord. Il est aussi amusant de constater, au milieu du plancher, les traces des meubles que les ouvriers ont du faire « glisser » !
Retournons désormais dans la cabine, en prenant soin de bien fermer les portes de la caisse. Comme nous l’avons évoqué, l’intérieur est d’une simplicité telle que le tableau de bord parait vide. En face du conducteur, un tachymètre qui comprend également un témoin de charge de la batterie mais aussi la jauge à essence; qui est le seul élément non fonctionnel sur cette Estafette. A la place, pour éviter de tomber en panne, un carnet de bord est improvisé sur une feuille à en-tête au nom de la société sur laquelle est indiqué le nombre de litres mis dans le réservoir et le kilométrage ! Quatre boutons sont également présents autours du poste de conduite (warning, essuie-glace…) et une commande de chauffage/ventilation au centre du tableau de bord ! Voilà tout !
Avant d’évoquer notre court essai de cette Estafette, parlons mécanique ! Depuis le millésime 1969, l’Estafette a troqué le moteur de la R8 (qui a remplacé celui de la Dauphine en 1962) contre celui de la Renault 12, à savoir un quatre cylindres en ligne de 1.289cm3 et qui développait 49Ch, un moteur qui a plus de couple mais moins puissant que le précédant. Alimenté par un carburateur Solex 32 PDIS-4 et accolé à une boite à quatre rapports, que le client pouvait choisir en version courte ou longue. Pour notre Estafette, c’est l’option boite courte qui a été choisie, un choix compréhensible au vu des charges qu’elle devait transporter.
Et voilà l’heure de partir faire l’essai, mais dans un premier temps, je resterai cantonné sur le fauteuil passager. Les fauteuils sont assez haut perché et l’on doit s’aider pour monter à son bord du marche pied et de la poignée sur le montant. Mais, ayant oublié de prendre en compte la rehausse de la cabine, je me suis lamentablement cogné la tête dessus, et je peux vous dire que ça fait mal. Le temps de reprendre mes esprits et nous voilà parti ! Quelques kilomètres plus tard, après m’être fait expliquer les rudiments de la conduite d’Estafette, je prend la place de conducteur, en faisant attention à ma tête cette fois !
Quelques petits éléments peuvent surprendre comme la minuscule pédale d’accélérateur qui est en réalité plus proche d’un tube que l’on pousse que d’une véritable pédale, un élément auquel on s’accommode plutôt facilement. Mais l’élément déconcertant, c’est la grille de la boite de vitesses qui est inversée : la première prend la place de la seconde, la seconde cette de la première… La encore, on prend le coup assez facilement, il n’y a que pour rétrograder que je resterais hésitant tout au long de l’essai, mais avec un temps d’adaptation supplémentaire, j’aurais pu m’y faire rapidement, d’autant que les rapports sont simples à passer !
Mais parlons un peu de la conduite, le moteur de l’Estafette est vaillant et nous emmène déjà à 50km/h, vitesse actuelle autorisée. Dans un petit village, il m’est permis de constater que cette Estafette braque super bien, et que sa direction, pour le moment, semble précise. Nerveuse, braquant bien… on sent l’utilitaire conçu pour les livraisons urbaines ! Mais partons sur la route ! Haut perché, volant à plat, on a l’impression de survoler la route, d’autant que le moteur est assez peu bruyant. Certes, on ira pas jusqu’à dire que l’habitacle est insonorisé, mais pour un moteur qui se trouve sous nos pieds, on aurait pu s’attendre à bien pire.
Sur route, l’Estafette surprend par ses qualités, la direction confirme sa précision et l’on n’a pas la sensation d’être gêné par la hauteur de la caisse qui aurait pu la pénaliser. Mais bien au contraire, cette Estafette semble collée à la route et l’on prend un certain plaisir à la conduire. Côté performances, en revanche, on est rapidement limité, et la bonne vitesse de croisière de cette Estafette semble être entre 70 et 80km/h, le moteur offre à mon avis le meilleur compromis entre performances et silence dans l’habitacle. Au-delà de cette vitesse, vous montez rapidement dans les tours et le bruit dans la cabine devient peu supportable, et l’attention requise pour conduire à vive allure fatiguerai très rapidement le conducteur.
En conclusion de ce rapide essai, l’Estafette Teilhol n’a rien à envier aux Estafette à carrosserie Renault, certes, en terme de performances, on a plutôt tendance à se trainer sur la route, ce qui est causé aussi, il faut le rappeler, par la boite de vitesses courte. De plus, nous étions à vide lors de cet essai, si bien que les performances doivent très certainement s’effondrer une fois chargée. Mais cela n’a pas empêché cette Estafette de livrer du mobilier sur Limoges durant 38 ans. Espérons-lui désormais une retraite paisible…
Les +
_ fiabilité
_ peinture d’époque
_ tenue de route
_ pièces mécaniques disponibles
Les –
_ pas facile à dénicher
_ tendance à se trainer…
_ chocs interdits
_ prend de la place
L’avis d’Alex
Les véhicules publicitaires, j’adore ça ! Témoins d’une autre époque où l’on avait d’autres priorités qu’une course effrénée aux bénéfices, et l’esthétique avait une véritable place dans le quotidien sans pour autant être aseptisé et fait pour plaire au plus grand monde. Aussi, ces véhicules publicitaires sont le témoin d’une époque ou le matériel était entretenu avec soin et conçu pour durer, et non loué comme c’est bien souvent le cas aujourd’hui. Bref, ces véhicules nous proposent une visite à travers le temps et c’est sans doute pour cela que nombre d’amateurs de véhicules anciens admirent les véhicules publicitaires. Cependant, acheter un véhicule publicitaire est une chose rare et d’aliénant, en effet, il ne vous sera pas permis (quoique, chacun fait ce qu’il veut avec ses biens) d’enlever ces marquages, ni même d’avoir un accrochage, fut-il léger …
Remerciements à Ludovic A. du Relais de l'Auto Ancienne à Limoges pour cette essai, la mise à disposition de cette Estafette le temps de prendre quelques clichés et les précieuses informations données à son sujet.
Bonjour Alex,
Je cherche un Renault Estafette Teilhol… tip?
Merci Beaucoup.
Cordialement.
Merci beaucoup pour cette article qui me touche énormément, car cette estafette à le même age que moi, en effet j’ai appris à conduire avec cette voiture ! Dans la vie il faut faire des choix et c’est avec un grand regret que je l’ai vue partir après 38 ans de bons et loyaux services, personnellement il m’était impossible de m’en séparer mais c’est comme ça et je suis maintenant rassuré en sachant qu’elle ira à une association et qu’elle restera inchangé. Ce sera avec plaisir de la revoir.
Merci beaucoup Stéphane Canon PDG du magasin Monsieur Meuble MARCOU
Nous l’avons récupérée au sein de l’amicale de Touraine. des amoureux de la 4L et de l’ESTAFETTE.
Vous pouvez la voir chaque dernier dimanche du mois sur les Circuits du Val de Loire lors des Rencontres Automobiles ou le 17/18 septembre pour les Cousinades de Véhicules Utilitaires Vintage sur ces même Circuits.
je viens de relire cet article très intéressant.. il y est écrit que la calandre tôlée daterait de 1965. je ne connais pas à fond l’histoire de ce véhicule, mais cela me paraît tôt. Je penserais plutôt à 1971 ou 1972 sans certitude.
C’est bien vu, je ne sais pas ou j’ai trouvé cette année 1965… Surement une confusion avec une autre évolution. Merci de ce retour 😉
J’en ai une, carrosserie normale, boite normale (je ne dirais pas longue), et bien chargé de 3 m3 de bois, la différence de perf avec à vide est assez faible. La boite est tellement courte qu’on est toujours dans les tours, c’est même plus confortable, on sent que les suspensions sont prévues pour travailler en charge.
Bravo pour cet article très documenté évoquant un modèle finalement peu connu.
ils ont bien du charme ces utilitaires anciens. Surtout lorsque leur décoration est faite à la main. Ils méritent d’être conservés tel quel. Chez Peugeot, le 1er véhicule à traction avant est un utilitaire aussi, à savoir le D3 et ce nettement plus avant la 204 que l’Estafette par rapport à la R4. idem pour Fiat avec le fourgon 238 bien avant la 128. (si l’on excepte la Primula sortie comme essai de la traction mais sous la marque Autobianchi et à diffusion limitée.)