Au début des années 1920, Renault et Citroën se livrent une guerre commerciale, si le premier peut jouir du titre de premier constructeur de France, André Citroën quant à lui se lance dans la conception de voitures populaires et, habile communicant, use de stratagèmes pour mettre en avant sa marque. L’une des solutions trouvées est de financer des explorations du Sahara en automobile…
Avec la Première Guerre Mondiale, la France avait mis ses colonies à contribution pour l’effort de guerre, mettant en avant les problématiques de l’acheminement des denrées venant d’Afrique subsaharienne. Seules des pistes chamelières permettaient de relier Tombouctou au Mali à Touggourt, en Algérie, un trajet qui se compte en mois, la traversée du Sahara est un obstacle naturel qui sépare les hommes.
Les militaires français émettent l’idée de créer des routes commerciales entre l’Afrique du Nord et l’Afrique Occidentale Française avec des avions qui feraient la liaison. Mais il y a un problème de taille, à cette époque, aucun aéronef n’est capable de franchir le désert d’une traite, et paradoxalement, c’est l’automobile qui va s’adapter pour traverser le Sahara, créer des bases desquelles les avions pourraient se ravitailler. Mais encore reste-t-il à créer la voiture Saharienne.
Jusqu’à la fin de l’année 1919, toutes les expéditions lancées ont échouées. Le 18 décembre 1919, le Général Nivelle ordonna une reconnaissance automobile dans le Hoggar : 23 autocars Fiat 15-TER accompagnés de canons automoteurs partent au début de l’année 1920 et rallient Tamanrasset, au sud de l’Algérie, depuis Toggourt en 28 jours. La première liaison automobile saharienne vient d’être réalisée, elle permet de créer des postes de secours et permet la traversée du Sahara par deux escadrilles d’aéronefs. Mais cette mission, certes réussie, voit seulement deux voitures revenir à Toggourt, et la mission aérienne voit perdre le Général Laperrine, décédé dix jours après le crash de son aéronef.
Dans le même temps, André Citroën fait la connaissance d’Adolphe Kegresse qui avait mis au point un système de chenille permettant aux voitures de rouler dans la neige de Russie. André Citroën rachète le brevet Kegresse en 1921 et l’adapte sur ses véhicules avec l’aide de Jacques Hinstin. Le premier prototype est prêt en février 1921 et est testé dans la neige ainsi que dans le sable de la foret de Senlis. Dès janvier 1922, c’est dans les alentours de Toggourt que son testé les autochenilles Citroën sous l’œil de Louis Andouin-Dubreuil, co-directeur de l’expédition de 1920.
Petit à petit, le projet de traversée totale du Sahara prend naissance, Andouin-Dubreuil est accompagné de Georges-Marie Haart, directeur général des usines Citroën pour diriger cette mission. Mais l’armée française refuse de prendre part à cette aventure et conseille fortement André Citroën de mettre un terme à toute velléité de traversée du Sahara en automobile. Il en faut plus pour décourager Andouin-Dubreuil qui quitte l’armée pour mener cette mission, quant à André Citroën, la réussite d’une traversée du Sahara permettrait de mettre en lumière son entreprise.
Le 17 décembre 1922, cinq chenillettes Citroën B2 équipées du système Kegresse et dix hommes partent de Touggourt pour rallier Tombouctou, 3.200km plus au sud, André Citroën pense que l’arrivée sera ralliée en une vingtaine de jours. Plus précisément, les voitures sont des Citroën 10HP de type 82 avec des carrosseries spéciales permettant à deux hommes de prendre place, une troisième place au milieu permet d’embarquer un guide si besoin. Le convoi est le suivant :
– Autochenille n°1 : Scarabée D’or (Haart, Maurice Billy pilote)
– Autochenille n°2 : Croissant d’Argent (Louis Audouin-Dubreuil – Maurice Penaud)
– Autochenille n°3 : Tortue volante (Paul Castelnaud – Roger Prud’Homme)
– Autochenille n°4 : Chenille Rampante (Georges Estiennes – Fernand Billy)
– Autochenille n°5 : Bœuf Apis (Chapuis – René Rabaud)
Chaque voiture embarque à l’arrière des coffres en aluminium emportant vivres, outillage, pièces de rechange et munitions. Trois voitures s’équipent de mitrailleuses d’aviation pour assurer la sécurité du convoi, mais aucun poste de radio n’est embarqué : à cette époque, cet équipement est trop volumineux et trop lourd pour être emmené dans le Sahara. En cas de soucis, l’expédition ne pourra compter que sur elle-même.
Parties le 17 décembre 1922, les cinq chenillettes Citroën parviennent le 7 janvier 1923 à Tombouctou, André Citroën et Adolphe Kegresse viennent à la rencontre de l’expédition lors de son arrivée. Le 1er février 1923, les cinq Citroën B2 repartent de Tombouctou direction Tamanrasset pour permettre à l’expédition de se receuillir sur les tombs de J.P de Foucauld et du Général Laperrine. Finalement, le 6 mars 1923, les cinq Citroën B2 de l’expédition sont de retour à Touggourt.
Ce raid Touggourt-Tombouctou-Touggourt est une réussite et marque le début de l’épopée des Croisières Citroën que la marque met au cœur de sa communication. Aussi, André Citroën rêve de transporter des touristes dans le Sahara à l’aide de ses véhicules. Quant aux véhicules de cette première expédition, la B2 « Croissant d’Argent » est aujourd’hui au musée de Saint Jean d’Angély et est classée monument historique. Une seconde B2 de cette expédition est détenue par Citroën au sein de son conservatoire.