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Irisbus Civis (2003-2010)

               Quand on évoque le Civis d’Irisbus, on parle rapidement d’échec, et pour cause, le dernier bus développé par Renault avant de devenir Irisbus a connu une carrière chaotique, trois des cinq réseaux qui tentent l’expérience de ce bus novateur y ont rapidement renoncé, entre consommation excessive, fiabilité douteuse et problèmes d’homologation… 

         Au début des années 1990, Renault s’intéresse à la mobilité du futur et présente en 1994, lors du Mondial de l’Auto de Paris, une série de concept-cars répondant au nom « Les Citadines », une étude globale du transport en ville parmi lesquelles le Renault City-Site, un concept développé par Renault Véhicules Industriels, à mi-chemin entre le bus urbain et le tramway. Le véhicule n’est qu’un concept couché sur le papier et illustré d’images de synthèse, il s’agit d’un bus auquel on pourrait rajouter des wagons pour porter la capacité entre 70 et 200 passagers, au plancher surbaissé, avec une motorisation hybride gasoil/électricité ou gaz naturel. Le City-Site posait déjà les bases du futur Renault Civis…

RENAULT CITY-SITE

            Dans les coulisses, une coopération nait entre la division autobus de Renault Véhicules Industriels et Matra Transport, filiale de Lagardère spécialisée dans les automatismes dans les transports publics, pour créer le bus de demain. Un programme est lancé en 1994 et doit permettre d’aboutir sur un bus à plancher bas sur toute la longueur pour en décliner un trolleybus et un autobus Diesel-Electrique. Matra est à l’initiative du projet, pour que les passagers bénéficient à plein d’un bus à plancher plat, encore faut-il que le véhicule s’arrête exactement au bon endroit à l’arrêt de bus, on imagine alors un système de guidage optique qui doit permettre de stopper le véhicule au centimètre près. On confère ainsi au bus l’avantage du tramway ou du métro. Matra développe ainsi l’ingénierie générale du système de guidage. Pour faire simple, on trace des marques au sol avec de la peinture que le bus détecte grâce à des caméras, permettant de suivre automatiquement le circuit qui lui est imposé. Le conducteur n’est là que pour parer à l’imprévu.

RENAULT CIVIS

               Renault Véhicules Industriels, de son côté, doit fournir le véhicule routier développé pour répondre au cahier des charges posé par Matra Transport. Le plancher doit être le plus bas possible pour permettre de monter dans le bus sans marche, ce qui nécessite de supprimer les arbres de transmission. On imagine alors un véhicule équipé de moteurs électriques placés directement derrière les roues, alimentés par un groupe électrogène placé à l’arrière du véhicule. Grâce à cette architecture, on évite les faux planchers, on ne transmet plus un mouvement par une transmission mais de l’électricité par des câbles.

RENAULT CIVIS (1)

           Au cours de l’année 1997 (1), Renault présente une maquette du Civis et présente le système de guidage mis au point par Matra Transport, devenu entre temps Matra Transport International suite à l’arrivée de Siemens au capital en décembre 1995 (2). On présente le Civis comme une alternative au tramway pour les villes de taille moyenne, notamment avec un investissement moindre tout en bénéficiant des avantages en terme de ligne dédiée et une capacité de 3.000 passagers à l’heure. Il est mis en avant la modularité du Civis, disponible en plusieurs longueurs suivant les besoins des réseaux. On ose même dire que le Civis est un véhicule propre grâce à ses moteurs électriques, en occultant le groupe électrogène fonctionnant au gasoil. Renault et Matra annoncent même un premier essai par la RATP à la fin de l’année 1998 sur le parcours du Trans Val-de-Marne(3).

RENAULT CIVIS (2)

             Bien évidement, avec un véhicule aussi inovateur, les délais ne sont pas tenus, il faut attendre la fin de l’année 2000 pour les premières livraisons. Entre temps, la division Autobus et Autocars de Renault fusionne avec celle de l’italien Iveco pour former Irisbus. Le Civis est donc commercialisé sous cette dernière marque. Les réseaux ne se bousculent pas pour acheter du Civis, seuls ceux de Rouen et Clermont-Ferrand s’y intéressent mais avec des réserves, Rouen envisage 57 exemplaires et signe pour deux exemplaires « tête de série » pour évaluer le véhicule à partir de la fin 2000(4). Clermont-Ferrand, plus réservé, prend six exemplaires en test sous forme de location pendant trois ans. Les véhicules sont livrés courant janvier 2001, la présentation s’effectue au cours du mois de février puis les Civis entrent dans une phase d’expérimentation technique, sans passager (5). On note les différences entre les faces avant des Civis de Clermont, avec un poste de conduite en position centrale ne permettant pas au chauffeur la vente de billets à bord, et ceux de Rouen avec poste de conduite à gauche, avec une face avant qui sera adopté par le Cristalis. A Rouen comme à Clermont, les Civis exploités sont des versions Diesel, et le système de guidage, en raison de difficultés d’homologation, ne peut servir que pour aider le bus à se positionner à l’approche des arrêts de bus..

IRISBUS CIVIS (2)

              Pour compléter le tableau, le Civis trouve un nouveau client en février 2001 avec le réseau de transports de Las Vegas pour cinq unités fermes et dix en option. En France, la phase de tests prévue pour six mois dure finalement un an avec une mise en exploitation en février 2002 sur le réseau de Rouen. Hélas, le Civis peine déjà à convaincre, les premiers retours d’exploitation sont défavorables : une consommation très élevée de l’ordre de 100 litres aux 100km (30% de plus qu’un Renault Agora contemporain) avec des pointes jusqu’à 150 litres avec la climatisation, et une fiabilité catastrophique avec des pièces de rechange peu disponibles et chères. Dès 2002, Rouen lance une action en justice pour rompre le contrat et abandonne le Civis en octobre 2003. Clermont-Ferrand abandonne l’expérimentation du Civis en décembre 2004. Seules consolations pour Irisbus, le Civis entre en exploitation en juin 2004 à Las Vegas, la version américaine reçoit un moteur Cummins, et la ville de Bologne s’intéresse au Civis dans sa version trolleybus, la commande interviendra au cours de l’année 2005.

IRISBUS CIVIS (1)

             Le Civis dans sa version thermique est déjà un échec, Irisbus tenta de diminuer la consommation du moteur sans succès, condamnant de fait cette version. Dans le développement du Civis, d’autres modes d’alimentation avaient été étudiés et intégrés au catalogue, un avec l’électricité exclusivement pour en faire un Trolleybus, avec ou sans moteur d’appoint; et une version bi-mode mixant moteur Diesel et Trolleybus. Dès 2005, Irisbus concentre ses efforts sur la version électrique du Civis, en concurrence interne avec le Cristalis dont il partage la base. A Bologne, l’histoire du Civis se répète, les 49 exemplaires commandés sont livrés entre 2007 et 2010, l’aventure tourne au fiasco, le système de guidage est jugé défaillant par les conducteurs, le Civis n’obtient pas le niveau de rendement attendu, si bien que le réseau de Bologne arrête ses Civis en 2011, officiellement faute d’avoir obtenu une homologation des services italiens. Le réseau de Lyon envisagea un temps de reprendre ces Civis en 2014, sans lendemain.

         Irisbus arrive également à vendre trois Civis auprès de la ville espagnole de Castellón, des trolleybus de 12 mètres livrés en 2008 qui ne font que peu parler d’eux, il faut dire que la ville espagnole a mise en place des lignes dédiées aux trolley permettant une utilisation optimale du système de guidage optique. En 2010, faute de commandes, Irisbus stoppe le Civis, l’histoire du dernier bus développé par Renault demeure chaotique et proche d’un fiasco industriel, toutefois, tout n’est pas à jeter : la base du Civis permet de développer le Cristalis, une version trolleybus sans système de guidage qui réalise 172 commandes, quant au système de guidage mis au point par Matra Transports devenu Siemens entre temps peut être installé sur les autres bus de la gamme Irisbus.

Sources : 
(1) : Libération, 28 mai 1997 : « L’avenir du bus est propre et familial ».
(2) : Les Echos,  02 octobre 1998. « Le groupe Lagardère cède Matra Transport International à Siemens ».
(3) :  Le Moniteur, 05 décembre 1997. « Première présentation du Civis de Renault et Matra »
(4) : Les Echos, 26 novembre 1999 « Irisbus livre à Rouen son nouvel autobus ».
(5) : Communiqué de presse Matra Transport International du 13 février 2001.

VIVIEN Michel, Limoges de l’Arsenal à Renault Trucks, ed. Lavauzelle, dec 2011. p.242 et 243.