Depuis la crise pétrolière des années 1970, la marque Dodge est en mauvaise posture, et du côté de sa maison mère, Chrysler, ce n’est guère mieux. En 1978, Lee Iacocca prend les rênes de Chrysler après son éviction de chez Ford, il trouve un groupe au bord de la faillite qu’il s’attacha à relancer en y insufflant un esprit nouveau. Lentement, il redresse la barre du troisième constructeur américain, il lui faudra une décennie pour équilibrer les comptes et c’est à partir de 1987 qu’il passe à l’offensive, rachetant Lamborghini puis en reprenant AMC à Renault pour profiter de la marque Jeep. Mais la méthode Iacocca commence à être décriée en interne, la frénésie d’achats limite le développement de nouveaux produits et cela commence à se ressentir, la concurrence propose des produits plus séduisants.
Déjà, les membres de l’exécutif du groupe Chrysler commencent à mettre en œuvre le renouveau, c’est à cette époque que l’on imagine celle qui deviendra la Viper. Bob Lutz, vice-Président de Chrysler, et propriétaire à titre personnel d’une AC Cobra, imagine doter le groupe d’un moteur plus gros, un V10 de 8 litres, notamment pour équiper les Ram. L’étude de ce moteur lancée, Lutz imagine créer avec une voiture sportive dans l’esprit de l’AC Cobra qui n’avait pas connue de réelle descendance. Courant 1988, il fait part de son idée à Tom Gale, à la tête des studios de design avancé de Chrysler et auteur du concept Portofino en 1987, qui met ses équipes sur le projet. C’est un dessin de Craig Durfey qui fut retenu après la réalisation d’une maquette en plâtre.
L’idée est bonne et il est décidé la réalisation d’un concept-car avec une présentation lors du salon de l’automobile de Detroit 1989. L’équipe de Dodge fait appel à l’entreprise Metalcrafter pour réaliser la carrosserie, en métal. On demande à Roush, préparateur connu pour ses Mustang préparées, de fabriquer un châssis. L’équipe en charge du concept-car veut également un moteur, le V10 en préparation est loin d’être prêt, alors on prend deux V8 que l’on coupe pour les ressouder afin de faire un V10. Il s’agit alors juste de démarrer pour faire des vocalises en statique, rien de plus. Reste à trouver un nom, celui de Cobra ne peut être réutilisé puisque étant la propriété de Ford, Bob Lutz tient absolument à utiliser un nom de serpent, l’équipe opte pour Viper.
Le 04 janvier 1989, le public découvre le concept Viper SRT-10. L’accueil est enthousiaste, des visiteurs se montrent intéressés et certains se proposent de verser des chèques d’acompte dans l’éventualité d’une production du modèle. Face à cette réaction, Bob Lutz envisage la production de la Viper, un projet qui permettrait à Dodge de disposer d’une voiture capable d’attirer en concession, mais aussi de fédérer le personnel de la marque. En mars 1989, il demande à l’ingénieur en chef Roy Sjoberg, un ancien de chez GM et ayant œuvré sur la Corvette, de travailler sur la Viper pour un décliner une version routière. Une mission qu’il accepte, il recrute quatre-vingt volontaires sur ce projet (les demandes étaient nombreuses) pour former une équipe surnommée “la fosse aux serpents” qui prend place dans l’ancien centre d’ingénierie d’AMC. Elle comprend, entre autres, des passionnés de voitures de sport, des pilotes dont un sur dragster, et fait appel à Bill Weetermann, ancien ingénieur motoriste de Chrysler alors à la retraite.
Leur mission est de livrer un véhicule capable d’être commercialisé à partir de 1992, avec une présentation pour le salon de Detroit en janvier. Les travaux vont bon train, à l’été 1989, l’équipe réalise sa première voiture en partant d’une Chevrolet Corvette C3 de 1979, achetée d’occasion, qui sert à étudier les premières pièces de la Viper, suspension et trains roulants, avec un moteur poussé à 350HP. Les modifications nécessaires sur le châssis ont été réalisées par Roush, cette voiture fut plus tardivement dénommée VM-03 (Viper Mule 03) et pose les bases sur la géométrie de la suspension.
Ensuite, l’équipe se met à la réalisation d’un premier prototype roulant de la Viper, le VM01 surnommé “White Mule”, pour tester les composantes du châssis et les suspensions en condition. Cette voiture est construite chez Highland Park Engineering, elle ne peut pas encore disposer du V10 qui est toujours en cours de développement, en conséquence, c’est un V8 Ram qui fut utilisé mais modifié pour développer autour des 320Cv (il a notamment été déterminé que le V8 en fonte utilisé aurait un poids proche du futur V10 en aluminium). De manière officieuse, le prototype VM01 a également pour objectif de persuader la direction de Chrysler, notamment Iacocca, d’octroyer les fonds nécessaires pour mener à bien le projet, et rassurer Bob Lutz sur l’indépendance accordée à la “fosse aux serpents” avec des résultats concrets. En décembre 1989 Bob Lutz essaya lui-même ce prototype, on autorise l’équipe à aller plus loin. Mais Lee Iacocca reste encore à convaincre, l’équipe fait appel à un consultant de choix avec Carroll Shelby.
Dans le même temps, on fait appel aux ingénieurs de Lamborghini, alors au sein du groupe Chrysler, pour retravailler le V10 des Ram en cours de développement. Le budget alloué pour le projet Viper ne permet pas de construire un nouveau moteur pour ce projet, on récupère le V10 en gestation des Ram, les ingénieurs italiens le modifient assez lourdement avec des culasses en aluminium, un graissage par carter, une injection séquentielle multipoint…. Ce moteur ne fut prêt qu’en février 1990, ce V10 de huit litres développait 394Ch.
En avril 1990, le prototype VM02 est finalisé, il embarque le prototype des moteurs V10 des RAM, avec une culasse en métal donc. Bien que plus lourds que le futur V10 en aluminium à venir, il développait 360Ch et les premiers essais étaient prometteurs. Un mois plus tard, Dodge obtient le feu vert de la maison mère Chrysler pour la commercialisation de la Viper, qui fut annoncé le 18 mai 1990. Cette dernière étape fut la plus importante du projet, Iaccoca débloquait 70 millions de dollars pour finaliser l’étude de la Viper. L’histoire raconte que cette somme fut débloquée grâce à Carroll Shelby avec qui Iaccocca était proche. Originairement, le big boss de Chrysler ne souhaitait pas financer un tel projet dont la rentabilité n’était pas assurée, d’autant que les finances de Chrysler allaient retomber dans le rouge en 1991. Mais face à un projet sérieux avec Shelby en caution morale, la suite de l’histoire fut tout autre. En juin 1990, le prototype VM-02 qui sert lors d’une émission de presse.
Dès lors, l’équipe lance une série de Viper de présérie dont la production débute au milieu de l’année 1990 avec la VP4 (Viper Prototype 04), elle fut la première voiture réellement représentative de ce que deviendra la Viper de série en s’équipant du premier V10 en aluminium. Parmi les exemplaires de présérie, on retiendra que deux exemplaires (VP24 et VP26) sont utilisés comme Pace-Car officiel des 500 miles d’Indianapolis, la course la plus populaire du calendrier américain qui se déroule en mai. Au volant, rien d’autre que Carroll Shelby, le coup de communication est parfait et fait oublier que le Pace-car initial devait être une Dodge Stealth, une voiture de conception japonaise qui avait valu une levée de bouclier du syndicat “United Auto Workers”.
La dernière ligne droite avant le lancement commercial de la Viper était en train d’être franchie, la production des exemplaires de présérie cesse fin 1991 avec la VP29 Dès lors, la production de modèle de série débute, les tous premiers exemplaires sont utilisés pour les derniers tests et développement avant que les exemplaires destinés à la commercialisation prennent leur place à la mi-1992. Entre temps, en Janvier 1992, Dodge dévoilait la Viper dans sa version définitive au salon de Détroit, et ouvrait le carnet de commande, le début de l’autre histoire de la Viper…