Connaissez-vous beaucoup de 4×4 Français qui ont su rester dans les mémoires ? A vrai dire, cette espèce est plutôt rare en France, mais heureusement, on trouve quelques modèles qui ont su s’imposer, comme les versions Dangel des Peugeot. Aujourd’hui, je vous invite à bord d’un superbe 504 Dangel pick-up de 1983 avec… moins de 14.000km au compteur !
Aller donc savoir pourquoi, mais le 4×4 en France n’a jamais réellement intéressé nos grands constructeurs. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé, dans les années 1950 par exemple, Renault a commercialisé une version quatre roues motrices de la Colorale, avant que Citroën arrive avec un drôle de bricolage nommé « 2CV Sahara » en 1960 (lire aussi : Citroën 2CV Sahara). Il y a l’effet Jeep qui a pu limiter le développement du 4×4 en France : à quoi bon tenter de lancer un ersatz quand l’originale peut faire le travail, encore plus si elle est neuve et produite sous licence par Hotchkiss. Delahaye et son VLR (lire aussi : Delahaye VLR), et même Peugeot et son VSP (lire aussi : Peugeot VSP) s’y sont cassé les dents… Heureusement, quelques petits artisans sont venus sauver l’honneur de la France, notamment le cantalien Cournil, et quelques «équipementiers» ont proposé leurs services aux grands constructeurs : c’est le cas de Simpar chez Renault, et de Dangel chez Peugeot…
Henry Dangel était du genre à ne pas baisser les bras face à la difficulté, électrotechnicien de formation, Dangel se passionne pour l’automobile et fait ses premières armes en compétition en réalisant des barquettes nommées Mangouste au cours des années 1960, dans le sillage de BBM ou Marcardier. En 1976, il devient l’importateur des jantes BBS avant d’en assurer la production localement en Alsace. C’est à cette époque que lui vient un éclair de génie, réaliser une voiture qui associerait aux qualités de routière celles de franchissement. Au lieu de concevoir une voiture entière, dont il n’aurait pas les moyens d’assumer le développement, Dangel décide de créer un kit adaptable sur une voiture de série, et opte pour la plus fiable de toute : la Peugeot 504, qu’il choisit en version break en raison de l’existence d’un pont arrière.
A cette époque, rares étaient les 4×4 accessibles, seuls le Land Rover et le Toyota Land Cruiser pouvaient répondre à la demande, avant que le Lada Niva soit commercialisé en France en 1978, son succès conforta Henri Dangel à finaliser son kit pour le proposer à Peugeot. Dangel fabrique ainsi une boite de transfert, des différentiels et une suspension avant réhaussée, le tout est assemblé sur une Peugeot 504 break aussitôt présentée à la firme sochalienne en 1978. Peugeot commande deux autres prototypes pour essayer le kit Dangel, vérifier son utilité et sa fiabilité. En moins de deux ans, Peugeot donne son aval et, consécration ultime, propose le 504 Dangel dans son catalogue à compter du millésime 1981.
A l’origine, seule le 504 break est disponible en version 4×4, et déjà, le 504 Dangel réussit à s’imposer rapidement auprès d’un public composé de professionnels, d’administrations publiques comme l’EDF ou la Gendarmerie, mais aussi auprès de quelques particuliers à la recherche d’un tel véhicule. Quelques participations en rallye-raid permettent d’asseoir la réputation de l’engin. Bref, la 504 Dangel est un véritable 4×4 dont les capacités de franchissement ne sont plus à prouver, tout comme la fiabilité de la 504… Voilà l’engin idéal pour lutter contre la concurrence nippone.
Si la 504 Break Dangel s’impose, les professionnels sont assez limités par la carrosserie de l’auto et pourraient davantage s’intéresser au pick-up. Peugeot leur proposent ainsi la 504 Dangel Pick-Up à compter du millésime 1983, disponible aussi bien en version Essence que Diesel. Cette fois-ci, les entreprises du BTP, les sociétés exploitant mines et carrières, les pompiers et multitude d’autres clients commandent leur exemplaire. Mais il y a une limite que la société Dangel ne surmonte pas, celle de l’industrialisation complexe de la voiture : produite chez Peugeot, les 504 sont acheminées chez Dangel pour être transformées en 4×4. Plus artisanale qu’industrielle, la production reste limitée avec, entre 1981 et 1985, 4.310 exemplaires fabriqués, dont 3.168 pick-up.
Penchons nous dès à présent sur notre exemplaire, cette 504 pick-up Dangel a été immatriculée pour la première fois en mai 1983, ce qui en fait l’un des tous premiers ! Son premier propriétaire fut la petite commune de Saint-Pierre-Colamine, à quelques encablures de Super-Besse, perdue entre les monts du Sancy dans le Puy-de-Dôme, afin d’équiper sa caserne communale de sapeur-pompier. La voiture hérite donc de sa teinte rouge dès l’origine, d’une sirène deux tons que la voiture conserve encore aujourd’hui, et sans doute quelques marquages sur les portières et gyrophare sur le toit aujourd’hui disparus. Pompiers oblige, le matériel est traité avec le plus grand soin, et les interventions dans une commune de 230 âmes (au recensement de 1982) ne devaient pas être monnaie courante. On peut même imaginer les volontaires de la caserne faire des rondes avec cette 504 Dangel pour ne pas la laisser prendre la poussière !
Très peu utilisée, la commune de Saint-Pierre-Colamine décide de revendre cette 504 Pick-Up Dangel par le biais de l’administration des Domaines. La voiture reste dans le Puy-de-Dôme et connait deux autres propriétaires jusqu’en 2017, le dernier d’entre-eux réalisait un rêve de gosse en se portant acquéreur de ce 504 Dangel, avec à peine plus de 10.000km au compteur. Seule la teinte, légèrement passée, vaudra à cet exemplaire un voile de peinture. Pour le reste, les éléments mécaniques sont entretenus avec le plus grand soin pour maintenir cette 504 Dangel dans un excellent état, et n’ayons pas peur des mots, dans un « état concours » comme se plaisent certains propriétaires dans leur annonce. Mais là, le qualificatif est loin d’être usurpé car je ne suis pas certain de trouver le même état sur un autre 504 Dangel, même le musée Peugeot s’est penché sur notre modèle du jour !
Et si nous partions essayer ce 504 Dangel ? Déjà, tentons de monter à bord, la manœuvre demande de lever la jambe pour se hisser dans l’habitacle, la garde au sol des 504 Dangel est plus haute de presque vingt centimètre par rapport à la 504 classique ! Une fois à bord, c’est l’émerveillement, tout est neuf, beau… les plastiques sont d’un noir intense, aucune fissure, aucune fausse note ! Même le tapis de sol et le caoutchouc des pédales ne sont pas usés, c’est dire ! On peut toutefois émettre une critique sur la banquette car l’assise conducteur dont le skaï comporte plusieurs trous. Mais assis dessus, ce défaut n’est plus visible, et ne critiquons pas pour critiquer.
En face de nous se dresse le tachymètre avec, à sa gauche, la jauge d’essence, et à sa droite, la température d’eau. Quelques voyants lumineux encadrent le tout pour donner quelques rares informations : frein à main enclenché, témoin de phares et de clignotants, voyant du starter, huile et batterie. Rien de plus. Mais un chiffre attire mon regard, le compteur kilométrique affichant… 13.965 kilomètres. Essayons de faire cet essai en moins de 35 kilomètres !
On tourne la clé dans le Neiman, contact, puis le moteur se fait soudainement entendre. Tiens, le bruit n’est pas celui des 504 pick-up habituels, car notre exemplaire n’est pas équipé du Diesel comme tant d’autres, mais du moteur essence de 1.971cm3 développant 96Cv. La transmission est assurée au travers d’une boite à quatre rapports, un levier à droite du conducteur permet d’enclencher les rapports courts, seul élément permettant de distinguer une Dangel de l’intérieur. Les vitesses, quant à elles, se passent au volant.
Aller, lançons-nous sur route. Le rythme est quelque peu hésitant au départ, le temps de s’habituer à la voiture et surtout, de laisser de côté la peur de casser quelque chose. La voiture s’élance, les rapports s’enchaînent les uns après les autres avec une première servant à faire décoller la voiture, rien d’autre. Et malgré tout, nous voilà rapidement à 80-90km/h, une vitesse qui semble soutenue pour un utilitaire. Pourtant, notre 504 Dangel en a encore sous la pédale et nous demanderait presque d’atteindre les 100km/h, voire plus ! La tenue de route est correcte, on survole la route, au sens propre comme figuré car depuis la cabine, la tête du conducteur dépasse le toit de nombre de voiture. A 80km/h, on peut enchaîner les virages sans que la voiture prenne un roulis prononcé, je trouve la chose assez marquante vu la garde au sol. Par contre, utilitaire oblige, et à vide, la suspension n’est quelque peu sautillante. Quant à la transmission permanente, celle-ci se ferait presque oublier au vu des performances de la voiture.
La 504 Dangel est avant tout un 4×4, nous serions bien tenté d’essayer la voiture dans les chemins pour faire un peu de franchissement, mais au vu de l’état de cette 504 Dangel, ce serait un sacrilège de salir les dessous, pire encore, de les abimer. Tout au mieux, afin de tenter quelques cliché, je m’aventure sur des chemins tout à fait carrossables mais gras du fait des pluies de fin d’hiver, la voiture n’a rien à faire des nombreuses flaques, nids de poule, ou de la boue… Bref, ce n’est en rien du tout terrain car n’importe quelle voiture digne de ce nom pourrait faire la même chose… quoi que ! Aller, allons nettoyer les quelques traces de boue et allons rendre les clés. Ouf, la barre des 14.000km n’est pas dépassée la valeur de l’auto n’est pas atteinte.
Les +
_ Voiture neuve
_ Véritable 4×4
_ Un look d’enfer
_ Fiabilité légendaire
Les –
_ Pièces rares
_ Voiture à ne pas casser
_ Trop rare (surtout en bon état)
L’avis d’Alex – conclusion
Avec la 504 Dangel, nous sommes face à un monstre sacré du tout-terrain français, la voiture indestructible, à l’épreuve de tout les dangers. Pour une première création d’un acteur jusque là inconnu du grand public, Dangel réalise l’exploit de rencontrer une réussite immédiate, et surtout, un succès qui perdure puisque la petite entreprise existe encore de nos jours. Hélas, on ne peut que regretter la production industrielle de la 504 4×4, et surtout, l’arrêt de la version pick-up à peine trois ans après son lancement sans descendances. Dommage, la France aurait pu tenir là un équivalent du Toyota Hilux…
Mes remerciements à Ludovic Audonnet du Relais de l’Auto Ancienne pour avoir organisé cette rencontre, et un grand bravo à Cédric, l’heureux propriétaire de cette auto pour la conservation de ce modèle et sa confiance sans limite.