Gagner les 24 heures du Mans n’est jamais dû au hasard, cette course réputée parmi les plus difficiles du monde nécessite un apprentissage parfois long et difficile. Le français Matra se lance pour la première fois sur l’épreuve mancelle en 1966 avec la MS620, une voiture pour apprendre les rudiments de l’endurance…
En 1964, l’entreprise Matra oeuvrant jusqu’alors principalement dans le domaine de l’armement, cherche à se diversifier et arrive dans le domaine de l’automobile en reprenant le constructeur René Bonnet, et commercialise désormais la Djet sous sa propre marque. Pour faciliter les ventes, Jean-Luc Lagardère, alors aux commandes de Matra, met en place dès 1965 un programme sportif ambitieux qui doit permettre à Matra de briller en formule 1 ainsi qu’aux 24 heures du Mans. Le programme d’endurance est défini à la fin de l’année 1965.
Bien évidement, Matra doit faire l’apprentissage de la compétition, pour l’endurance, l’aventure débute à partir d’octobre 1965, avec la rédaction d’un « cahier des charges » d’une berlinette de deux litres capable de tenir la comparaison avec les Porsche et Dino. Le projet MS620 est mis en route, Matra se lance à la recherche d’un partenaire capable de lui fournir une motorisation et frappe à plusieurs portes. Parmi les contacts sérieux, il y a celui avec Ford pour récupérer un quatre cylindres équipant les Lotus-Ford, mais qui tourna court. Matra fini par se tourner vers l’anglais BRM qui motorise une grande partie des équipes anglaises de F1 : Cooper, Brabham, Lotus, BRP et McLaren. Le partenariat avec BRM permet aussi d’équiper les F3 et F2 Matra dans l’apprentissage de la formule 1.
Matra opte pour le V8 BRM P56, celui-ci est dérivé 1.498cm3 avec lequel Graham Hill est devenu champion du Monde de F1 en 1962. Pour Matra, une augmentation de l’alésage permet de passer la cylindrée à 1.916cm3 ce qui permet une augmentation du régime et une hausse de la puissance, officiellement portée à 245Ch. Notons aussi que les échappement migrent du centre du V8 vers les côtés pour l’endurance, la puissance retomberait à 230Ch environ. L’alimentation passe par une injection Lucas, la transmission confiée à une boite manuelle à cinq rapports de chez ZF, la même que celle équipant les Ford GT40, choisie pour sa fiabilité.
En parallèle de la quête d’un moteur, Matra fait plancher Bernard Boyer, venant de chez Alpine, pour concevoir le châssis de la voiture. Celui-ci dessine un châssis tubulaire assez proche de celui des Lotus 23, dont le moteur est monté en position centrale arrière. Les suspensions sont en acier et constituées de triangles superposés à l’avant, triangle inférieur et jambes de poussée pour l’arrière, l’amortissement est assuré par des combinés ressort-amortisseur Amstrong, complété de barres antiroulis. Les deux réservoirs d’essence sont installé de chaque côté de l’habitacle pour répartir les masses.
La carrosserie est travaillée pour être le plus aérodynamique possible, mais Jean-Luc Lagardère impose que sa forme évoque la future Matra 530 de série et se distingue des Porsche et Ferrari rivales. Jacques Nochet, à la tête du style Matra, intervient pour figer les lignes de la MS620, la voiture dispose d’une carrosserie anguleuse reconnaissable entre mille. Début janvier 1966, le style figé, une maquette est envoyée à la soufflerie Bréguet, il en ressort un Cx de 0,23. Pour la carrosserie, si Boyer est un défenseur des matériaux synthétiques, Matra fait le choix d’un alliage à base d’aluminium, le carrossier Pichon-Parat est appelé pour réaliser la robe de la voiture et former les chaudronniers de Matra. Malgré les efforts déployés sur le poids, la MS620 pèse au final 820kg alors que le projet initial tablait sur 650.
La Matra MS620 est terminée fin mars 1966, les premiers tours de roue se font le 28 mars sur l’aérodrome de Villacoublay et permettent de mettre en lumière certains problèmes réglés à la va-vite. Les 2 et 3 avril suivant, la Matra MS620 fait sa première apparition publique lors des essais préliminaires des 24 heures du Mans, la voiture arbore le numéro 28 et une robe grise (la carrosserie n’était qu’en apprêt), l’occasion de tester la voiture et de la comparer par rapport à la concurrence. Certes, la MS620 a des problèmes de jeunesse (freinage inefficace, portes s’ouvrant sous l’effet de la pression aérodynamique, rapports trop longs, chaleur dans l’habitacle, on note aussi le changement d’un moteur…), mais les performances sont là, le temps au tour est meilleur que celui des Alpine, voire des Porsche sur la même catégorie mais dont il était de notoriété qu’elles n’avaient pas « forcé ».
Pour ses débuts en compétition, Matra visait la Targa Florio, mais l’équipe décide de faire l’impasse sur cette épreuve pour débuter aux 1000km de Monza, le 25 avril 1966. Initialement, deux MS620 devaient être engagées, mais le second exemplaire était toujours en cours d’assemblage. La seule MS620 engagée est à la peine, les pilotes, Jaussaud et Servoz-Gavin ne signent qu’une quatorzième place pendant les essais, abandonnant sept secondes par tour à la meilleure des Porsche. Pendant la course, qui se déroule sous la pluie, plusieurs problèmes se révèlent sur la MS620 : essuie-glace et freinage inefficaces, l’allumage du moteur prend l’eau… Si la Matra MS620 termine la course, elle n’est pas classée, ayant parcouru une distance trop faible.
Quasiment un mois plus tard, le 22 mai 1966, la Matra MS620 est engagée aux 1000km de Spa. Pour cette course, la voiture troque ses roues 13 pouces contre du 14 pouces, on tente d’améliorer le freinage. La voiture connait de nombreux problèmes sur cette course, les performances sont toujours en retrait par rapport à la concurrence (16ème sur la grille de départ), et la voiture abandonne sur panne d’alternateur. Les problèmes à résoudre sont tels que Matra déclare forfait pour les 1000km du Nurburgring pour se préparer aux 24 heures du Mans. C’est aussi le dernier engagement sportif du premier châssis de MS620.
Pour les 24 heures du Mans 1966, Matra a construit trois MS620 flambant neuves, la 41 aux mains de Beltoise et Servoz-Gavin, la 42 confiée à Schlesser-Rees et la 43 à Pescarolo-Jaussaud. La MS620 n°43 est la première à abandonner après 38 tours et le bris de son moteur, la n°42 s’arrête au 100ème tour sur accident, et la n°41 lâche lors de son 112ème tour sur panne de boite de vitesses. La première participation de Matra sur l’épreuve mancelle permet de connaitre le chemin qu’il reste à parcourir, ne serait-ce pour terminer la course ou devenir compétitif…
Pour la suite de la saison sportive, Matra engage la MS620 sur des épreuves hors championnat, les participations sont peu concluantes à deux exceptions : une seconde place obtenue à la Coupe de Paris, et à Magny-Cours où la voiture – et l’équipe Matra – remporte sa première victoire en endurance, deux résultats qui permettent de mettre au baume au cœur de cette équipe Matra à l’issue de cette saison d’apprentissage. Pour la saison 1967, Matra aligne une dernière fois la MS620 lors des essais préliminaires du Mans 1967, un an tout juste après avoir été dévoilée au public, laissant désormais le champ à la nouvelle MS630…