Chez Porsche, il y a des noms qui sont familiers, pour ne pas dire mythiques, la « 356 » en fait partie, mais également la dénomination « Carrera ». Et quand on allie les deux, on atteint le summum de la rareté chez Porsche, puisque la 356 Carrera fut la première à porter ce nom, en 1955 ! Un nom qui, sans le savoir, allait marquer l’histoire de la marque, puisque encore de nos jours, le terme Carrera est porté par les actuelles créations du constructeur de Stuttgart, tout en gardant la même philosophie qu’à ses débuts, à savoir proposer une voiture avec un moteur de « compétition » !
Pour cet article, la représentante de la lignée des 356 Carrera est une Carrera 2 Cabriolet datant de 1962. Véritable voiture d’exception, alliant moteur de course primé à la ligne classique de la 356, sans oublier le charme du cabriolet dans cette variante. Et il s’agit d’un véhicule rare, très rare même ! Car si la 356 Carrera 2 a connu un certain succès à son époque, les versions cabriolet ne se vendaient qu’au compte-goutte ; aujourd’hui, seuls 15 exemplaires de ce millésime sont répertoriés de par le monde. Inutile de vous en dire plus pour comprendre que ces véhicules sont très recherchés et très surveillés par les amateurs, encore plus quand, comme sur l’exemplaire de cet article, ils sont en conformité avec l’état d’origine ! Sans plus attendre, découvrons l’origine du mythe Carrera !
Porsche est déjà un nom connu outre Rhin lorsque la première voiture « Porsche » destinée à la commercialisation est homologuée le 8 Juin 1948, il s’agissait de la 356. En effet, le créateur de cette petite sportive est Ferry Porsche, le fils du célèbre Ferdinand Porsche, lequel fut le père, entre autre, de la Volkswagen Coccinelle, et aura depuis les débuts de l’automobile su influencer l’industrie allemande. Ferry Porsche baignait donc dans l’automobile depuis son plus jeune âge, et souhaitait produire une petite voiture sportive pour un tarif accessible. C’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que Ferry Porsche se mit à plancher sur ce véhicule, en partant d’un moteur Volkswagen qu’il modifiât, et qu’il installât en position centrale arrière sur un châssis de Volkswagen, ou châssis tubulaire selon les sources. La carrosserie qui habille le tout est quant à elle signée Erwin Komenda et réalisée entièrement en aluminium.
Le premier prototype est construit durant l’été 1947, l’homologation l’année suivante, puis vient le temps de la présentation au public de la 356, qui a lieu au salon de Genève de l’année 1949. Le départ de l’aventure Porsche était lancé, armé de sa petite équipe d’ingénieurs et de motoristes au sein de l’usine de Gmünd en Autriche, Porsche était alors plus artisan qu’industriel, avec des voitures entièrement fabriquées à la main. 48 voitures verront le jour de 1948 à 1951. Un marché existe donc pour cette petite voiture sportive, Ferry Porsche en est convaincu, mais celui-ci ne peut encore lancer une production industrielle de la 356, puisque l’usine familiale de Stuttgart est alors occupée par les américains. Mais dans Stuttgart, une usine située dans le quartier de Zuffenhausen est disponible à la location, Ferry Porsche prend le bail et y déménage la production des 356 qui se fait désormais en série.
Avec les contraintes de la chaine, mais aussi pour avoir une voiture moins chère à produire, la 356 évolue profondément : l’architecture originale des 356 Gmünd est abandonnée au profit d’une coque autoporteuse, le moteur est décalé vers l’arrière avec le désormais porte à faux qui sera si typique de la marque, et la carrosserie troque l’aluminium contre de l’acier, ajoutant 100kg de plus sur la balance. En tout et pour tout, les 356 de série pèsent 200kg de plus que les premières 356, alors que dans le même temps le moteur évolue peu. En effet, originellement les 356 utilisent le 1.100cm3 Volkswagen de 40Cv, qui permet déjà à la 356 d’atteindre 140km/h, mais la puissance était jugée faible. En 1951, il est rejoint par le 1300, avec 4Cv en plus mais surtout avec un meilleur couple, et le 1300S de 60Cv. Puis en 1953 arrive le 1.500cm3, toujours plus puissant.
L’année d’après, la Porsche 356 évolue et se nomme désormais 356 A et gagne, du côté des évolutions, un pare-brise panoramique en une seule pièce, une poignée de capot intégrant le blason Porsche, une baguette chromée sur les bas de caisse … la 356 s’embourgeoise, et deviendra toujours de plus en plus puissante au fil des années. Mais désormais, lâchons l’histoire des 356 pour nous concentrer sur les modèles les plus puissants !
Il n’aura échappé à personne que la 356 est une voiture sportive, et pour en faire la promotion Porsche va très rapidement s’engager en compétition automobile. 1951 et le coupé 356 « Light Metal » représentent les débuts de cette aventure, avec un engagement aux 24 heures du Mans et une victoire dans la catégorie de l’auto. Puis viennent d’autres compétitions, où Porsche signe de son nom : les 72 heures de Montlhéry, le rallye Liège-Rome-Liège, Monza … Du côté de l’Amérique, une course émerge, la Carrera Panamericana, au Mexique, laquelle permet aux constructeurs de s’offrir un coup de publicité pour le marché nord américain. Porsche engage deux 356 en 1952, puis l’année d’après, c’est deux Spider 550 qui s’engagent, sans réussite avec l’abandon des deux voitures en début de course.
Dans le même temps, Porsche demande à l’ingénieur Ernst Fuhrmann de développer un moteur plus puisant pour les 550, ce qui donnera naissance au « Typ 547 », un flat-4 de 1.498 cm3 à double arbre à came en tête, avec un allumage composé de deux bougies jumelées par cylindre. Cet ensemble développant 110 Cv est finalisé courant 1953, mais ne fut pas engagé lors de la Panamericana de 1953, Fuhrmann étant peu optimiste sur la fiabilité du bloc. D’ailleurs, la Porsche 550 avec le moteur Fuhrmann ne fut présentée qu’en octobre 1953 au salon de Paris avant d’entrer en compétition en 1954 : Mille Miglia, 24 heures du Mans avec des victoires dans la catégorie des 1500, plus par chance car le moteur était encore peu fiable, mais les concurrents l‘étaient encore moins. Mais une fois les problèmes de naissance réglés, la fin de saison est euphorique : 12 heures de Reims, Grand prix d’Allemagne au Nurburgring … Puis vient la Carrera Panamericana pour clore cette saison 1954, où la voiture terminera 3ème au classement général, et avec le doublé dans sa catégorie. Pour cette ultime version de la Panamericana, les Porsche 550 rentrent dans la légende !
Avec un moteur si puissant, l’idée d’intégrer le moteur 547 dans une Porsche 356 émerge tôt dans la conception du 547, si bien que Fuhrmann réalise cette greffe sur sa propre 356 ! Si l’adaptation du moteur dans la 356 ne fut pas des plus aisés, le résultat est à la hauteur des espoirs de Fuhrmann, engageant même la voiture lors du rallye Liège-Rome-Liège 1954 qu’elle remporta. Il n’en fallait pas plus pour convaincre Ferry Porsche de commercialiser le modèle pour une petite partie de sa clientèle qui réclamait une voiture plus puissante, mais aussi pour capitaliser sur le succès des 550 à la Carrera Panamericana. La 356 1500 GS Carrera était née, elle ne fut produite qu’à 100 exemplaires pour l’homologation du modèle dans la catégorie des GT. Mais, prévu pour un usage plus civil, le moteur fut légèrement modifié et la puissance réduite à 100 Cv, la 356 pouvait néanmoins atteindre les 200km/h, en ayant un accélération digne des grosses cylindrées d’alors. Lancée en même temps que les 356 A, la 356 1500 GS Carrera reprendra les perfectionnements de cette version, avec quelques éléments distinctifs : des pneus plus larges, des sièges baquet, un volant en bois, mais surtout des logos Carrera sur les ailes avant et le capot moteur. La légende était née !
A l’origine, si la 356 1500 GS Carrera était prévue pour une série de 100 exemplaires uniquement, disponible selon la volonté du client en coupé, cabriolet ou Speedster, l’engouement autour de ce modèle fut tel que Porsche se posa la question d’intégrer cette version dans sa gamme. Il faudra attendre mai 1957 pour que ceci soit effectif avec deux versions : la « Carrera De Luxe » , prévue pour une utilisation routière, et la « Carrera GT » réservée aux coupés et Speedster pour la compétition, avec une puissance augmentée de 10 Cv. Rapidement, un moteur 1600 vient épauler la gamme Carrera pour un usage plus civil en lieu et place du 1500. En 1959, la 356 B fait son apparition, les phares sont placés 10 centimètres plus haut, les pare-chocs sont plus gros et se parent de butoirs. Ces évolutions, seule la Carrera 1600 GT les reçoit. En 1960, apparaissent les Carrera Abarth à la carrosserie profilée, puis vient 1961 et la voiture qui nous intéresse, la 356 Carrera 2 !
La 356 Carrera 2 est présentée en salon de Francfort se déroulant courant Septembre 1961, cette version se base sur la 356 B et reprend le moteur Fuhrmann, porté cette fois-ci à 1.966cm3. La version civile de la Carrera 2 développe 130 Cv à 6.200 t/mn, le moteur dispose d’un couple remarquable, mais surtout d’une boite de vitesse mieux étagée, la rendant plus simple d’utilisation sur route. Des versions sportives ont également été proposées, offrant 140 à 155Cv, avec des éléments en aluminium, des vitres en plexi, et un intérieur vidé de tout élément de confort. Nombre de ces exemplaires furent engagés en rallye, avec de nombreuses victoires de catégorie, notamment au Monte Carlo 1963 !
Mais revenons aux versions Carrera 2 « civiles », car le modèle que nous avons eu la chance de croiser pour cet article est une version de 130 Cv. Mais avec cette puissance, la 356 doit subir quelques modifications afin d’en tirer le meilleur parti. Ainsi, d’origine, les 356 Carrera 2 sont équipées de quatre freins à disque et de jantes larges. Le moteur, plus gros, nécessite un refroidissement sans faille. Ainsi, sur le capot moteur prennent place deux grilles d’aération, tandis que la jupe arrière, spécifique, comprend des ouïes pour évacuer la chaleur, et intègre les deux échappements. Toujours dans cette optique de refroidissement, le radiateur d’huile est placé à l’avant, les tuyaux se retrouvent ainsi dans le passage de roue avant droit comme sur l‘ensemble des Carrera!
Les 356 Carrera 2 ont également d’autres spécificités, comme celles de ne pas avoir de butoirs sur les pare-chocs, ni même de grille chromée dans les entrées d’air situés à côté des clignotants : il n’y a pas de petites économies sur le poids. Quant à l’intérieur, on peut citer le volant spécifique au modèle, avec des éléments de marqueterie collés et vernis, le tout fait à la main ! Un véritable bijou en somme !
Proposée en coupé et cabriolet, la Porsche 356 Carrera 2 s’écoulera bien plus en coupé qu’en cabriolet, pour des raisons évidentes de rigidité, mais aussi afin de permettre de s’engager en compétition. Les Cabriolet Carrera 2 demeurent donc des pièces rares, très rares ! Cet exemplaire, sur base d’une 356 BT6 de 1952, a été livré aux Etats-Unis cette année là, où elle restera jusqu’à l’aube des années 2000. Malheureusement, cette voiture avait été « oubliée » en Amérique, si bien qu’elle était alors une épave lorsqu’elle a été dénichée, puis rapatriée en Italie. Cette 356 Carrera 2 passera encore quelques années dans cet état, avant d’être repérée par un passionné du modèle, qui entreprit de la remettre dans son état d’origine, peinture comprise, d’autant plus que cette 356 est « matching numbers », c’est-à-dire qu’elle dispose encore de ses éléments mécaniques (moteur et boite) d’origine, plutôt rare pour un véhicule au moteur issu de la compétition. Et c’est dans cet état, complètement neuf, que je découvrirai cette voiture d’exception et, très certainement, je ne reverrai pas cette voiture ou ses 14 autres sœurs survivantes avant un bon moment. Alors je ne peux que profiter du moment, à rêver, en regardant l’intérieur magnifique, ou le moteur, véritable chef d’œuvre mécanique.
Quant à faire un essai de la belle, ce n’est même pas la peine d’y penser, d’une part car il s‘agit d‘une voiture de client, mais aussi parce que la valeur de ces modèles, très rares, dépassent l’entendement : la côte « officielle » estime ces modèles à 260.000€, mais comme l’ensemble des 356 Carrera 2 survivantes sont très bien répertoriées, elles s’échangent généralement entre passionnés lors de ventes privées, et les prix dépasseraient très largement cette côte … reste donc à attendre une vente aux enchères pour se faire une idée du prix de cette rareté ! Cependant, j’ai bien l’intention de ne pas vous laisser sur votre faim, et c’est très aimablement que le garagiste ayant effectué la révision de cette voiture a accepté de nous dire quelques mots sur cette voiture :
« Nous avons eu la chance de nous voir confier cette Porsche 356 Carrera 2 pour l’entretien ainsi que des finitions en restauration avant la livraison à son nouveau propriétaire. C’est le genre de voiture où nous sommes un peu anxieux à l’idée de l’essayer sur route ouverte. En effet, outre la peinture noire polie lustrée magnifique où le moindre gravier pourrait laisser un impact, il y a surtout ce mythique moteur, le Fürman : une œuvre d’art synonyme de graal pour les passionnés, mais aussi une mécanique très complexe et fragile, que seules quelques poignées d’anciens mécaniciens Porsche, aujourd’hui à la retraite, maitrisent encore. La complexité est telle que régler le jeu aux soupapes de ce moteur prend la journée complète d’un spécialiste du genre confirmé.
Mais pour livrer une auto « de luxe » à son nouveau propriétaire, il faut qu’elle fonctionne, et pour la fiabiliser, il faut donc rouler. Il ne faut pas s’attendre à une accélération démoniaque, il n’y a que 130 chevaux pour environ 900kg, donc ça reste très modéré en montée en régime. [Loin d’être impressionnant aujourd’hui, les performances de la Carrera 2 en son temps avaient de quoi plaire à plus d’un passionné de conduite sportive ] Par contre, la voiture n’est plus la même au dessus de 5.000 tr/min, d’autres sensations, et surtout, un autre bruit … »
Les +
_ voiture mythique et d’exception
_ allure discrète et proche d’une simple 356
_ cabriolet et sportive
Les –
_ prix
_ entretient rigoureux
_ modèle très rare !
_ quasi introuvable en matching numbers
L’avis d’Alex
Les Porsche 356 Carrera auront été produites de 1955 à 1965, dix années qui auront suffit à graver au fer rouge le nom « Carrera » dans l’histoire de Porsche ! Avec la 356 Carrera 2, on est déjà dans les premières évolutions de cette série Carrera, avec des modèles à moteur de compétition mais civilisés afin de permettre un usage sur route ouverte. Aujourd’hui encore, l’on retrouve cet ADN dans les actuelles Carrera ! Chez Porsche, on connait l’attrait des amateurs pour le modèle original, la 356, qui est aujourd’hui très côtée, alors imaginez pour une 356 Carrera ! Ces voitures sont hélas devenues hors de portée des passionnés, ou du moins de la plupart des passionnés. Alors il ne nous reste plus qu’à regarder ces véhicules, quand l’occasion se présente, et d’en profiter ! Quant à la 356 Carrera 2, bien que le modèle soit mythique, seuls les véritables passionnés de Porsche sauront apprécier à sa juste valeur le modèle, le reste des passionnés n’y verra guère plus qu’une Porsche 356 ! Et pourtant, sous cette robe si connue se cache un moteur d’exception, qui fait toute la valeur de la voiture …
Mes plus vifs remerciements à l’équipe de « Vintage Import 87 » pour avoir organisé cette rencontre et pour leur accueil, en particulier Bruno.P pour son aide dans la confection de cet article.Et comme à l’habitude, n’oublions pas JF pour sa relecture !