Dans les années 1950, les grands constructeurs se mettent en quête de nouvelles technologies pour animer l’automobile, certains s’intéressent au nucléaire, d’autres, certainement plus pragmatiques, tentent leur chance avec la turbine, tel fut le cas de la Régie Renault qui développe une voiture expérimentale, l’Etoile Filante.
Pour être toujours à la pointe, les constructeurs d’automobiles doivent avoir une longueur d’avance sur la technologie, quitte à s’éloigner de son corps de métier principal. Tel est le cas avec la turbine, mise au point au cours du second conflit mondial pour l’aviation, et qui, une fois la paix revenue, intéresse quelques constructeurs automobiles pour lui donner une application terrestre. Rover est à la manœuvre et crée ainsi la première voiture à turbine, mais d’autres lui emboîtent le pas : Chrysler, Fiat, et donc Renault.
Pour Renault, les études autours de la turbine paraissent presque naturelles : la société est nationalisée depuis 1945, quant au domaine de la turbine, il est en grande partie verrouillé par l’Etat soit par le biais de la SNECMA, société nationalisée, soit en étant le principal client des autres sociétés, tel est le cas de Turbomeca. En réalité, ce mariage est un peu plus complexe, car dans le domaine de l’aéronautique de chasse, l’Etat français préfère les turbines SNECMA aux turbines Turboméca, ce qui oblige la petite entité, dirigée par Joseph Szydlowski, à trouver de nouvelles débouchés, aussi bien dans le domaine aérien en développant une turbine pour un hélicoptère développé par la SNCASE, la future Alouette.
Et dans le domaine terrestre, Turbomeca va également tenter sa chance, dans un premier temps avec l’armée française pour, semble-t-il, développer un char à turbine. Ce projet tombe à l’eau mais Turboméca avait réalisé la turbine Turmo1 dans cette optique. Sans doute pour la recycler, Joseph Szydlowski se rapproche de Pierre Lefaucheux, président de Renault, pour lui proposer d’expérimenter la turbine sur l’automobile et aller battre le record du monde de vitesse.
Cependant, Pierre le faucheux semble peu convaincu par ce projet, d’autant que la Régie avait d’autres priorités. Malgré tout, un petit commando est mis en place courant 1954 afin de mettre en œuvre le projet, celui-ci est composé du pilote Jean Herbert, du bureau d’études dirigé par Fernand Picart, d’un ingénieur venu de chez Turboméca (Dabadie), et Albert Lory, créateur du moteur 8 cylindres Delage développé pour les records et la compétition automobile.
Le premier élément de la voiture est donc la Turbine Turmo1, fournie par Turboméca et qui développe pas moins de 270 Ch à 28.000 tours minutes, celle-ci utilisait le kérosène comme carburant. C’est autour de cette dernière qu’est construire une voiture hors norme destinée à un seul but, aller le plus rapidement possible. Mais la première difficulté est d’utiliser la turbine sur un véhicule terrestre, et notamment d’évacuer la chaleur dégagée, ou encore d’adapter la transmission compte tenu de l’importante vitesse de rotation. Pour cela, Renault développe la transmission Transfluide (qui sera, plus tard, intégrée sur les Frégate).
Concernant l’architecture, la petite équipe construit une structure tubulaire qui accueille en son centre la turbine, le pilote est situé tout juste devant. Pour l’habillage, gain de poids oblige, la carrosserie est réalisée en polyester stratifié, qui outre sa légèreté, permet de créer les formes que l’on souhaite par la technique du moulage. Et ça tombe bien car les ingénieurs de Renault ont réalisés de nombreux essais en soufflerie pour déterminer la ligne la plus aérodynamique possible pour cette voiture.
Février 1956, le premier prototype est finalisé, celui-ci n’est pas encore définitif et présente un cockpit couvert d’une large bulle en verre. Celle-ci disparaît sur les photos ultérieures.
La présentation de l’Etoile Filante se fait le 22 Juin 1956 sur l’autodrome de Montlhéry devant un parterre de journalistes et de spécialistes, Renault annonce son intention d’aller chercher le record du monde de vitesse. Quoiqu’il en soit, Renault frappe déjà un grand coup en présentant une voiture qui a un design novateur, sans oublier l’intérêt technique lié à la motorisation. L’impact médiatique est déjà bon, le rendez-vous avec le lac salé de Bonneville est pris pour la fin de l’été 1956, mais l’on attend déjà beaucoup de cette voiture dont la fiche technique est époustouflante : 270cv pour 950kg, et une Cx de 0,18. Et lors de cette présentation, Jean Herbert effectue quelques tours de l’anneau de Montlhéry dont il effectue le tour au delà de 190km/h de moyenne avec une pointe à 220km/h dans la ligne droite.
Avant de partir sur le lac salé de Bonneville, la Renault Etoile Filante part à Monza pour quelques essais, un circuit connu pour être surnommé « temple de la vitesse ». Et c’est les 250km/h qui sont atteints lors de ces essais, des résultats encourageants poussant l’équipe à produire un second châssis pour établir les records.
Le second prototype est finalisé durant l’été 1956 et envoyé directement dans l’Utah pour aller se dégourdir les roues sur le lac salé de Bonneville, ce lieu qui a dans son histoire les records de vitesse. Et pour Renault, ce lieu est tout bénéfique car il permettra d’appuyer la conquête des Etats-Unis entamée par la Régie au milieu des années 1950. Mais avant d’en arriver là, encore faut-il réussir à battre le record.
Une première et seule journée de tests a lieu sur le lac de Bonneville, la voiture ne roule que quatre heures et ne parcourt que 500km sur le lac avant de finaliser sa mise au point. Le 5 Septembre 1956, la Renault Etoile Filante est tractée derrière un trucks américain direction le lac de Bonneville, dans quelques heures, la voiture s’élancera pour battre le record de vitesse pure pour une voiture à turbine.
Au volant, Jean Hebert met en marche sa voiture. Quant il l’arrête quelques dizaines de kilomètres plus loin, il vient de battre quatre records internationaux : le record de vitesse pure avec 308,85km/h; la voiture rafle aussi le record de vitesse sur le le mile, 5km et sur 5 miles pour une voiture à turbine. Dans le camp Renault, le succès est total, mais l’on prévoit de recommencer le record le lendemain. En effet, Jean Herbert semble sa voiture capable de mieux puisque lors du trajet retour, celui-ci a atteint 322km/h sur son compteur, une vitesse qui ne pourra hélas pas être homologuée. Mais un incident sur la turbine empêchera l’Etoile Filante de repartir, et sans machine de rechange, la nouvelle tentative n’a pas lieu.
Outre le record de vitesse qui permet un certain impact médiatique, l’Etoile Filante permet d’étudier le comportement au sol pour un véhicule atteignant des vitesses élevées, l’influence des dérives et l’efficacité du freinage sachant que la turbine n’a pas de frein moteur.
La Renault Etoile Filante fait un retour triomphale en France où elle fut exposée au salon de l’automobile de Paris sur le stand Renault, avant de partir dans une retraite bien méritée avec quelques démonstrations ici et là. Quant au premier exemplaire, celui-ci part pour les Etats-Unis afin d’être exposée au salon de New-York, avant de partir au Mexique où ce modèle est resté jusqu’à très récemment.
Vous ne relatez pas la démonstration sur le circuit de Gueux à Reims en juillet 1957 ; j’etais présent ce jour là dans les stands technique.
Je me souviens très bien, j’avais 14 ans en 1956….Tous les journaux ne parlaient que de cet événement , et quelle publicité pour Renault !
Il n’y a toujours eu qu’un modèle de l’Etoile Filante. Pas de « premier », qui sous entend un, puis deux modèles. Quand on parle de premier modèle qui serait au Mexique (oui, il est à Mexico) ce n’est qu’un assemblage d’élément non mécanisé, effectué après les records, uniquement pour les expositions (sans moteur, sans direction… Les fusées et roues étant soudées au « faux-châssis » ayant servi quant à lui, uniquement de gabarit d’assemblage.
Voir mon ouvrage : »L’épopée de l’Etoile Filante » 2006.