Dans les années 1930, Lincoln est mis à mal à cause du krach boursier de 1929, ses ventes demeurent si faibles que Ford met au point une voiture plus accessible pour sa filiale haut de gamme, la Zephyr dont la production s’étale de 1936 à 1942…
Achetée par Ford en 1922, la marque Lincoln est depuis la filiale haut de gamme du groupe, dont la production est réservée à l’élite américaine. Hélas, la crise de 1929 met à mal la marque Lincoln dont les ventes s’effondrent : 3.312 voitures en 1930, 1.434 en 1934, bien loin du record de 9.000 unités de l’année 1926. Alors chez Ford, un plan de relance est mis en place visant à élargir la gamme Lincoln vers le bas, permettant d’effacer le fossé entre le haut de gamme de Ford alors représenté par la V8 Deluxe, et la première Lincoln, la K-Series. Pour cette nouvelle petite Lincoln, les mots d’ordres sont simples : la voiture doit avoir une qualité et une finition conforme à ce que le public attend d’une Lincoln, être avant-gardiste et être commercialisée au prix maximal de 2.000$.
Pour le côté avant-gardiste, Lincoln va se diriger dans la tendance de l’époque, à savoir les carrosseries aérodynamiques. Edsel Ford, fils d’Henry, y est favorable et prend contact avec le styliste John Tjaarda, alors employé chez la Briggs Manufacturing Company, un sous-traitant de Ford, lequel s’était illustré par des dessins de voitures profilées. Il est alors mis en collaboration avec le styliste maison de Lincoln, Eugène Gregories, qui s’inspire alors des avions et locomotives de l’époque. L »automobile commence à se tourner vers les carrosseries aérodynamiques, Chrysler présente courant 1933 la Trifon Special, prémices de la célèbre Airflow commercialisée en 1934 (lire aussi : Chrysler Airflow). Chez Ford, on teste tout d’abord la réaction du public avec un prototype de berline profilée présenté à la fin de l’année 1933, équipé du V8 Ford placé à l’arrière.
Si en 1934, la Chrysler Airflow qui lance véritablement l’époque du Streamline Moderne (lire aussi : les Streamline Cars) ne trouve pas sa clientèle, le public reste favorable aux carrosseries aérodynamiques. La future Lincoln Zephyr ira dans ce sens, la carrosserie est travaillée avec des essais de résistance à l’air semblable à ceux pratiqués par l’industrie aéronautique de l’époque. Sur le plan technique, il est décidé de réaliser une caisse autoporteuse permettant de bénéficier d’une plus grande rigidité tout en réduisant le poids de la voiture, des essais de résistance démontrent que cette construction permet d’encaisser un choc deux fois plus important par rapport à une voiture réalisée avec châssis séparé.
Quant à la mécanique, si le projet initial prévoyait de récupérer le V8 Ford d’alors, toutefois modifié pour proposer 100Ch, Edsel Ford opte pour la réalisation d’un tout nouveau V12 afin de ne pas choquer les clients fidèle à la marque Lincoln. Ces mêmes considérations font passer le moteur à l’avant alors qu’il était prévu une voiture à moteur arrière. Pour concevoir ce moteur, les motoristes de Lincoln partent du V8 Ford pour aboutir à un V12 de 4.375cm3, bloc en fonte, culasse en aluminium et pistons en acier, alimentation par carburateur double corps, proposant 100Ch. Ce V12 présente l’avantage d’être compact, de développer une puissance similaire aux V8 de l’époque permettant une pointe à 130km/h, et une souplesse permettant de rouler en troisième sans avoir besoin de changer constamment de rapport.
Avant sa présentation, Edsel Ford demande au styliste Gregories de retoucher à la face avant de la voiture, la forme goutte d’eau de la Chrysler Airflow étant certainement la raison de son insuccès. Sur les instructions d’Edsel Ford, la Lincoln Zephyr reçoit une calandre en V, quasi verticale, son capot plat qui se prolonge jusqu’à la calandre, et ses ailes qui enveloppent les arches de roues sur lesquelles sont incrustés les optiques. La Lincoln-Zephyr est ainsi plus acceptable que la Chrysler Airflow, elle est même plus aérodynamique que cette dernière. La voiture sera dévoilé tel quel, le 2 novembre 1935. Quant à la production, elle ne démarre réellement qu’en juin 1936, Briggs assemble la caisse autoporteuse, Ford se contentant d’y intégrer les trains roulant et l’ensemble mécanique, de la finition intérieure et de la peinture.
Lors de sa présentation, la voiture est alors commercialisée sous la marque « Lincoln-Zephyr » mais bien distribuée au sein des concessions Lincoln, cette marque Lincoln-Zephyr s’effacera au fil des millésimes. Lors de sa première année de commercialisation, la Zephyr est disponible en deux versions, un berline à deux portes proposée à 1.275$ et une berline à quatre portes vendue 1.320$. La réussite est immédiate, 14.994 exemplaires de la Zephyr sont écoulé lors de la première année, représentant près de 80% des Lincoln vendues cette année.Le succès est tel que Lincoln développe la gamme de la Zephyr avec l’arrivée, pour le millésime 1937, de deux nouvelles carrosseries : un coupé deux portes proposé à 1.165$ et une Limousine à 1.425$. La berline deux portes passe à 1.245$ et désormais appelée « Coupe Sedan », la berline est commercialisée 1.265$. En 1937, 29.997 Lincoln Zephyr sont écoulées, confirmant la réussite du modèle.
Hélas, si le modèle est un succès commercial, la Lincoln Zephyr est critiquée par ses problèmes a répétition concernant le refroidissement du moteur, obligeant Lincoln a revoir l’avant de la voiture avec une calandre plus large et plus basse afin de coller avec la l’emplacement du radiateur. Cela permet d’abaisser la hauteur du capot, le dessin des ailes sont revus afin d’intégrer encore mieux les phares. Cette nouvelle face avant, dévoilée sur le millésime 1938, influence le style de la maison Ford dans les années à venir : on mise désormais sur le plan horizontal et plus le plan vertical. Plus qu’un simple restylage, la Lincoln Zephyr voit son empattement rallongé, le moteur déplacé de 7,5 cm vers l’avant, le tout au bénéfice de l’habitable.
Outre la modification de la face avant la Lincoln Zephyr 1938 reçoit de nouvelles variantes de carrosseries avec un cabriolet vendu 1.650$ et une « Convertible Sedan » à 1.790$. L’économie américaine ne se porte pas au mieux en 1938, la production de la Lincoln Zephyr est en baisse à 19.111 unités. En 1939, le V12 est réalésé à 4.387cm3 et sa puissance portée à 110Ch, le freinage est désormais hydraulique et non plus par câbles. La gamme reste identique si ce n’est que chaque variante de carrosserie est proposée en version classique ou Custom à la finition améliorée. Les ventes augmentent cette année pour atteindre les 21.000 exemplaires, malgré l’arrivée de la Ford Mercury qui se place juste en dessous de la Lincoln Zephyr.
En 1940, la Lincoln Zephyr connait un important changement avec une nouvelle structure autoporteuse, à l’extérieur, les marchepieds disparaissent permettant d’élargir l’habitacle, les surfaces vitrées sont agrandies avec notamment une lunette arrière désormais constituée d’une seule pièce. La variante « Convertible Sedan » n’est pas reconduite mais un coupé Fastback arrive en lieu et place du Sedan Coupe. A l’intérieur, de nombreux changements sont apportés notamment sur la planche de bord et la configuration de l’instrumentation, le volume du coffre est augmenté. Quant à la mécanique, elle est une nouvelle fois réalésée avec une cylindrée à 4.785cm3 et une puissance de 120Ch. 21.228 Lincoln Zephyr sont écoulées en 1940.
L’année suivante, peu de modification esthétiques si ce n’est l’apparition d’une baguette chromée au dessus de la calandre, ou l’apparition de feux de gabarit au sommet des ailes. Malheureusement, les ventes de la Zephyr sont en fort recul avec seulement 16.344 exemplaires vendus, la faute à la Cadillac Serie 61 dont les ventes ont doublé. Pour résister, Lincoln offre une nouvelle face avant aux Zephyr du millésime 1942 avec un capot dans le style des Cord, mais une face avant alourdie par des éléments chromés ou les optiques cernées par un clignotant d’un côté et une veilleuse de l’autre. Si la cylindrée est portée à 5,0 litres pour 130Ch, la Seconde Guerre Mondiale vient interrompre la production de la voiture le 2 février 1942 après 6.098 unités, Lincoln devant après cette date, comme les autres constructeurs américains, produire du matériel militaire.
La production de la Zephyr s’arrête donc ici, bien que le modèle soit repris entre 1946 et 1948 mais commercialisé sous la seule appellation « Lincoln ». La Zephyr a permis à Lincoln de survivre et de passer les années 1930 qui commençaient de la pire des façons, mais aussi de compléter la gamme du groupe Ford. Ce n’est finalement qu’avec l’arrivée de la Ford Mercury que cet écart entre Ford et Lincoln est véritablement comblé, permettant après guerre à Lincoln de se concentrer sur le seul marché du haut de gamme.
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