Filiale haut de gamme du groupe Ford, Lincoln est un constructeur haut de gamme fondé en 1917 par les anciens dirigeants de Cadillac, et repris par le groupe Ford en 1922. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, se constructeur saura s’installer dans le paysage américain et consolider sa place…
A l’origine de Lincoln, on trouve Henry Leland, un industriel américain qui commença dans le monde des affaires en fondant avec deux associés, dans les années 1890, une entreprise (qui se nomma L&F quelques années plus tard) spécialisée dans la conception de machines à destination de l’industrie. Rapidement, l’entreprise investit dans une fonderie, elle fait de la qualité son image de marque et dispose d’une précision d’usinage qui atteint le millième de millimètre. Le savoir-faire de l’entreprise en fait un interlocuteur des entreprises de transport, on lui demande de concevoir et de fabriquer des cardans de transmission, des moteurs à vapeur puis à pétrole, d’améliorer des boites de vitesses… Henry Leland s’intéresse de plus à plus à l’automobile et devient l’un des fondateurs de Cadillac en 1902, Cadillac et L&F fusionnent en 1905 avant que l’entreprise ne soit rachetée par William Durant en 1909 pour être intégrée à son groupe General Motor. Henry Leland et sa famille restent à la tête de Cadillac jusqu’en 1917.
Cette année-là, Henry Leland souhaite réorienter la production de Cadillac dans la production du moteur d’aviation Liberty, un V12 de 400Cv conçu à la demande du gouvernement des Etats-Unis pour les besoins de son armée entrée dans la Première Guerre Mondiale. Durant, pacifiste, refuse cette reconversion, la famille démissionne de ses fonctions en juin 1917 et fonde l’entreprise Lincoln. Ce nom est choisi en référence au premier président pour qui Henry Leland a voté. La fortune des Leland, avec l’appui d’un prêt fédéral, permet de lancer la construction d’une usine. Cette dernière fut opérationnelle à la fin de l’année 1917 et assemble plus de 6.500 moteurs jusqu’à l’armistice.
La paix revenue, les contrats militaires cessent rapidement. Lincoln dispose d’une usine moderne, la famille Leland va donc réorienter la production vers ce qu’elle sait faire, l’automobile. Initialement, la famille Leland pense devenir fournisseur pour l’industrie automobile, c’est finalement vers la production automobile que l’entreprise Lincoln va se tourner. Chez Cadillac, la famille Leland avait l’expérience du haut de gamme, alors Lincoln fera également des voitures haut de gamme. Il faut attendre la fin de l’année 1920 pour que cette réorientation soit effective, le 26 janvier, une nouvelle entité nommée « Lincoln Motor Company of Delaware » est fondée dans le Delaware, un Etat au régime fiscal plus favorable. Cette dernière rachète les actifs et le passif de l’ancienne société, et ouvre son capital. La souscription est une réussite, il faut trois heures pour atteindre les 6,5 millions de dollars de capital.
Le 14 septembre 1920, Lincoln présente sa première voiture, la Model L, équipée d’un V8 de 81Ch pour une vitesse maximale de 112km/h. La voiture est fortement inspirée des Cadillac, il faut dire que la famille Leland avait été suivie par une partie du personnel de Cadillac, et notamment les responsables techniques. Cette voiture est équipée d’une boite à trois rapports, elle peut espérer atteindre les 110km/h en vitesse de pointe. La Model L reçoit des critiques sur le style de sa carrosserie, trop banal pour une voiture haut de gamme, le freinage par tambour aux seules roues arrière s’avère un peu juste pour la freiner. Proposée au prix de 4.600$, la la diffusion de la Lincoln Model L est naturellement limitée. Surtout, le marché américain voit de nouvelles concurrentes sur ce segment, à la Cadillac Type 59 se rajoutent désormais les Wills-Sainte Claire, Peerless…
Malheureusement, la Lincoln Model L arrive sur le marché à un moment où l’économie américaine commence à entrer en récession, ce qui limite encore plus la clientèle potentielle de la voiture. Lincoln est dans une situation financière délicate avant même la production de sa première voiture. Lorsque la Model L est présenté, Lincoln n’avait plus de liquidités qui étaient passés dans l’acquisition des moyens de production (Henry Leland, connu pour son obsession de la précision absolue, avait fait acheter les meilleures machines-outils disponibles), il fallait un nouveau prêt de 3,7 millions de dollars pour acquérir les pièces nécessaires à la production des 1.500 premières voitures, alors que le carnet de commandes ne comptait que mille voitures. Les premières livraisons prennent du retard, un mécontentement commence à se faire entendre et des rumeurs sur la mauvaise gestion de la firme circulent.
Ce mécontentement gagne petit à petit le cercle des associés puis du conseil d’administration de Lincoln. Une opposition se créée sous l’impulsion de Fred T. Murphy, rallie à sa cause Henry Nash, le trésorier de Lincoln, et divers associés. Quand Henry Leland présente une situation saine de Lincoln avec le besoin d’une petite augmentation de capital, Fred Murphy lui oppose qu’il est nécessaire de refinancer l’entreprise pour la sauver. En novembre 1920, Henry Leland doit constater qu’il a échoué à obtenir les financements nécessaires, l’opposition tente de lance rune mesure de liquidation. Cette solution est refusée par les Leland qui demandent une année aux actionnaires pour leur racheter leurs actions à 50$ l’unité. En clair, soit la famille Leland trouve un financement pour mener cette opération, soit, plus probable, cherche un repreneur pour Lincoln. Face à un avenir peu radieux, une partie de l’opposition met en vente ses actions sur le marché libre à partir de janvier 1921, alors que Lincoln avait commercialisé un peu plus de 3.000 exemplaires de sa Model L en 1920.
Du côté des Leland, on sait qu’il sera vain d’aller chercher un financement pour racheter le capital de Lincoln, l’entreprise est donc en vente. Pour rendre l’entreprise plus attrayante pour un repreneur, les Leland apportent des modifications au Model L et passe des contrats avec des carrossiers pour disposer d’une voiture au style attrayant. Une formule gagnante puisque les ventes augmentent légèrement, il fut produit 5.365 châssis Lincoln sur l’année 1921.
Parmi les potentiels repreneur sondés, le plus sérieux est Henry Ford, avec lequel une réunion est organisée mais se termine sans accord définitif. Ford avait les moyens de racheter Lincoln, l’entreprise avait certes connu un trou d’air avec la récession de l’économie nationale, mais déjà, la production de la Ford T repartait pour alimenter une demande toujours plus importante. Avec Lincoln, Ford entrevoit également une possibilité de se diversifier, mais le patriarche de la famille Ford n’est pas le plus convaincu. Toutefois, son fils, Edsel Ford, à la tête de l’entreprise depuis 1919, avait l’ambition de construire la meilleure voiture du monde (son père ayant produit celle qui était la voiture la plus populaire au monde), la proposition de racheter Lincoln lui permet d’atteindre ce doux rêve. Edsel Ford porte un projet qui obtient le soutien des membres de la direction de Ford, ce qui lui permet d’obtenir l’approbation de son père en décembre 1921. Si Henry Ford n’était plus à la direction de son entreprise, rien ne se décidait sans son accord préalable.
Ford lance une proposition à huit millions de dollars pour reprendre Lincoln, c’est la seule proposition faite qui reçoit l’approbation de la famille Leland. Le 4 février 1922, la vente est officialisée devant le gratin de l’industrie de Detroit. Lincoln reste une entité juridiquement distincte de celle de Ford, avec une direction qui lui est propre dans laquelle Henry Leland est nommé Président, son fils Wilfred est vice-Président, et Edsel Ford prend la place de second vice-Président. Ce dernier veut relancer les ventes et fait reprendre le dessin des carrosseries pour proposer une gamme avec de nouveaux types plus à même de convaincre la clientèle, tout en baissant les tarifs. Les équipes Ford observent les méthodes de production de Lincoln et y apportent leur savoir-faire pour améliorer les cadences. Les propositions de Ford sont vécues comme une ingérence par la famille Leland qui, plus maître à bord, est contrainte à la démission en juin 1922. Dès lors, la mise en place de chaînes de montage et la rationalisation de la production permet à Lincoln de devenir une affaire rentable.
Alors que les ventes de la Lincoln Model L étaient en perte de vitesse sur les derniers mois de l’année 1921 et début 1922, l’arrivée de Ford permet à la clientèle de retrouver confiance en la marque. Dès la fin mars 1922, les ventes augmentent, il fut produit 5.512 voitures cette année là, soit une production qui se maintient par rapport à 1921. Le frémissement connu depuis mars 1922 se confirme sur l’année 1923 avec plus de 8.000 châssis produits. Jusqu’en 1929, la Lincoln Model L connait de belles ventes (entre 6.500 et 8.500 par an) grâce à une politique d’amélioration continuelle, visant une clientèle de plus en plus exigeante. Néanmoins, après la crise de 1929, les ventes se réduisent, en 1930, Lincoln n’écoule que 3.312 unités. Avant la crise, le haut de gamme américain avait aussi de nouvelles références, les Duesenberg Model J, la Cord L29 et la Cadillac V16 posent de nouveaux standards que Lincoln devra suivre.
Dès 1930, Lincoln se met en quête d’une nouvelle voiture pour tenir la dragée haute à la concurrence. Une évolution nécessaire également parce que depuis 1928, Ford dispose d’un V8 dans sa gamme, ce qui impose de fait à Lincoln de monter en gamme. En 1930, Lincoln lance l’étude d’un moteur V12 dérivé à partir du V8 maison, mais la nouvelle voiture n’est annoncée que pour 1932. En 1931, pour remplacer la Model L, Lincoln sort la Model K avec l’ancien V8, remanié pour atteindre 120Ch. Le 5 octobre 1931, le V8 est désormais disponible sur le Model K dont la gamme est divisée en deux versions, la KA à moteur V8 et la KB à moteur V12. Rapidement, cette dernière prend la seconde place sur le marché américain des voitures à douze cylindres avec 1.515 unités produites en 1932, derrière Cadillac avec 1.709 exemplaires.
Le succès du V12 entraine l’arrêt du V8 sur le millésime 1933, la KA reçoit un nouveau moteur V12 de 6,255cm3 pour 125Ch étudié à partir du V8 Ford. Ce dernier moteur présente l’avantage d’être plus léger, plus simple à produire, c’est d’ailleurs le modèle KA qui s’impose sur le millésime 1933 avec 1.114 unités contre 533 KB. Lincoln prend la tête du marché des douze cylindres mais les ventes sont décevantes, il faut dire que l’économie américaine connait ses pires heures après la crise de 1929. Cette année-là, la Maison Blanche prend possession d’une Lincoln KA, une première pour la marque qui fut choisie en raison du style moins ostentatoire que les Pierce Arrow ou Packard… L’année 1934 fut meilleure avec 2.770 unités vendues, mais les chiffres restent en-dessous des espérances.
La Lincoln Zephyr…
Pour survivre, Lincoln doit proposer un produit plus accessible, partageant des éléments avec la production de grande série. Edsel Ford lance le développement d’une Lincoln à moins de 2.000$, le cahier des charges doit faire naître une voiture répondant aux standards de qualité de la marque et proposer une ligne d’avant-garde. Il s’agit pour Lincoln ne s’immiscer dans la mode du Streamline Modern, un mouvement apparu au début des années 1930 et qui voit les angles des automobiles s’arrondir. Il y eut en 1933 la Pierce-Arrow Silver Arrow, le prototype Trifon Special de Chrysler qui mène vers la Chrysler Airflow proposé l’année suivante. Si le public est demandeur de lignes aérodynamiques, l’Airflow va sans doute trop loin dans le concept et les ventes furent limitées. Mais tel est le sens de l’histoire et Lincoln va proposer sa voiture aux lignes dites aérodynamiques, Edsel Ford confie en 1933 l’étude de cette voiture au styliste John Tjaarda, alors employé à la Briggs Manufacturing Company (un sous-traitant de Ford).
Tjaarda imagine une voiture à la carrosserie profilée à moteur V8 Ford placé à l’arrière, construit autour d’une caisse autoporteuse. Un premier prototype est réalisé en 1933 permet de tester la réaction de la clientèle, qui se montre plutôt favorable. Edsel Ford impose toutefois des modifications, le moteur devra être un V12 et placé à l’avant. Les premiers dessins montrent toutefois que le bloc moteur est trop petit pour recevoir l’un des V12 de la Model K, il est décidé d’étudier un tout nouveau moteur à partir du V8 Ford. Franck Johnson, ingénieur motoriste chez Lincoln, développe un V12 de 4.375cm3 qui développe 100Ch et d’une souplesse rare dans son utilisation. Entre temps, l’échec de la Chrysler Airflow fait revoir le dessin de la voiture, qui était encore proche des premiers prototypes imaginés par Tjaarda. Edsel Ford demande au styliste de Lincoln, Eugene Gregorie, de prolonger la ligne de capot pour permettre d’installer une calandre en V. Gregorie en profite pour intégrer les phares aux ailes avant. Le résultat final fonctionne, aussi bien sur le plan visuel que sur le plan de l’aérodynamique : la nouvelle Lincoln dispose d’un Cx de 0.45 alors que la Chrysler Airflow n’était qu’à 0.50.
C’est tel quel que fut présenté la voiture le 02 novembre 1935, référencée sous la désignation Lincoln Model H en interne, elle porte la dénomination Zephyr auprès du grand public qui peut en prendre possession quasi instantanément, la production ayant débuté en juin 1935. La fiche technique est prometteuse : 140km/h, une consommation entre 13 et 17 litres aux 100km (plutôt raisonnable pour un V12 d’alors), elle est proposée en deux variantes de carrosserie : un coupé deux portes ou une berline quatre portes. Avec un prix bien positionné (1.275$ pour la deux portes, 1.320$ pour la berline), c’est un succès pour Lincoln qui en écoule 14.994 exemplaires en 1936. Une réussite qui pousse Lincoln à élargir sa gamme avec un coupé et un cabriolet en 1937, avec quasiment 30.000 Zephyr vendues cette année-là.
En 1938, l’avant de la Zephyr est redessiné pour améliorer le refroidissement du moteur (un point faible du modèle), le styliste Gregorie rajoute une calandre à fines barres horizontales, séparée en deux parties par le milieu. Cette année-là, l’économie américaine est en récession est seules 19.111 Zephyr sont vendues. Ce fut un peu mieux en 1939 avec 21.000 unités, mais le lancement de la Mercury cette année, s’insérant entre le haut de la gamme Ford et la Lincoln Zephyr, contrarie quelque peu les ventes de ce dernier modèle.