Avant l’avènement de l’Union européenne, pour vendre des voitures dans les pays voisins, il fallait bien souvent passer par des droits de douanes, quotas d’importations voire s’allier avec un acteur local pour produire dans le pays visé. C’est le cas de l’Espagne sous l’ère franquiste, qui, à coup de protectionnisme, est parvenue à faire naître une industrie automobile espagnole. Et Renault est sans doute l’un des acteurs qui s’en est le mieux sorti grâce à son partenaire FASA…
I/ La création de FASA
Rapidement après sa création en 1899, Renault ne s’est pas contenté du seul marché français et s’est mis en quête de marchés porteurs hors de l’hexagone. Si les premières Renault roulent en Espagne en 1902, il ne s’agit là que de clients qui exportent individuellement leurs Renault de l’autre côté des Pyrénées. Sans doute à force de commandes espagnoles, Louis Renault voit un fort potentiel au marché ibère et y ouvre une filiale commerciale en 1909 dénommée « Société Anonyme Espagnole des Automobiles Renault » (SAEAR) dont le siège social se situe à Madrid. Cette dernière connaîtra une forte expansion dans les années 1920, mais la crise économique des années 1930 et la guerre civile espagnole qui débute en 1936 mets la SAEAR en sommeil.
Après la seconde guerre mondiale, Renault nationalisé tente de reconquérir l’Europe, et notamment l’Espagne en réactivant la SAEAR. Hélas, entre 1948 et 1949, le ministère du commerce espagnol met en place des mesures de restriction concernant l’importation de véhicules automobiles, chaque constructeur doit désormais négocier des quotas avec le gouvernement espagnol, de quelques centaines d’unités à quelques milliers pour les constructeurs les mieux lotis. Derrière cette politique se cache l’intention de l’Espagne de se doter d’une industrie automobile nationale; l’INI, entité industrielle de l’Etat espagnol, conclu en 1950 en accord avec Fiat pour créer SEAT (lire aussi : l’histoire de SEAT).
Dans le même laps de temps, un colonel de l’armée espagnole et professeur à l’école polytechnique militaire, Manuel Gimenez Alfaro, s’intéresse de près aux problèmes de l’automobile en Espagne et décide de participer à la naissance de cette industrie en Espagne. Celui-ci se met en relation avec Renault pour obtenir la licence de la 4CV, petite voiture populaire qui pourrait convenir au marché espagnol. Si Alfaro entre en contact avec l’INI pour soutenir son projet, il se rend vite compte que le gouvernement espagnol n’a d’yeux que pour SEAT. C’est donc à titre personnel qu’il signe, le 12 février 1951, avec Pierre Lefaucheux, président de Renault, les droits de production de la 4CV en Espagne.
Sans soutien public, c’est vers les acteurs privés que se tourne Alfaro, licence en main, pour trouver des partenaires. Celui-ci élit domicile dans la région de Valladolid, un bassin industriel qui serait apte à accueillir l’industrie automobile, après avoir étudié les régions de Bilbao et de Madrid. Valladolid est choisi pour diverses raisons : présence de grands bâtiments industriels, nœud ferroviaire, main d’œuvre disponible, et surtout, des acteurs industriels prêts à participer à l’aventure. Car si l’Etat espagnol donne à Alfaro l’autorisation de produire des automobiles en octobre 1951, celui-ci doit obtenir dans les trois mois suivants le feu vert du ministère de l’économie et fournir l’acte de constitution d’une société avec soixante millions de Pesetas de capital.
Plusieurs industriels et hommes politiques de Valladolid s’unissent le 18 décembre 1951, et permettent de rassembler les fonds nécessaires pour débuter l’assemblage des Renault 4CV en Espagne. Le 29 décembre 1951, la société F.A.S.A (pour Fabrication d’automoviles Societad Anonima) est officiellement crée. Dans le capital de cette société, on retrouve un frère de Franco, Nicolas Franco, important investisseur espagnol, qui se retrouve président du conseil d’administration. Le pouvoir politique n’est pas loin…
II/ Les premières années FASA : de la 4CV à la R4
Sur un terrain d’environ 60.000m² en périphérie de Valladolid, la construction d’une usine débute en 1952, pour être opérationnelle moins d’un an et demi plus tard. Le 12 août 1953, la première 4CV produite par FASA sort d’usine et se dénomme Fasa 4/4 (pour 4 portes, 4 places). A cette époque, 50% des pièces des FASA 4/4 proviennent de France, notamment la caisse et l’ensemble moteur-boite, le reste, essentiellement des pièces mineures, sont produites localement. Sur cette fin d’année 1953, 707 véhicules sortent de l’usine FASA.
Par ailleurs, les débuts entre Renault et FASA sont empreints de réserves de la part du constructeur français : Renault ne croit pas en FASA et lui fourni les éléments de la 4CV à la condition de les payer dès leur livraison à la SAEAR. Néanmoins, la SAEAR se charge tant de la commercialisation que du service après-vente des FASA 4/4 au sein de son réseau.
Pour la petite histoire, entre février et avril 1954, la SAEAR allié d’un groupe financier espagnol tentent de prendre le contrôle de FASA. Pierre Lefaucheux, non avisé de cette manœuvre et apprenant que la SAEAR détenait directement une participation dans FASA, met un terme au projet. Les actions FASA sont revendues à son principal actionnaire, Nicolas Franco, à l’exception d’une participation symbolique d’un million de Pesetas, tandis que le directeur de la SAEAR est limogé. Pierre Lefaucheux ne veut pas d’une association directe avec FASA et craint d’exposer la Régie Renault à des investissements industriels conséquents.
Dans le même temps, pour faire face aux problèmes de qualité dans l’assemblage des FASA 4/4, Renault envoie un ingénieur français dans l’usine de Valladolid en échange de deux postes d’observateurs au sein du conseil d’administration de FASA. Cette même année, le groupe financier Fiero entre au capital de FASA, suivi l’année suivante de la banque Santander.
En 1956, FASA entre en négociation avec la Régie Renault pour obtenir la licence de la nouvelle Renault Dauphine (lire aussi : Renault Dauphine), tandis que le fondateur de FASA, Alfaro, quitte l’entreprise pour réintégrer l’armée espagnole. La Régie Renault ayant entre temps changé de président suite au décès accidentel de Pierre Lefaucheux, procède à l’évaluation de la production de l’entreprise espagnole. La qualité et la quantité des 4CV produites à Valladolid sont convaincantes, Renault envisage de détenir une véritable participation au capital de FASA. Ce revirement est aussi un moyen pour Renault d’investir les bénéfices industriels de sa filiale SAEAR que la loi interdit de faire sortir d’Espagne. Renault entre donc effectivement au capital de FASA mais sa participation ne dépassera jamais les 15% jusqu’en 1964.
Dans le même temps, Renault confère à FASA la licence de la Dauphine, mais en 1957, le gouvernement espagnol renforce les restrictions à l’importation d’automobile et impose que tout nouveau modèle d’automobile produit en Espagne le soit avec 90% de pièces espagnoles. Pour parvenir à ce résultat, FASA signe divers accord de coopération avec des entreprises espagnoles : ISA à Séville réalise les boites de vitesses et différentiels des FASA, NMQ de Santander produira les moteurs de la Dauphine. Les premières Dauphine sortent de l’usine de Valladolid le 28 juin 1958 et sont presque entièrement espagnoles, seule la carrosserie est importée de France.
Dans les années 1960, FASA connait un véritable boom, la ville de Valladolid est déclarée « Pôle de développement » par le régime de Franco, permettant l’obtention de plusieurs aides à l’investissement. En 1963, FASA obtient la licence de la Renault 4 (lire aussi : Renault 4) dans ses versions berline et fourgonnette, mais aussi de l’Alpine A108 qui fut produite en toute petite série.
III/ La naissance de FASA-Renault, second constructeur espagnol
L’année suivante fut une grande année pour FASA, puisque 32.900 voitures ont été produites en 1964. Un bureau d’études est lancé pour concevoir un véhicule adapté au marché espagnol en se basant sur la mécanique de la Renault Dauphine, sans qu’il n’y ait de suite commerciale. Mais surtout, Renault s’intéresse de près à FASA et envisage de monter sa participation au capital. En novembre 1964, un accord est conclu entre la filiale espagnole de Renault, devenue Renault Espana S.A (RESA, ex SAEAR) et FASA. Les deux entités fusionnent au début de l’année 1965 pour devenir FASA-Renault, société de droit espagnol au capital de 400 milliards de pesetas, détenu à 49,9% par Renault. La Banque Ibérique détient 25% du capital et le reste est la propriété d’actionnaires de Valladolid.
Pour doter ce nouvel ensemble de compétences mécaniques, FASA-Renault rachète en octobre 1965 la société ISA qui produisait les boites de vitesses pour le compte de FASA. Et les investissements n’en restent par là car deux nouvelles sociétés sont lancées simultanément : la FACSA pour la production de carrosseries et la FAMESA pour l’assemblage de mécaniques, ces dernières s’installent dans des ateliers à proximité de l’usine de Valladolid.
Quant à la direction de FASA, elle est placée sous la tutelle de Renault qui décide des gammes commerciales et des méthodes de production. Sur le plan industriel, un plan de production est mis en place avec un objectif de 103.000 véhicules produit annuellement dès 1969. Pour arriver à cet objectif, la Régie Renault fait parvenir 300 machines outils à FASA entre 1965 et 1967 pour créer de nouvelles lignes de montage et rendre plus efficientes celles en place. Ces efforts portent leurs fruits car la production journalière passe de 170 véhicules en 1965 à 400 en 1970.
La gamme commerciale évolue très rapidement pendant ces années, la Dauphine cède sa place à la Renault 8 (lire aussi : Renault 8) en novembre 1965, l’Ondina (version luxueuse de la Dauphine) se voit remplacée en octobre 1966 par la Renault 10 (lire aussi : Renault 10). Seule demeurait à la Dauphine Gordini, remplacée par la Renault 8 TS en octobre 1968. Plus anecdotique, l’Alpine A110 succède à l’A108 courant 1967. L’élargissement de la gamme FASA ne débute réellement qu’en avril 1969 avec l’arrivée de la Renault 6 (lire aussi : Renault 6) dans les lignes de montage de Valladolid, suivie de la Renault 12 (lire aussi : Renault 12) en avril 1970, et de sa variante break en septembre 1971.
Le début des années 1970 est faste pour FASA-Renault, 110.000 véhicules sont produits en 1971 dont plus de 95% sont destinés au marché espagnol, le reste à l’exportation. Le marché espagnol semble prometteur, le gouvernement espagnol table sur un parc automobile multiplié par huit à l’horizon 1980, poussant FASA-Renault à lancer une seconde vague d’investissements pour multiplier par deux sa production en cinq ans. L’usine de moteurs est agrandie, de nouveaux ateliers sont dédiés à la fabrication des éléments de direction et aux train-avants, et une seconde usine d’assemblage située à Valladolid aux capacités identiques à la première est mise en service en octobre 1972. Celle-ci débute avec une ligne réservée à la Renault 8, avant d’être dédiée à la production de Renault 5 à compter du mois de novembre 1972. Avec cette Renault 5 (lire aussi : Renault 5), Renault joue à arme égale avec Seat et sa 127 permettant à Fasa-Renault de consolider sa place de deuxième constructeur espagnol.
IV/ Les incertitudes économiques des années 1970 et l’intégration de FASA-Renault à la politique mondiale de Renault
Si tout semble sourire à FASA-Renault en ce début d’années 1970, le gouvernement espagnol décide de modifier la réglementation automobile. Désormais, tout constructeur qui investit dix milliards de pesetas en Espagne se verra appliquer un taux de 50% de pièces d’origine espagnole (contre 90%) à la condition que 80 à 90% de la production soit exportée. Ce changement de législation, fait pour attirer Ford qui implantera à Valencia l’usine de montage des Fiesta (lire aussi : Ford Fiesta MkI) qui fut pleinement opérationnelle fin 1976, jette un froid sur le marché espagnol. FASA-Renault et SEAT négocient en 1973 des avantages fiscaux importants et des crédits d’Etat pour soutenir l’investissement et la modernisation des lignes de montage, avec pour seule contrepartie l’exportation de 20% de leurs productions.
Soutenu par la politique du gouvernement Espagnol, FASA-Renault met en gestation courant 1973 une troisième usine située à Palencia, à 45 minutes de Valladolid, pour accueillir les lignes de montage des Renault 12 et de la future R18. Hélas, 1974 est l’année de la crise économique en Espagne et met à mal les investissements des constructeurs nationaux. La grève de janvier 1974 cause l’arrêt de la production des usines, les immatriculations en Espagne cette année là baissent de 2,5%. FASA-Renault de son côté voit sa production augmenter d’un pourcent, à comparer aux trente pourcents de l’année précédente. Si Renault diminue la casse cette année là, c’est en grande partie grâce à la Renault 5 dont les ventes explosent.
C’est également en 1974 que FASA-Renault met au point, aidé par la Régie Renault, une berline à coffre dérivée de la Renault 5, la Renault 7 (lire aussi : Renault 7), dont la production démarre en fin d’année. Cette première Renault spécifique à l’Espagne reçoit un très bon accueil du public, permettant à FASA-Renault d’obtenir, en 1975, 28% de part de marché en Espagne (contre 24,9 deux ans plus tôt).
En octobre 1974, l’usine d’assemblage n°2 de Valladolid est incendiée volontairement, 10 personnes périssent dans le drame, 30 sont blessés, les dégâts sont estimés à 350 millions de pesetas. L’usine fut arrêtée durant un mois le temps de remettre les lignes de montage en ordre de marche. Cet événement stoppe le projet d’usine à Palencia qui reprend seulement en 1976 en faveur d’une augmentation de 50% du capital de FASA-Renault, suivie d’une seconde augmentation de capital l’année suivante dans les mêmes proportions. La Régie Renault profite de ces deux opérations pour augmenter sa participation dans FASA-Renault à hauteur de 61,9% du capital.
En janvier 1978, l’usine de Palencia est pleinement opérationnelle et permet de produire des Renault 12. Le nombre de véhicules destinés à l’exportation augmente, il représentait 5% de la production de FASA-Renault en 1972 pour passer à 21% en 1977, avec comme principales destinations le Portugal où Renault vient d’installer une usine de montage, mais aussi vers l’Amérique du sud, Renault profitant des faibles droits de douanes entre l’Espagne et l’Amérique latine pour exporter au Mexique et en Colombie.
V/ La démocratie en Espagne, l’Europe : redéfinition de FASA-Renault au sein de la Régie
La fin des années 1970 est marquée par un fort ralentissement des ventes d’automobiles en Espagne, le pays envisage une intégration dans la Communauté Economique Européenne, une nouvelle politique autour de l’automobile est mise en place courant novembre 1979. A partir de 1980, chaque voiture produite en Espagne devra avoir 60% de pièce d’origine Espagnole en mettant l’exportation de véhicules comme objectif prioritaire en contrepartie, et surtout, le marché espagnol voit les quotas d’importation relevés à 40% des ventes annuelles.
Ces nouvelles mesures attirent les constructeurs américains, et notamment General Motor qui installe une Usine Opel dédiée au montage à Saragosse, ainsi que des usines de fabrication de mécaniques à Cadix et Saragosse, General Motor s’engageant à exporter 70% des productions des trois usines. Du côté des constructeurs espagnols, avec la libéralisation du marché, SEAT souffre mais FASA-Renault joue ses atouts et devient en 1979 le premier constructeur espagnol avec 39% des parts de marché. Renault profite de l’usine de Palencia qui produit les Renault 18 depuis son ouverture, Renault 14 (lire aussi : Renault 14) depuis décembre 1979 et le break R18 depuis septembre 1980.
Mais en 1981, la crise du marché espagnol rattrape FASA-Renault qui voit ses ventes chuter de 14%, sa part de marché redescend à 33,4% et, pour la première fois de son histoire, les usines FASA-Renault voient leur production en recul, 11% de moins qu’en 1980. Face à cette crise, FASA-Renault se redéfinit dans le groupe Renault, faisant passer FASA d’une échelle nationale à un schéma mondial. Désormais, les usines FASA-Renault importent en Espagne des moteurs assemblés au Portugal pour les assembler sur des voitures fabriqués à Valladolid ou Palencia ; tandis que les moteurs assemblés à Valladolid partent sur les lignes d’assemblage françaises.
FASA-Renault devient ainsi une pièce maîtresse dans la mondialisation de la Régie Renault, on observe petit à petit une spécialisation dans les différentes usines du constructeur français. Par exemple, l’usine de Séville stoppe la production de moteurs pour se spécialiser dans la production de boite de vitesses dédiés aux les lignes d’assemblage françaises. Autre exemple, l’usine du Mans transfère l’assemblage des trains avant de Renault 18 à l’usine de Valladolid mais récupère la production des couples coniques.
Toutefois, FASA-Renault conserve une certaine autonomie vis-à-vis de la Régie et arrive à influer sur plusieurs choix stratégiques, comme celui de la modernisation des installations au début des années 1980, le lancement commercial des R9 et R11 réalisé en même temps en Espagne qu’en France et en Belgique. D’ailleurs, les usines de FASA-Renault reçoivent des lignes de montage pour le duo R9/R11 dont l’automatisation est proche de celle présente à l’usine de Douai, usine modèle en la matière. C’est dans l’usine de carrosserie de Valladolid que sont effectués les premiers essais de bras automatiques. En 1982, l’ensemble des lignes de presses de cette même usine ont été automatisés.
En 1984, la Renault 7 voit sa production stoppée et remplacée par la Renault Supercinq (lire aussi : Renault Supercinq). Avec l’entrée de l’Espagne dans la CEE en 1986, Renault utilise les usines de FASA-Renault à destination du marché européen grâce à une main d’œuvre bon marché, et reçoivent la production de la Renault 21 en 1986, celle de la R19 dès 1989 puis celle de la Clio l’année suivante.
VI/ Vers l’intégration totale de FASA-Renault dans le groupe Renault
Avec le dernier acte de la libéralisation du marché automobile espagnol en 1987, FASA-Renault est contrainte de tailler dans ses effectifs, 7.000 personnes sont invitées à quitter le navire sur les 20.000 employés de FASA-Renault. En 1987 toujours, la ligne de montage Valladolid 1 est fermée au profit de Valladolid 2 dont les capacités de production sont doublées. Au fils des années, la production des usines FASA-Renault s’améliorent, Renault procède petit au rachat des parts restantes de sa filiale espagnole pour l’intégrer définitivement au sein du groupe Renault en 2000, année durant laquelle FASA Renault est rebaptisé en « Renault Espana ».