Le prototype que l’on peut acheter ! Dans la raison d’être de Citroën, il y a l’innovation. De la caisse tout-acier dans les années 1920, la traction dans les années 1930, la suspension hydropneumatique avec la DS dans les années 1950… Dans les années 1960, Citroën va s’essayer avec le constructeur allemand NSU à la motorisation Wankel. Et pour l’essayer, Citroën lance une opération où ce sont les clients qui vont devenir testeurs avec le M35.
Depuis les années 1950, le constructeur allemand NSU s’intéresse au moteur à piston rotatif avec les travaux de l’ingénieur Félix Wankel, les perspectives promises par cette motorisation sont prometteuse. Il faudra une dizaine d’années pour sa mise au point avant de voir ce moteur sous le capot d’une voiture de série, c’est la NSU Spider qui inaugure le moteur rotatif à partir de septembre 1963. Pour faire entrer des liquidités chez NSU pour financer les recherches autour de cette mécanique, le constructeur allemand cède la licence à tour de bras. Curtiss-Wright pour les Etats-Unis, mais aussi Alfa Romeo, Mazda, Daimler-Benz… et Citroën. Le constructeur français, avide d’innovations, ne pouvait être insensible aux charmes du moteur à piston rotatif. En tout cas, Pierre Bercot, le PDG de Citroën, y croit dur comme fer et lance son entreprise dans le développement de cette mécanique en investissement des sommes importantes dans ce projet. C’est ainsi que naît une entreprise commune avec NSU, la Comobil, pour étudier une voiture dotée du moteur dit « Wankel ». Cette association verra naitre une seconde entreprise entre les mêmes acteurs, la Comotor, pour la fabrication et la diffusion dudit moteur rotatif.
Le moteur Wankel
Toute l’originalité de la Citroën M35 tient là : son moteur à piston rotatif. 935cm3, alimenté par un carburateur, il développe une puissance de 49Ch et permet globalement de bonnes performances (144km/h). Mais seulement sur le plat, car dès qu’une côte se profile, le moteur a tendance à perdre en puissance. En revanche, l’absence de vibration permet d’optimiser le confort.
Citroën envisage le moteur à piston rotatif pour sa future GS en cours de développement, et pourquoi pas pour équiper la prochaine voiture qui viendra remplacer la DS. L’usine de la Comotor est opérationnelle pour produire ses premiers moteurs en 1969, mais les choses ont évolué du côté de NSU. Le constructeur allemand avait lancé sa berline RO80 en 1967, ligne moderne et moteur rotatif sous le capot, et auréolée de son titre de voiture européenne de l’année 1968, NSU y fondait de grands espoirs. Hélas, la voiture ne se vend pas, ce qui va mettre NSU dans une mauvaise position financière, jusqu’à son rachat en avril 1969 par Volkswagen. Et le nouveau propriétaire ne croit pas au piston rotatif et coupe les vivres à la Comotor. Si Citroën veut son rotatif, le constructeur français devra le faire (et le financer) lui-même. Citroën est au pied du mur, la GS qui peut accueillir ce moteur ne sera pas prête avant 1970 (et la version birotor demandera encore de longs mois de préparation…). Alors Citroën trouve une solution, bricoler une voiture pour recevoir le moteur de la Comotor, la produire en petite série et la vendre comme une voiture expérimentale à une clientèle triée sur le volet.
Pour tirer le meilleur parti du moteur rotatif, Citroën décide de partir d’un modèle de milieu de gamme, la classe même d’une future GS Birotor. Ca tombe bien, Citroën venait de lancer en février 1969 l’Ami8, une grosse évolution de l’Ami6 qui se prête bien aux modifications avec sa base issue de la 2CV. Pour la démarquer d’une Ami8 de série, Citroën décide de lui octroyer une carrosserie coupé qui lui est spécifique, et fait appel au carrossier Heuliez qui a la charge du développement de la voiture, l’emboutissage des éléments de carrosserie spécifiques, et son assemblage. Pour Heuliez, c’est la première expérience en matière de production en petite série, la souplesse des installations du carrossier Picto-Charentais et la grande compétence de ses équipes lui permettent de se démarquer. Si l’esthétique n’était pas un critère majeure, la M35 n’est pas qu’une Ami8 tronquée : elle reçoit de nombreuses pièces spécifiques comme ses portières, ses ailes arrière, le pavillon et même la face avant dont le pli de tôle est différent d’une Ami8.
La production confiée à Heuliez
Avec le projet M35, Heuliez se lance dans la conception et la production de véhicules en petite série pour le compte d’un constructeur. Une première expérience avec Citroën, déjà partenaire d’Heuliez dans le monde des utilitaires… [En savoir plus sur Heuliez…]
Aussi, la Citroën M35 reçoit une suspension hydropneumatique dupliquée sur le modèle de la DS, au bénéfice du confort et de la tenue de route de la voiture. Dans l’habitacle, la M35 reçoit un beau traitement avec une sellerie en skai et un tableau de bord inspiré de l’Ami8 comportant quelques spécificités, dont notamment un compte tour avec une zone rouge à partir de 7.000 trs/min. Lors de la mise en place du programme M35, le directeur du service de communication de Citroën, Jacques Wolgensinger, suggère à Pierre Bercot, de profiter de cette série d’essais pour lancer une opération de communication. C’est ainsi que les M35, prévues avec une seule teinte (le gris nacré), auront une inscription prototype M35 et le n° du modèle sur l’aile avant, et un bandeaux sur la lunette arrière : « ce prototype M35 à moteur à piston rotatif est en essai longue durée entre les mains d’un client Citroën ».
C’est le 24 novembre 1969 que Citroën présente la M35, dans son communiqué de presse, le constructeur se vante de jouer cartes sur table avec le public en faisant appel à sa clientèle pour coopérer avec le bureau d’études de la marque. 500 M35 sont à vendre, exclusivement à des clients français, fidèles à la marque et justifiant d’au moins 30.000 km annuel. Ainsi, cette opération permettra à Citroën de recueillir des données sur le comportement du moteur rotatif en usage réel, avec des clients qui ne sont pas des testeurs professionnels. En somme, une expérience qui doit aboutir à des conclusions intéressantes aux dires du service communication du double chevron. Reste le prix, annoncé entre 13.000 et 14.000 Francs en novembre, il sera finalement de 14.120 Francs lors des premières livraison, qui ont lieu en janvier 1970. C’est terriblement cher, puisque pour le même prix, le client peut s’offrir une DSpécial, ou deux Dyane. Mais à ce prix, le client de la M35 n’est pas n’importe quel client : livraison du M35 à l’usine, accueil prioritaire au sein du réseau d’entretien Citroën, et l’ensemble des frais d’entretien du moteur restent à la charge du constructeur pendant deux ans sans limitation de kilométrage, le client conserve à sa charge les consommables (essence, pneumatiques, huile…). Voiture d’essais oblige, en cas de panne, le propriétaire d’une M35 qui est par nature un gros rouleur se verra remettre sans frais une voiture de substitution.
Avec un prix élevé, une voiture promise à rencontrer moult soucis de jeunesse, la clientèle ne se presse pas chez Citroën pour prendre commande d’une M35. Si Citroën espérait écouler ses 500 M35 au cours du millésime 1970, à la fin de l’année, c’est un peu plus de deux cent exemplaires qui ont trouvé preneur. Une petite poignée de commandes supplémentaires en 1971 pour porter la production des M35 à 267 exemplaires, puis Citroën se résigne à en stopper la production. Comme il en va de la crédibilité de Citroën, le constructeur s’arroge le droit à sauter des numéros, c’est ainsi que les derniers M35 de 1971 se verront attribuer des numéros en 4xx
La M35, l’Ami du pompiste…
Avec une consommation au-delà des 20 litres aux 100 kilomètres (annoncée à 9,8 litres par Citroën), et un réservoir de seulement 43 litres, la Citroën M35 doit souvent s’arrêter dans une station service. Et puis au-delà de l’essence, il y a également l’huile dont le niveau doit être refait très régulièrement…
Quant à l’essai en lui-même, il s’avéra être une opération désastreuse pour Citroën. Rapidement, le moteur à piston rotatif connait ses limites. Outre une consommation très élevée qui interroge sans encore poser de problème (le premier choc pétrolier n’est pas encore passé), c’est la fiabilité qui pose soucis : le Wankel s’use rapidement, et rares sont ceux à atteindre les 60.000km sans être totalement refait. Et puis, dans la pratique, rares sont les concessions Citroën préparées à entretenir le moteur de la M35… Pourtant, Citroën persistera dans le rotatif en lançant en 1973 la GS Birotor…
Finalement, après le premier choc pétrolier, la consommation hors norme du moteur à piston rotatif met hors course la GS Birotor, d’autant que Citroën n’est pas parvenu à atteindre un niveau de fiabilité satisfaisant pour ses moteurs rotatifs. Et puis, à l’heure où Peugeot est mené à reprendre les rênes d’un Citroën en difficultés, il faut se séparer des branches pourries. Le programme moteurs à piston rotatif est rapidement mis en sommeil, et de façon à tirer un trait sur cet épisode, Citroën lance un programme de rachat des M35 et GS Birotor auprès de ses clients. En proposant la plus luxueuse des Citroën alors au catalogue, Citroën parvient à faire revenir la plupart des M35 pour les envoyer au pilon. Pour les clients récalcitrants, Citroën est clair : le M35, tout comme la GS Birotor, ne seront plus pris en charge au sein du réseau Citroën. Clap de fin.
GS Birotor : Citroën persiste et signe…
Septembre 1973, alors que le programme d’essais M35 permet de connaitre les limites du moteur à piston rotatif, malgré les ventes anecdotiques de la NSU RO80, Citroën s’entête dans le moteur à piston rotatif avec la GS Birotor… [En savoir plus…]