Les camions Lohéac

        Transporteur et constructeur, voilà comment pourrait-on résumer l’histoire des transports Lohéac. A l’heure de la reconstruction, Antoine Lohéac fonde son entreprise de transport avec du matériel qu’il a lui-même bricolé à partir de surplus militaire, les camions Lohéac… 

             L’histoire des transports et camions Lohéac, c’est d’abord l’histoire d’un homme : Antoine Lohéac. Ce dernier voit le jour en 1909 sur la commune de Motreff en Bretagne, fils de carrier, il quitte sa commune natale à treize ans une fois son certificat d’aptitude en poche pour exercer divers petits boulots. Il s’installe en Normandie à partir de 1927, plus précisément dans la région de Rouen et du Havre où le travail est présent et paye davantage. En 1932, Antoine Lohéac ouvre un café-restaurant sur un terrain qu’il avait acquis à Grand-Couronne dans la banlieue de Rouen, puis achète un camion à la fin des années 1930 pour tenter de devenir commerçant en gros. Une activité qu’il ne peut mettre en exécution en raison des circonstances historiques.  

International-Harvester M425 sert de base aux camions Lohéac

            Après la Libération, dans un Pays qui rentre dans la “reconstruction”, des opportunités sont possibles. Antoine Lohéac entend parler des ventes de surplus militaires et s’y rend. L’âme de commerçant prend le dessus, il achète des petits lots de véhicules pour en revendre les pneus, ce qui permet de rembourser la mise de fonds. Le reste matériel est stocké sur son terrain de Grand-Couronne en attendant. Ses bénéfices permettent de réinvestir dans des lots de plus en plus importants, jusqu’à acheter un lot de tracteurs routiers International-Harvester M425 dont une partie est destiné aux frères Bouglione. Antoine Lohéac pense qu’il y a quelque chose à faire avec les ensembles routiers, encore peu utilisés en France, il embauche un mécanicien pour remplacer le glouton moteur américain par un moteur Diesel Büssing, plus sobre, et le met en vente devant son café. Mais ce matériel ne trouve pas preneur (au mieux il vendait trois ensembles pour le chantier d’une raffinerie), si bien que Antoine Lohéac décide de l’utiliser à son propre compte pour faire du transport.  

               Rouen est un port charbonnier, il s’en va donc transporter le charbon, il s’équipe de dix M425 à moteur Diesel de sa conception et d’autant de semi-remorques “Fiche 75” qu’il transforme en bennes basculantes, embauche des chauffeurs. Rapidement, les ensembles routiers démontrent leur qualité : fiables et économes par rapports aux Berliet ou Renault d’avant-guerre, ils permettent en une rotation de transporter jusqu’à dix tonnes de charbon quand ses concurrents en transportent péniblement quatre. Et ils s’avèrent plus souples d’utilisation, ce qui permet de multiplier les rotations sur une journée de travail. Dès lors, Lohéac peut proposer de transporter la tonne de charbon pour 5 francs contre 8 auparavant, il écrase dès lors la concurrence et obtient des avantages comme la priorité de chargement pour ses camions. Aussi, dans le secteur, des raffineries ouvrent et ont besoin de transporteurs, Antoine Lohéac se proposa avec ses semi-remorques et des citernes qu’il achète auprès de Coder avant de les fabriquer lui-même. 

               Les Transports Lohéac prennent rapidement une certaine taille, Antoine Lohéac s’intéresse désormais à rationnaliser sa flotte. Ses premiers camions étaient équipés de Diesel selon ce que l’on pouvait trouver, il y avait du Büssing, du Man, du Krupp… Il trouve initialement un stock de moteurs Man auprès des Domaines, il teste ensuite le moteur Somua de 120Ch issus des bus parisiens dont il obtient trente exemplaires, mais c’est finalement le moteur Berliet de 150Ch équipant le GLR8 qui trouve grâce à ses yeux au début des années 1950 et avec lequel il unifie sa flotte.  

                  En parallèle, Lohéac part à la chasse au poids de ses ensembles. Partant du constat qu’il est payé pour le poids transporté et non pour le poids de la ferraille (cf : des camions), il décide de gagner le moindre kilo sur ses camions pour les convertir en poids transporté. Ainsi, des tracteurs à américains à cabine bâchée, il installe une cabine fermée en tôle pour le confort de ses chauffeurs, cette cabine est rapidement fabriquée en aluminium. Rapidement, l’aluminium permet de fabriquer des réservoirs d’essence, dont le volume est volontairement réduit pour les camions ayant un usage local. Pour les besoins de son activité, Antoine Lohéac rachète une grande partie des tracteurs américains disponibles, achète des pièces par lots entiers pour bénéficier d’économies, par exemple, il n’hésita pas une seconde à reprendre en 1954 50.000 garnitures de freins que les américains avaient entreposé à La Rochelle et qu’ils ne voulaient pas ramener chez eux, le tout à prix symbolique.  

              A partir de 1968, Lohéac s’intéresse à un nouveau matériau, le polyester, qui présente une forte résistance pour un poids limité. Lohéac commence à fabriquer des ailes en polyester, puis le toit de ses cabines, le capot moteur, le coffre à batterie, puis finalement, un moule permet de fabriquer des cabines dans ce nouveau matériau. Ainsi naît la cabine Inter, elle ne pèse que 350kg, et remplace les cabines en aluminium, l’occasion d’alléger encore plus les ensembles en retirant le fauteuil passager souvent vide, la roue de secours est enlevée pour économiser une centaine de kilos, à la place, Lohéac met en place un service d’assistance qui amènera au chauffeur ayant crevé une nouvelle roue. Un tracteur routier avec chauffeur et essence pèse alors 5.750kg ! Pour les moteurs, Lohéac fait désormais en fonction des négociations qu’il mène et s’équipe en Berliet Magic de 190Ch puis en Daf 260Ch. 

           Petit à petit, les camions Lohéac n’auront que peu de pièces de l’époque américaine : les boites de vitesses viennent de chez Fuller, les ponts moteurs de Eaton, les sellettes d’attelage de Dayton. Lohéac met au point ses propres système de freinage avec tuyauterie en cuivre et poumon de frein en acier inoxydable, fabrique ses échappements toujours pour gagner en poids, installe son propre système électrique. Chaque pièce est étudiée selon trois devises : fiabilité, rentabilité et sécurité. C’est notamment la raison pour laquelle Lohéac brida ses camions à 80km/h. En plus des tracteurs qu’il fabrique, Lohéac réalise lui-même ses semi-remorques avec les mêmes exigences, par exemple, aucune n’a de béquille, pour ses citernes, il utile la laine de verre comme isolant en lieu et place de la laine de roche. Les premières semi-remorques Lohéac n’avaient pas d’ailes pour gagner en poids, des plaintes répétées pour les projections poussa le service des Mines à imposer Lohéac à s’en équiper.  

                  Malgré une ligne moderne, les camions Lohéac cachent des dessous anciens et l’agrément de conduite n’est pas à la hauteur des camions d’alors. Les chauffeurs ne disposent pas de chauffage, le confort est rudimentaire. Mais Antoine Lohéac, surnommé “tonton” par ses employés (en raison de sa nièce avec qui il se promenait dans l’entreprise et qui l’appelait logiquement tonton), paye très bien ses salariés, mieux, il dispose d’une résidence pavillonnaire qu’il loue à ses collaborateurs à bon prix, avec un confort encore rare en France : cuisine, salle de bains, WC, garage… Inutile de le dire, plusieurs centaines de CV attendaient sur les bureaux. Pour construire cette citée à la fin des années 1950, Lohéac fabrique ses propres camions, majoritairement sur base White 666, pour développer des bennes, toupies et grues. 

Cabine ICB Lohéac

                 En 1985, Lohéac présente une nouvelle cabine, nommée ICB, il s’agit d’une version semi-avancée par la quasi-suppression du capot moteur, la cabine est basculante pour pouvoir accéder au moteur. L’esthétique particulière lui vaudra le surnom de “cabine Bouledogue”. A la fin des années 1980, la législation évolue, les camions Lohéac commencent à être mal-vu tant par l’administration, le contrôle technique, voire la nouvelle génération de chauffeur qui arrive, le tout pousse Lohéac à signer un contrat avec Renault Véhicules Industriels pour la fourniture de camions G320, mais dépourvus de leur cabine. A la place, Lohéac installe une nouvelle version de sa cabine,  nommée CLH (porteur) ou TLH (Tracter), elle est 100% maison et polyester, initialement avec un pare-brise en deux parties puis rapidement avec un pare-brise d’un seul tenant, elle peut s’équiper d’une couchette selon la destination du camion.   

Cabine CLH Lohéac

                   Cette première commande est suivie d’une autre portant sur des tracteurs Renault R340 au début des années 1990, toujours équipés d’une cabine Lohéac. Désormais, le gain de poids est minime, d’autant que les constructeurs ont pris cette problématique à bras de le corps et l’avantage des Lohéac est désormais réduit à peau de chagrin. Les premiers Lohéac construits sur du matériel et à cabine Inter partent petit à petit à la retraite et disparaissent de l’entreprise au début des années 2000. Lohéac s’équipe en camion classiques qui ne sont pas modifiés, l’entreprise rentre dans le rang. Antoine Lohéac disparait en 2006, son entreprise de transport est reprise par son fils Antoine, déjà présent dans l’univers du transport avec sa propre entreprise, les derniers camions à cabine Lohéac sont réformés.  

                  En plus d’un demi-siècle, Antoine Lohéac a marqué le transport français avec son entreprise utilisant ses propres ensembles, le président de Renault lui attribuant même le titre honorifique de second constructeur français de poids-lourds lors d’une visite de l’entreprise en 1979. Difficile de connaitre le nombre de Lohéac construits, beaucoup sont des International modifiés, les derniers des Renault modifiés. Si Lohéac était bien un constructeur agréé, les camions portant la marque Lohéac sur la carte grise ne représente qu’une infime partie du parc de l’entreprise, qui a pu compter jusqu’à 500 camions et 1.000 salariés à ses meilleures heures. On note également que Lohéac n’a quasiment jamais commercialisé de camions, seule la société Cofiroute en utilisa quelques exemplaire pour le déneigement, attiré par le polyester de la cabine.  

Sources
Jean-Gabriel Jeudy, Camions de France, première époque. Ed. Massin.
France Routier n° 17, avril 1982, pages 70 et suivantes. 
France Routier n° 44, septembre 1984, pages 34 et suivantes. 

7 réflexions sur « Les camions Lohéac »

  1. tonton a fais travaillées des milliers de personnes il construisais des camions et des pavillons et ces citernes enfin un grand messieurs

    1. Bonjour
      C’est vrai on nous appelé les tontons, j’ai passée 10 ans dans cette société .
      Une très bonne société de transport à l époque où je suis d’y avoir travaillé. Franck

  2. Mon oncle Fernand m’expliquait qu’un jour un matin de bonne heure il fait le plein de son tracteur Lohéac il faisait sombre et d’un seul coup d’un seul un vélo arrive dans son dos avec Monsieur Antoine Lohéac qui surveillait ses chauffeurs

  3. Merci de me rappeler ces camions Lohéac, au look très curieux… pas forcément très beau, que je croisait dans ma jeunesse sur certaines routes ou autoroutes de France (dans les années 70 jusqu’au début des années 80, en ce qui me concerne).
    Je connaissait le nom de l’entreprise et ses « auto-fabrications » de camions, sur base d’ancien véhicules militaires US, mais j’en apprend tout de même plus dans cet article.

  4. Merci pour cette histoire fascinante. Je ne connaissais pas cette marque de camions. Cela semble tellement incroyable de nos jours vu les normes à satisfaire.
    J’aurais envie de dire que Mr Loheac est le Colin Chapman du PL 🙂
    Bravo pour votre site, c’est un réel plaisir de le suivre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *